EXCLUSIF – À partir de ce 11 mai, les librairies ont l'autorisation de réouvrir. Or, la lecture fut, durant le confinement, l’une des vertus refuges. Privés dans un premier temps de librairies, les Français ont pourtant opté pour les livres, pour se divertir, s’évader ou s’enrichir. Un sondage réalisé par Harris pour ActuaLitté/La Journée du manuscrit francophone dévoile quelle place le livre a véritablement occupé lors de ces semaines à domicile.
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Le confinement mis en place le 17 mars sur le territoire a nécessité de trouver des occupations. Et les Français se sont réfugiés rapidement vers une valeur sure : la lecture. En effet, 76 % d’entre eux assurent lire au moins un livre au cours de l’année. Mais durant les semaines à la maison, 54 % de la population a lu au moins un ouvrage.
En moyenne, durant les semaines de confinement, les Français ont lu 2,5 livres. 26 % en ont dévoré 1 à 2, 10 % entre 3 et 4, et 7 % ont passé 5 à 6 lectures. Chose plus intéressante : 11 % ont englouti 7 et plus — soit une sacrée moyenne d’un livre par semaine, peu ou prou.
À titre de comparaison, 24 % des interrogés assurent lire moins d’un ouvrage par an.
Privés de librairies, avant que les premières initiatives de drive ou de click & collect ne se mettent en place, les Français ont opté pour la commande en ligne. 22 % ont acheté sur internet en moyenne. Plus spécifiquement, les femmes à 25 % et les personnes diplômées bac+2 à 27 %. Ils sont 7 % à s'être fournis chez leur librairie (drive, click & collect), et 3 % y ont eu recours à plusieurs reprises.
Au cours des 12 prochains mois, 54 % des Français déclarent d'ailleurs leur intention de continuer à acquérir des livres, cette fois, principalement auprès des librairies (40 %), plutôt que sur internet (33 %) ou en grandes surfaces (25 %). On bascule à 57 % chez les femmes, et 67 % chez les diplômés bac+2.
Enfin, la période aura abouti à une légère modification des comportements : près d’un Français sur 10 pense désormais opter pour la librairie pour ses achats de livres (9 %). A contrario, 14 % ne souhaitent plus passer par internet et 15 % se rendront moins souvent en grandes surfaces.
« Bien sûr, il existe une dimension de confinement dans l’écriture. Il existe une dimension un peu monacale obligatoire pour écrire des livres, mais précisément, cela n’a rien à voir avec le confinement que l’on vit. Le confinement des écrivains est un confinement choisi. Ils décident de se cloîtrer, ils organisent leur retraite à certains moments, avec des rituels qui leur sont propres. Il s’agit d’un confinement volontaire, alors que là, c’est un confinement imposé », expliquait la romancière Gaëlle Nohant à ActuaLitté, pour le podcast Les Mots en Boîte.
Pour autant, le confinement a encouragé une partie de la population à écrire. Un Français sur dix s’est mis à l’écriture d’un texte (roman, essai, poésie, biographie, journal, etc.) durant la période.
Voici peut-être le début de vocation, ainsi que la Journée du Manuscrit y encourage, en publiant chaque année les manuscrits reçus et retenus, le 24 octobre. (Enquête établie sur 1166 personnes de 18 ans et plus, réalisée en ligne les 4 et 5 mai.)
« Les lecteurs sont globalement plus nombreux et plus lecteurs durant cette période, ce qui n’est pas surprenant : c’est une activité qui nécessite temps et attention, cette parenthèse a permis de se poser et le temps disponible pour soi a été en partie utilisé pour la lecture », note Xavier Moni, président du Syndicat de la librairie française, en réaction à ce sondage.
« Ce qui est intéressant pour nous c’est l’intention de continuer à acheter des livres et pour une grande partie en librairie, même si les changements de pratiques d’achats semblent être assez réduits. »
Or, si 33 % des sondés ont l’intention de procéder à leurs achats sur la toile, « les libraires sont présents en ligne », rappelle-t-il. « Et si le gouvernement retenait l’idée d’un tarif postal livre, c’est évident que nous pourrions conquérir ce marché. C’est un enjeu majeur pour la profession que de pouvoir rivaliser avec les pure players en pouvant obtenir ce tarif », reprend le directeur de la librairie chez Comme un roman (Paris).
Une donnée le frappe par ailleurs : près de la moitié des sondés n’a pas lu de livres durant cette période. « Cela devrait aussi pousser à une politique publique encore plus forte en faveur de la lecture, comme je l’ai déjà dit, tout n’a pas été fait. »
Enfin, beaucoup de lecteurs ont lu des livres qu’ils avaient déjà (différence forte entre lecture et achats de livres durant la période). Il y aurait alors là matière à approfondir : relecture, achats de précaution avant le confinement prévisible, ou accumulation de retard.... « Sans doute y aurait-il un rebond des achats les jours suivant la réouverture pour renouveler et refaire du stock… »
Vincent Montagne, président du SNE, note surtout que « les angoisses et les incertitudes liées au confinement. Il est difficile de lire sereinement dans de telles conditions. Lire suppose une certaine capacité de concentration, ce qui ne fait pas bon ménage avec l’inquiétude ». Il n’en demeure pas moins encourageant de découvrir que certains ont pu lire près d’un ouvrage par semaine.
« Dans ce contexte pas si propice en réalité, avons-nous conquis de nouveaux lecteurs ? Pas vraiment ! Les grands lecteurs ont continué à beaucoup lire et la lecture sur support numérique s’est logiquement accélérée, les librairies étant fermées. Nos amis libraires savent aussi faire une place au numérique. L’important reste de savoir écouter son libraire sur les bons choix. Les lecteurs viendront ou reviendront vers les textes que les auteurs et leurs éditeurs leur proposent s’ils savent les captiver, les faire voyager en dehors de leur quotidien », indique-t-il.
D’ailleurs, du confinement, il retient trois choses :
• le temps objectivement disponible (55 jours !),
• la capacité réelle de prescription de lecture des parents à l’égard de leurs enfants,
• une presse emplie de conseils de lectures.
Ainsi, « le constat n’est pas très brillant... Il est plus qu’urgent de renforcer le goût de la lecture à l’école, la promotion du livre à la télévision par des émissions littéraires et le soutien aux achats de livres ».
En effet, si seuls 20 % ont acheté un livre, c’est la moitié de ceux qui ont lu. « Même si les achats n’étaient pas facilités, on est loin du raz-de-marée de lecture qui aurait été naturel il y a seulement 20 ans. » Alors que dans le même temps, « la consommation de télévision a explosé, à près de 5 h par jour. Avec celle des jeux vidéo et d’Internet bien entendu ».
Alors, quid ? Eh bien, « un élément nouveau et très encourageant : si 10 % des Français se décident à écrire, c’est une excellente nouvelle qui confirme l’importance de l’écrit, du développement de l’imaginaire et de l’épanouissement personnel qui en découle ».
Et le PDG de Média Participations de se féliciter : « Des pépites sont sûrement en gestation ! »
Cependant, comment faire de la place à tous ces nouveaux talents ? « C’est le rôle de régulation des éditeurs, en lien avec les libraires et aussi de l’autoédition qui pourra absorber un nombre élevé de manuscrits ne trouvant pas leur chemin sur les linéaires des librairies. La maîtrise éditoriale ne doit pas freiner la création ni réduire la diversité littéraire. »
On peut retrouver le communiqué officiel, ainsi que l'étude à cette adresse.
7 Commentaires
Eric Dubois
11/05/2020 à 11:59
Et après le confinement les gens continueront-ils à lire ? Rien n'est sûr.
Poil à gratter
12/05/2020 à 07:50
"Ainsi, « le constat n’est pas très brillant... Il est plus qu’urgent de renforcer le goût de la lecture à l’école, la promotion du livre à la télévision par des émissions littéraires et le soutien aux achats de livres »."
C'est sûr que des émissions littéraires, les jeunes vont s'y précipiter et ensuite lire plein de livres... Comme tous ceux qui ne lisent pas.
Il faudrait peut-être avoir les pieds sur terre et se demander pourquoi les gens ne lisent pas (hors tous facteurs culturels).
- Le livre coûte cher, très cher.
- l'offre est pléthorique : il est rigoureusement impossible de choisir quelque chose sans y passer des heures.
- paradoxalement, malgré cette pseudo-abondance, l'originalité est l'exception, et ne parlons même pas du beau !
- la thématique générale est tellement politiquement correcte (politique, bien-pensance, etc.) que les gens n'ont pas envie de dépenser un rond pour avoir BFM dans les doigts alors que c'est gratuit à la télé.
J'ai énormément lu quand j'étais gamin, parfois un livre par jour. Ces livres me faisaient rêver. Je m'imaginais toujours le héros, qu'il soit fille ou garçon. À l'époque, aucun éditeur n'avait décidé qu'il fallait un garçon comme héros pour qu'un lecteur puisse s'identifier (et vice-versa... C'est tout bonnement pathétique et ne rien comprendre à l'empathie ni ce qu'est le conflit d'un arc dramatique). Je lisais des romans d'aventures ou des aventures avec des héros sans parent, politiquement incorrects, qui se disputaient puis se réconciliait. Et horresco referens, les textes étaient bien écrit, au passé-simple, avec des emprunts au subjonctif imparfait qui ne dérangeaient pas.
Aujourd'hui, je n'achèterai presque aucun livre. Quel enfant narcissique voudrait lire des problèmes d'homosexualité, de migrants, de pollution, de maladie (quand on n'a pas affaire à un bouquet commun), le tout écrit du premier jet et illustré par des images débilitantes (pardon, artistiques) qu'un gamin de CP pourrait effectuer de la main gauche (désolé pour les gauchers : c'est... stigmatisant) ?
Comme qui dirait, « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. ». Bossuet n'a pas fini de rigoler là-haut !
Guy Boisberranger
12/05/2020 à 08:11
Je rejoins la préoccupation du PDG de Média Participation: "Comment faire de la place à tous ces nouveaux talents" (Les 10 % de Français qui prévoient d'écrire). Que font les éditeurs? Et surtout QUE FONT LES LIBRAIRES?
Harmony
12/05/2020 à 12:12
Tiens, on dirait que je fais partie des 11% de tête de proue, avec mes 9 livres lus pendant le confinement... Dire que je me disais que je lisais encore trop lentement et pas assez, parce que j'ai fait encore plein d'autres choses à côté. Je ne sais pas si c'est très rassurant, mais au moins ça fait plaisir !
Cenorp
12/05/2020 à 17:08
Les emprunts en médiathèque n'ont pas été pris en compte ? Pourtant pendant le confinement certaines bibliothèques ont permis l'emprunt de livres via des Drive ou des services de livraison et ce n'est pas négligeable. Effectivement les livres papiers et numériques coûtent chers. Nous sommes une famille de 4 lecteurs et ce serait un budget conséquent si nous devions acheter tous les livres que nous voulons lire ! N'empêche contente de voir que j'ai pu rattraper mon retard et faire partie des 11% :)
Muriel
13/05/2020 à 01:47
Livres lus:Indian café, B Letts.D'un bord à l'autre,A Maupin.Jeunes littératures du Pacifique sud, S Facel ....
et des tas de policiers !!!!
Tybalt
29/05/2020 à 18:33
Dès le début du confinement, il y a eu une vaste fiction généralisée dans les médias, fiction selon laquelle les gens confinés avaient forcément beaucoup de temps, du temps qu'il fallait nécessairement occuper.
Personnellement, je n'en ai pas vu la couleur, et nombre de mes amis non plus. Entre télétravail envahissant pour les uns, soins aux enfants ou aux parents pour d'autres, ou travail sur place pour les gens qui n'ont pas eu le choix, le temps pour lire ne s'est pas étiré par magie pour tout le monde pendant le confinement. Il faut s'en souvenir avant de tirer des conclusions hâtives.