FLP2022 – La question des éditeurs indépendants et des Régions est définitivement réglée. La Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) vient d'opposer une ultime fin de non-recevoir aux organisateurs de l'événement parisien, malgré une tentative de conciliation, réelle, mais « insuffisante ». Le Festival du livre de Paris se recentre donc sur les éditeurs, appelés à tenir stand. Les convaincre ne sera pas chose beaucoup plus aisée.
Le 11/02/2022 à 10:01 par Nicolas Gary
2 Réactions | 1728 Partages
Publié le :
11/02/2022 à 10:01
2
Commentaires
1728
Partages
ActuaLitté l’avait indiqué, chez Hachette Livre, pas de nouvelles encore. Pas plus que chez Editis au demeurant. Les maisons de Madrigall attendent des consignes, encore floues au moment où nous publions. Or, le Syndicat national de l’édition ne compte pas que de grands groupes éditoriaux. Plusieurs membres font part de leurs doutes quant à leur présence à l’événement.
Contacté par ActuaLitté, Mathias Echenay, fondateur de La Volte, et adhérent du Syndicat national de l’édition, n’en revient pas. « Depuis 2014, nous étions présents au salon avec bonheur – c’était là une belle occasion de se retrouver en éditeurs des littératures de l’Imaginaire. » Mais en découvrant les solutions commerciales, l’éditeur d’Alain Damasio s’inquiète. « Nous n’avons jamais été interrogés sur nos besoins, pas plus que nous n’avons été informés de quoi que ce soit sur la nouvelle formule ou ses offres commerciales. Étant donné la proximité dans le temps de l’événement, je pense plus sensé de ne pas y aller. »
D’ailleurs, plusieurs de ses confrères de l’Imaginaire portent le même message. « À titre personnel, je m’inquiète pour la représentation des littératures de l’Imaginaire durant cette édition. Je ne serai pas le seul à ne pas y être – ou plutôt, ne pas pouvoir m’y rendre, en regard des conditions imposées. Que mes confrères soient membres, ou non, du SNE, le constat est pour nous le même : il a toujours fallu livrer bataille pour que le salon du livre parle de SF, de Fantasy. »
Et de conclure : « Nous avons opéré un travail de dentelle, têtu, pour que ces genres existent à travers les stands et sur les scènes. Là, je crains le pire en termes de programmation littéraire, sachant que jusqu’à présent les auteurs et autrices n’étaient invités qu’à condition que l’éditeur ait un stand. » Même s’il n’est pas interdit d’espérer...
Depuis Vauvert, Marion Mazauric se souvient de la réunion de la Devil team « quand les conditions ont été dévoilées : l’équipe était unanime sur le sujet. Pas de salon à Paris pour nous cette année. » Pourtant, Le Diable Vauvert est « un fidèle des fidèles » de l’événement parisien, assure-t-elle : leur stand, les invitations d’auteurs en nombre, aussi bien francophones qu’anglo-saxons, représentait un investissement significatif. « On pouvait y perdre beaucoup d’argent, mais dans un investissement lucide. »
À LIRE: FLP 2022, des avancées “insuffisantes”
Si Montreuil, salon jeunesse, a entraîné une hausse des ventes de 150 %, « Paris était notre principal espace de pluralité, une vitrine nationale et un rendez-vous annuel où rencontrer libraires, bibliothécaires et lecteurs de la France entière, et retrouver nos auteurs avec toute l’équipe ».
Membre du SNE, elle savourait aussi l’opportunité donnée de rencontrer des éditeurs, autant que leur fonds, « que l’on trouve plus difficilement en librairies ». Que le Syndicat prenne l’organisation de l’événement en main lui semble alors naturel. « Je n’avais pas imaginé qu’ils allaient éditorialiser cela comme un salon de province : en soi, rien de négatif, mais cette formule ne reflète ni ne représente l’édition nationale. Quand on s’enferme sur Paris, on perd cette force de la diversité, au profit d’un entre-soi. »
Après deux années de COVID, l’éditrice du Diable souligne « la montée en puissance des librairies de proximité, et un métier désormais auréolé d’une dimension citoyenne, de même que le livre a pleinement pris sa place dans la citoyenneté française ». Le bilan 2021, largement en hausse pour l’édition, la lecture établie comme Grande Cause Nationale… « Il faut arrêter de considérer l’édition comme l’industrie de la Capitale, entourée de ses territoires. Tel que, le Festival va plaire aux Parisiens de Paris — et encore… –, sans aucune valorisation de l’édition française. »
Pas de stand, aucune maîtrise de l’assortiment, « ça n’a aucun sens. Surtout si l’on n’a pas d’auteurs dans la programmation. Cette offre finit par nous faire acheter des espaces dans une librairie à l’entrée gratuite, comme on achète du linéaire en grande diffusion. » La conclusion sera que Le Diable n’aura pas même eu la tentation de réfléchir à sa présence.
Et l’éditrice de fulminer : « Comment notre Syndicat en vient-il à oublier qu’il est représentant de l’édition nationale ? Et que la richesse de cette industrie tient dans sa globalité ? Puisqu’ils tiennent à faire une librairie qui vend des best-sellers, alors nous ne sommes plus concernés. D’autant qu’ils se trouvent obligés d’en faire un succès commercial, parce qu’avec ces stands, qui représentent de gros investissements, il faudra faire de l’argent sur moins d’espace en se concentrant sur les meilleures ventes. »
C’est dans un article du Parisien, au mois de juin, qu’Alexandre Bonnefoy a eu vent du changement prévu pour l’après Livre Paris. « Une newsletter du SNE nous a annoncé en novembre que les informations arriveraient. Mais c’est la Région Grand Est qui nous a apporté les éléments en décembre », relève le créateur des éditions Issekinicho. « Et, bien qu’adhérent au SNE, nous sommes exclus du système. »
À LIRE: Livre Paris, l'étude qui proposait un toute autre vision
L’offre commerciale n’a pas étonné l’éditeur : « Leur problématique, ce sont les gros, et la société qu’a montée le SNE y répond. Stand clef en main, prémonté, mise en vente par des libraires… » Rien de ce que les petites structures peuvent attendre, « car nous ne venons pas pour les mêmes raisons ».
Et de poursuivre : « Dans leur plaquette, on met en avant un chiffre d’affaires, des ventes de livres. Leur salon s’arrête donc à cela, c’est donc bien une librairie. Pour un indépendant, c’est au contraire l’occasion de défendre des ouvrages peu présents en librairie. » Et après quatre années de Livre Paris, et près de 90 salons autres en huit années, il ajoute : « Sans être sur un stand de Région, nous parvenions à être rentables. Mais outre les ventes, il y avait cette relation au public, aux libraires… désormais, on aura un pop-up store, presque moins intéressant que Fnac — puisqu’on y trouve plus de diversité. »
Aussi, pour Issekinicho, la question se pose de rester adhérent au SNE, « si l’on n’est pas pris en compte dans ce genre d’événements » ? La réponse s’impose : « Il est acté que je ne renouvelle pas l’adhésion, au moins pour cette année. Pour l’instant, c’est un message clair pour dire que je suis opposé à ce principe. Parce que même avec un stand gratuit, je ne viendrai pas : nous avons été dégagés de l’événement, le fossé se creuse entre grands et petits. »
Le Tripode, que dirige Frédéric Martin, n’a pas sa carte du SNE – pas un principe, plutôt un rendez-vous manqué. Mais pour lui, l’adhésion au Syndicat « ne change rien à une réflexion qui doit dépasser le cas particulier et s’interroger sur les dangers de la situation actuelle. Qu’il le veuille ou non, le Festival du Livre de Paris a pour vocation — par son ampleur, son histoire, l’importance des financements publics qu’il reçoit et le rôle qu’y joue le SNE — à incarner la diversité de l’édition française, notamment au niveau des médias. »
Exclure une grande partie des éditeurs indépendants, « par des choix que nul ne lui a imposés », a des conséquences. « D’Anamosa à Verdier, d’Allia à Zulma, d’Anarchasis à Wildproject, cette édition indépendante ne pèse peut-être pas lourd en chiffres d’affaires, mais on sait tout qu’elle est vitale, par ce qu’elle permet et les auteurs qu’elle publie. Qu’on y fasse si peu cas me navre. »
À LIRE: Le Festival du livre, “un coup sévère porté à l'édition indépendante”
Oublier que le lien entre lecteurs, auteurs et éditeurs se forge de part et d’autre des tables, où passion et engagement s’expriment, en devient désolant. « Il y a là une bascule du commerce — dans l’acceptation la plus belle du terme — au commercial qui me semble incongrue, irréfléchie, sans vision. Je ne vois personne dans la profession pour croire vraiment à l’opportunité d’un lieu privé de l’élan de ces personnes. »
Et de poursuivre : « Si un festival préfère devenir une grande librairie, ma conviction est que les lecteurs sauront rapidement qu’ils trouveront, avec plus d’intimité et de calme, de chaleur, la même chose dans leur librairie de quartier. Et ils auront entièrement raison, tant pis pour nous. »
Le Tripode n’aura probablement pas les ressources pour être présent, et l’éditeur le regrette. « Le Festival du Livre de Paris excluera donc de facto de sa programmation, et pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la valeur de leurs œuvres, des auteurs comme Bérengère Cournut, Valérie Manteau, Olivier Mak-Bouchard, Dimitri Rouchon-Borie, Andrus Kivirähk ou encore celle de Marc Graciano, que de nombreux médias ont mis au premier plan ces dernières semaines. »
Et d’autres, encore, décédés, mais présents encore dans le cœur des lecteurs, « comme Goliarda Sapienza, Edgar Hilsenrath ou Jacques Abeille. Vous comprendrez sans difficulté, je pense, que cela ne peut que me laisser songeur sur l’ambition de — je ne peux que mettre des guillemets — ce “festival”… ».
Fondées en 2005, les Éditions L’échappée se présentent comme un « éditeur de critique sociale ». Pas étonnant alors que Jacques Baujard, leur fondateur, observe tout cela presque avec amusement. Les précédentes éditions du Salon, « nous y sommes allés quelquefois, mais grâce à la région IDF, qui met à disposition de certaines maisons d’édition des îlots spéciaux. Avec des prix un peu moins exorbitants que ceux proposés par Reed Expo [précédent organisateur de l'événement, NdR] », nous explique-t-il.
Mais, plus globalement, outre que la pandémie a amplement aidé dans la démarche, la maison a choisi de réduire « totalement la voilure sur les salons ». Deux ou trois événements par an, et uniquement « ceux qui sont à échelle humaine (Colères du Présent à Arras, Montreuil-sur-Livres à Montreuil et Mi-Livre Mi-Raisin à Paris) ».
Pour l’éditeur, « les gros raouts de ce type, c’est un peu fini pour nous. Nous privilégions dorénavant le travail auprès des libraires ». L’échappée ne figure pas parmi les membres du Syndicat, mais de sa position d’indépendant, constate que le salon faisait déjà « aux grosses maisons d’édition et aux grands groupes du livre ; pourquoi est-ce que cela changerait à l’occasion d’un nouveau lieu ? »
Et, cerise sur le gâteau : « La date choisie, qui a de fortes chances de coïncider avec le second tour de l’élection présidentielle, montre bien à quel point les organisateurs se fichent du livre et de la lecture. Ça risque d’être un véritable carnage en ce qui concerne la fréquentation... »
À cette heure, ajoutons que les acteurs de la francophonie, Suisse, Belgique et Québec, sont toujours dans l’expectative. Sollicités, aucun de ces opérateurs n’a pu nous confirmer ni infirmer leur présence. « En l’état, nous ignorons comment nous pourrions nous intégrer dans la manifestation », nous indique l’un d’entre eux.
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Festival du Livre de Paris 2022 : entre renouveau et contestations
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Observateur
11/02/2022 à 15:43
Deux points au passage :
• Le salon du livre de Paris ancienne formule ne recevait aucun financement public. On peut considérer que le CNL ou les Régions représentaient de l'argent public, mais l'événement n'avait pas de subsides directes. Contrairement au FIBD, ce qui a d'ailleurs été une source d'opposition entre les organisateurs des deux événements.
• L'éditeur dit que cela tombe sur le second tour de la présidentielle donc il n’y aura pas de public. Le Sne 1/ n’a pas eu le choix de la date (seule proposition du grand palais pour leur faire un tarif réduit) 2/ fait le pari que les parisiens seront justement sur place puisqu’il leur faudra voter… le syndicat publie juste un truc : c’est le premier week-end des vacances scolaires pour les parisiens donc bcp vont 1/ ne pas voter car pas intéressant de choisir entre Macron et Le Pen ou Macron et Pecresse 2/ faire des procurations 3/ aller voter à huit heures pile et se barrer ensuite…
Paris et le salon
12/02/2022 à 10:18
Quand le salon se tenait Porte de Versailles, tout le monde pleurait le « vrai » salon du livre sous la verrière du Grand-Palais. Je constate que bientôt nous allons pleurer toutes les larmes de nos corps pour la Porte de Versailles…
À un moment il faut faire preuve de bon sens, on ne voulait plus de ce salon Porte de Versailles !
Alors que l’organisation ne soit pas parfaite, ça, c’est certain, que la place manque également…mais bon il faut essayer d’être un peu, un tout petit peu, positif…ça changerait pour une fois….