FLP2022 – Pas de salon du livre de Paris sans polémique, disait-on voilà quelques années — avant le Covid, en somme. L’événement procède à une mue, décidant entre autres de changer de lieu pour rallier le Grand Palais Ephémère pour 2022. Mais le fonctionnement de la manifestation provoque chez les éditeurs indépendants un étrange sentiment d’exclusion.
Le 04/01/2022 à 11:10 par Auteur invité
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04/01/2022 à 11:10
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Le président de la Fédération, Dominique Tourte, nous fait parvenir ici une lettre ouverte, adressée également au directeur général de l’événement, Jean-Baptise Passé. La voici reproduite dans son intégralité.
Le projet du Festival du Livre de Paris (FLP) qui fait suite à l’arrêt du Salon Livre Paris (SLP), et dont vous êtes le Directeur Général, vient de dévoiler son modèle et notamment son offre aux éditeurs.
Maître d’œuvre du projet, le SNE (Syndicat National de l’Édition) et vous-même avez mis en place un modèle qui procède au mieux d’une méconnaissance de l’économie de la « petite édition », au pire d’une volonté de lui fermer les portes de cet événement, la faisant disparaître de la vue du grand public. Vous avez en effet imaginé un système qui rend impossible la présence de la quasi-totalité des petits et moyens éditeurs en son sein.
À LIRE: Que proposera le Festival du Livre de Paris 2022 ?
Et cela en décidant de supprimer les stands des régions qui apportaient pourtant aux visiteurs une vision pluraliste de l’édition, en interdisant l’inscription aux maisons d’édition non distribuées et non diffusées et en rendant enfin les coûts d’inscription prohibitifs. Et nous allons ici détailler particulièrement ce dernier point.
Le modèle économique que vous avez imaginé consiste à reprendre celui de la librairie, mais à faire payer le loyer par les éditeurs. Pour ce faire, si nous avons bien compris, la société filiale du SNE qui a été créée pour l’occasion, Paris Livres Évènement (PLE), achètera environ 300.000 références de livres aux différentes structures de diffusion. Puis, par l’entremise de Paris librairies, en charge de la vente sur le salon, les livres seront répartis sur les stands des éditeurs qui auront acheté leur emplacement.
Ces livres seront donc présentés aux lecteurs et défendus par les éditeurs mais seront réglés aux libraires partenaires de l’événement. La marge libraire étant ensuite partagée à 50/50 entre Paris Librairie et Paris Livre Événement.
Pour mémoire, le coût au m2, certes non meublé, pour une participation à Livre Paris, était en 2019 de 2140 € HT pour 9 m2, soit 237 € HT/m2 sans limites de volume ni de références. Si l’on se reporte à la grille tarifaire présentée par FLP et aux contraintes qui l’accompagnent (limitation du nombre de références et de volumes en fonction de la surface acquise), le tarif ici d’un stand de 12 m2, plus petite cellule au prix connu, est fixé à 17.900 € HT (1491 € HT/m2) avec une volumétrie maximum de 1500 volumes.
Considérons maintenant un prix moyen des livres à 20 €, avec une remise globale de 60 % prenant en compte les marges de la diffusion/distribution et de la libraire ; la marge restant alors à l’éditeur est de 8 € par livre. En imaginant même illusoirement vendre les 1500 volumes en trois jours, la recette nette maximale serait de 12.000 €. Soit une perte d’un minimum de 5900 €.
Si votre argument pour justifier une telle augmentation est celui de la gratuité du salon pour le public, permettant ainsi d’inscrire l’événement dans le programme Lecture Grande Cause Nationale voulu par le gouvernement, vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux salons ayant fait le choix de la gratuité ont contenu raisonnablement les tarifs de location.
La démonstration ci-dessus montre donc que la formule choisie pour le festival écarte de facto l’édition indépendante, petite et moyenne. Si les prix des stands sont élevés, ils ne représentent sans doute pour les majors de l’édition que des coûts marginaux, d’autant que s’inscrivant vraisemblablement dans des lignes budgétaires de communication. Il est par ailleurs précisé sur l’offre éditeurs du FLP (Festival du Livre de Paris) que le nombre de références sur les stands est compté hors signature. Ce qui permet d’amortir plus facilement le stand par les signatures des auteurs à succès majoritairement édités par les grandes maisons.
Vous formulez un vœu en préambule du dossier de présentation: « Puissent ces transformations répondre aux enjeux multiples de la filière du livre. » Autant vous dire que non, vous ne répondez pas aux enjeux multiples de la filière du livre, sauf à ne pas reconnaître l’existence de l’édition indépendante que nous représentons comme composante fondamentale du paysage éditorial français. Nous sommes d’ailleurs très curieux de comprendre le lien établi entre l’étude de marché commandée par le SNE à TOME 2 et ce modèle retenu.
Nous considérons que cette nouvelle formule proposée porte un coup sévère à la dynamique de l’édition indépendante, pour laquelle Livre Paris était le grand rendez-vous annuel de rencontre avec le public. C’est pourquoi elle nécessite d’interroger d’autres acteurs du secteur.
Le CNL et le ministère de la Culture tout d’abord : quelle va être la position du Centre National du Livre qui a « pour mission principale d’accompagner et de soutenir tous les acteurs de la chaîne du livre : auteurs, traducteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et organisateurs de manifestations littéraires » quand le projet proposé élimine de fait une partie des éditeurs et donc des auteurs et des traducteurs, et qu’en prenant la suite du salon Livre Paris, ce salon se pose comme la vitrine de l’édition française ?
Les libraires indépendants et le SLF ensuite : n’y a-t-il pas une contradiction à ce que Paris librairie accepte de jouer le jeu proposé alors même que la bibliodiversité est au centre du discours de la librairie indépendante ? Enfin, les structures régionales du livre et les partenaires institutionnels qui depuis de nombreuses années soutiennent des structures petites et moyennes et qui sont écartées ici.
Pour toutes ces raisons et au regard de la proximité de l’échéance nous demandons que soit mise en place rapidement entre le SNE, le CNL, les Agences Régionales du Livre, les représentants des libraires et la Fédération des Éditions Indépendantes, une réunion de concertation.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, Monsieur le Directeur Général, nos respectueuses salutations.
Pour la Fédération des Éditions Indépendantes, Dominique Tourte, Président
contact@fedei.fr.
Ndlr : Cette lettre ouverte intervient alors que dans une newsletter, ParisLibrairies.fr évoque justement le partenariat avec Paris Livre Evénements autour de la manifestation, du 22 au 23 avril.
Cette dernière, Paris Livres Événements, filiale du Syndicat National de l’Édition, nous a sollicités, nous libraires indépendants regroupés au sein de Paris Librairies, pour prendre en main collectivement la grande librairie du festival, assurer la vente-conseil et accompagner au mieux les dédicaces avec les auteurs et les éditeurs.
Paris Librairies aura besoin de la participation du plus grand nombre de libraires pour contribuer à la réussite du festival. Cette participation sera prise en charge.
Cela représente une occasion de communication unique pour mettre en avant notre réseau de librairies indépendantes et pour faire rayonner cette association aux niveaux local et national, autant qu’au sein de l’interprofession.
Les organisateurs ayant décidé de réduire le nombre de références d’ouvrages présents sur place, des bornes interactives permettront aux visiteurs de se connecter à parislibrairies.fr et d’être redirigés vers l’une de nos librairies.
Au lendemain de ce courrier, les organisateurs du Festival ont apporté des réponses et quelques commentaires, considérant qu'ils étaient « conscients de l'attente des éditeurs indépendants ».
DOSSIER - Festival du Livre de Paris 2022 : entre renouveau et contestations
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
12 Commentaires
Observateur
04/01/2022 à 16:17
Les indépendants qui gueulent, logique…
Mais le directeur général et le SNE vont sans doute tenter d’abord de s’en ficher. Jusqu’à ce que cela grossisse trop.
C’est souvent ce qu’ils font, ne pensent jamais à négocier avant…
Alex
04/01/2022 à 17:09
Un joli hold-up organisé par le SNE dont le président aussi président de Média participations donne l’organisation au président de la Procure, librairies appartenus par Média participations…
D.L.
04/01/2022 à 17:44
Cette nouvelle stratégie est bien entendu scandaleuse, mais pas étonnante. C'est la logique financière des entreprises d'événementiel de gagne de l'argent à tout prix, principalement sur le dos des exposants.
De nombreuses maisons d'éditions indépendantes de petite taille ont déjà perdu beaucoup d'argent dans le passé au SLP, certaines à hauteur de 2 à 5000€, tous frais confondus, mais aujourd'hui, le schéma financier est impossible à résoudre. L'objectif de 1500 livres vendus en 3 jours est une chimère, et si les Régions ne peuvent plus inviter, exit l'édition indépendante.
Y aurait-il du Bolloré en dessous… ? qui sait?
D'autres Salons existent pour mettre en avant l'édition indépendante, comme l'Autre rive et l'Antre des livres, pour n'en citer que 2.
Didier
04/01/2022 à 19:12
Le calcul a été vite fait et résumé sur les réseaux sociaux. Il faudrait vendre entre 5000 et 6000 exemplaires pour être ne serait-ce qu'à l'équilibre (20 secondes à 1 minute la dédicace selon combien vous êtes, mais pas plus, s'il vous plait, les auteur(e)s !), surtout quand la stratégie de l'éditeur (si, si, il y en a !) est de faire en sorte que ce soit l'auteur qui gagne le plus, ou au moins autant que les autres acteurs, dans cette filière du livre... et c'est sans compter les frais fixes (hébergement, repas avec les auteurs, c'est sympa aussi :) ) pour un éditeur loin de Paris. Les taxes et impôts, on aura peut-être un cadeau des ministères de la Culture et de la Finance ? Ben quoi, on peut toujours rêver.
Ici, il a juste été oublié que le libraire a besoin de l'éditeur, qui lui a besoin de l'auteur... et non l'inverse !
Le nombre d'adhésions 2022 des éditeurs au SNE risque d'être en chute libre...
NO
04/01/2022 à 19:15
L'intérêt de l'évènement est inexistant si les indépendants et la représentation des régions sont absents. Le fait de ne pas avoir que des éditeurs "installés" était la raison pour laquelle je suivais assidûment le selon, plus aucun intérêt si la programmation reste en l'état.
Lemanovitch
05/01/2022 à 09:30
Je me souviens (#Perec) que le salon du livre avait déménagé du Grand Palais au Parc des Expositions de la Porte de Versailles faute de places pour loger et accueillir tout le monde, exposants et visiteurs. Quant au tarif imposé pour la location des stands, j’ai juste l'expérience de salons de province où la rentabilité était surtout assurée pour l’organisateur du salon plus que pour les exposants, et encore les frais extra-salon n’ont rien à voir avec la Vie Parisienne (#Offenbach).
Observateur
05/01/2022 à 10:17
Vision très romantique de la chose, si vous me permettez – et soit dit sans aucun mépris, je vous l'assure.
En réalité, un boulon est tombé du plafond du grand palais et les inspections techniques ont montré que la structure de l’édifice était instable, les pilotis en sapin qui la soutenaient avaient été prévus juste pour l’exposition universelle.
Il a donc fallu consolider les fondations et donc fermer le grand palais de nombreuses années.
Moins littéraire, comme version, mais un peu plus proche de la réalité – qu'après on ait vendu une autre histoire, c'est... justement une autre histoire :-)
D.L.
05/01/2022 à 10:56
C'est vous, je pense, qui avez une vision romantique de la société financière qui gère le Salon.
C'est elle qui pète un boulon en méprisant ± 8 000 entreprises d'édition indépendantes en France qui créent la vraie diversité.
Grâce à la pandémie, cette manifestation va perdre de l'intérêt, montrant sa vraie nature: une machine à fric sur le dos de sociétés qui aujourd'hui courent aussi après les dividendes.
Observateur
05/01/2022 à 11:02
Je vous prie de me pardonner : romantique s’appliquait au storytelling consistant à faire croire que l’arrivée à la Porte de Versailles était destinée à faire venir plus de monde. Il s’agissait à l’époque de trouver un espace, puisque le Grand palais n’était plus pratiquable. Le déménagement fut une conséquence et non un objectif en soi : y faire venir plus de monde avait en revanche pour corollaire de gagner plus d’argent avec la vente d’espaces supplémentaires.
D’ailleurs, à l’époque de la transition, c’est Reed qui officiait en partenariat avec le SNE. Désormais, les choses ont changé, le SNE a créé sa propre structure commerciale pour organiser l’événement. Que leurs intentions soient identiques, je n’ai pas trop de doutes personnellement. Et vous rejoins complètement sur le mépris affiché.
La perspective est marchande : moins d’espace à vendre, besoin de rentabilité (ou a minima de retour sur investissement pour le SNE qui fait les avances actuellement), tout cela conduit à des espaces plus onéreux…
michelle mosiniak(Nieto)
05/01/2022 à 11:36
Etant moi-même éditée par les éditions La Trace, je ne peux qu'être d'accord avec ce qui est dénoncé ici. Cette politique est en tout point semblable à celle qui affecte d'autres domaines de la création; elle pénalise gravement ceux qui militent pour une vraie démarche éditoriale(animés par d'autres motivations que celles du profit), elle est injuste et illustre clairement la stratégie d'un état qui met la culture en coupe...
SamSam
05/01/2022 à 15:16
Certains mauvais esprits vont encore penser que Macron a décidé de les emmerder...
Roumiguieres Yves
20/01/2022 à 10:19
On se place au niveau de la politique actuelle Macroniste, dont le concept véritable est de donner aux plus fortunés, et à appauvrir les 2nd classe.
En tant qu'Editeur, j'exorte chaque petit et Moyen ME, à s'organiser et à créer leur propre salon ou foire en marge de ces grandes prestations afin du subsister.