Au bout de la ligne 2 du tram nantais, l'un des terminus n'est autre qu'une librairie : un rêve de lecteurs. Depuis un an, Carole Dolcini et Nolwenn Gandon relèvent le défi qu'elles se sont lancé en inaugurant La Petite Gare, à Rezé, dans un bâtiment de la SNCF réhabilité. À l'étage, au-dessus de l'établissement, un espace partagé accueille des travailleurs du livre et de la culture.
Le 05/07/2024 à 15:06 par Antoine Oury
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Publié le :
05/07/2024 à 15:06
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Côté pile, la gare de Rezé-Pont Rousseau affiche la pancarte standardisée, flanquée de l'habituel logo de la SNCF, devant une paire de rails qui peuvent mener à la côte Atlantique (Pornic, Saint-Gilles-Croix-de-Vie) ou vers l'intérieur des terres, en longeant un petit bout de Loire. Un aiguilleur surgit, jette un regard attentif puis disparait derrière une porte bleue.
Côté face, La Petite Gare est tournée vers la ville depuis un an désormais, devant une place, un bar et une plateforme multimodale où se croisent trams, bus et des milliers de voyageurs chaque jour. La librairie rivalise bien sûr avec les transports en commun pour le choix des destinations : avec environ 7000 références en stock, il y a de quoi s'engager dans de nombreux voyages...
Tout commence avec un appel à projets de la SNCF, dans le cadre de son programme Place de la Gare, en 2021. La propriété de l'État français dispose en effet d'un certain nombre de locaux inoccupés, dans ou à proximité de ses gares : « Place de la Gare c’est imaginer et proposer des services de proximité, en partenariat étroit avec les acteurs publics et privés, pour (re)mettre de la vie dans toutes les gares », résume la Société nationale des chemins de fer français.
Il est possible d’avancer toute une variété d'usages pour ces m2 vacants, de la restauration au commerce alimentaire ou non, en passant par des espaces mobilité, des bureaux, des friperies ou des services publics. Un collectif de Rezéens et Rezéennes a alors la bonne idée de réclamer l'ouverture d'une librairie indépendante, surmontée par un espace de travail partagé pour les travailleurs du livre et de la culture.
Le dossier convainc la SNCF, qui le déclare vainqueur de l'appel à projets en juin 2021. Reste à trouver des forces vives pour faire tourner la librairie...
Entrent alors Carole Dolcini et Nolwenn Gandon, les gérantes de la librairie, intéressées par la perspective d'un commerce installé dans un lieu atypique, d'une part, et ardemment souhaité par les habitants, d'autre part.
Carole Dolcini habite elle-même le quartier depuis 12 ans et se désigne comme une « Rezéenne convaincue, fière d'une ville qui reste fidèle à ses valeurs de mixité et d'engagement social ». Seul bémol à ses yeux jusqu'alors : l'absence de librairie indépendante, avec un Espace Culturel Leclerc seulement, « qui a une vraie offre, mais pas celle d'une librairie indé ».
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Nolwenn Gandon vit pour sa part à Nantes depuis une vingtaine d'années, s'est formée et a travaillé dans presque toutes les enseignes du livre de la ville : Vent d'Ouest, Durance, Aladin et dernièrement celle de la HAB Galerie, sur l'Île. Autant de commerces « qui sont plutôt situés Nord Loire, l'offre est bien moins développée de ce côté-ci », remarquent les libraires.
Pendant 2 ans, à partir de 2021, elles se penchent alors sur la définition de leur projet commercial, mais aussi la réhabilitation complète de la gare, supervisée par le cabinet d'architectes Tact et en particulier Paul Chenneberg. Les co-gérantes ont conservé les volets bleus d'origine de la gare, mais considérablement refaçonné l'intérieur, en restant dans ces teintes évoquant l'azur.
« La SNCF avait un budget, évidemment, donc il a fallu négocier, faire des concessions, mais nous sommes très contentes du résultat et du lien entre le rez-de-chaussée et l'étage, incarné dans l’escalier, une idée de l’architecte pour montrer que La Petite Gare est un ensemble », explique Nolwenn Gandon.
Avec 60 m2 seulement, les deux libraires ont accompli l'exploit d'intégrer des milliers de références réparties entre des rayons de tailles sensiblement similaires. Pas de risque de surstockage en vue : seuls 3 m2 sont encore disponibles, sous l'escalier...
Les deux années de préparation permettent à Carole Dolcini de parfaire sa formation sur les fondamentaux de la librairie à L'École de la Librairie, avant quelques stages. Un bagage utile pour définir la sélection d'ouvrages, « qui correspond à la fois à nos valeurs et au public rezéen ».
« Nous sommes les seules à aimer les retards de train » s'amuse Nolwenn Gandon. La librairie profite évidemment de son positionnement, au croisement de plusieurs lignes de transit, dont une qui mène à l'océan et ses plages. « La diversité de la clientèle nous permet une diversité de l'offre, avec quelques best-sellers si besoin. »
Quand les points de vente Relay monopolisent toutes les gares françaises, difficile de s'imposer ? « Nous sommes bien identifiées comme librairie indépendante, quand les enseignes Relay sont plutôt des lieux de passage, sans véritable clientèle et avec des livres comme caution culturelle », estime Carole Dolcini. « Aujourd'hui, parmi les gens qui transitent vers la mer ou le travail, nous avons des habitués. Des gens de passage, mais réguliers, en quelque sorte. »
Outre la sélection affirmée, créer un lieu de vie repose sur les animations et autres propositions sociales, avec une programmation de la librairie qui avance 2 à 4 événements par mois, entre les rencontres, dédicaces et concerts.
« L'inauguration du lieu, avec 1000 personnes sur la place, a été marquante. Mais aussi l'événement du lendemain : nous avons reçu la poétesse écossaise Hollie McNish, grâce à son éditeur, Le Castor Astral », se souvient Nolwenn Gandon. 50 personnes répondent présentes : « On s'est dit que si les gens se déplacent pour du slam féministe écossais, il y avait vraiment quelque chose à faire. »
L'ancrage rezéen, l'envie de participer à un moment local, se retrouve aussi dans un rayon consacré à la création en circuit court, présentant le magazine de l'association Rezé Histoire, ou les noms de quelques auteurs locaux, çà et là, dont Hugo Chereul, publié par les éditions Mané Huily, Benoît Bernier, aux éditions Ouest-France, ou encore l'illustratrice Aurore Petit, qui vit à Nantes et assume le titre de marraine de La Petite Gare...
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Un an après l'inauguration du 5 juillet 2023, Carole Dolcini et Nolwenn Gandon sont optimistes, malgré les difficultés annoncées pour le commerce du livre. « Nous sommes sereines pour l’avenir. Nous avions fait des prévisions plutôt modestes, en dessous des 300.000 € de chiffre d'affaires recommandés pour une librairie cogérée, mais nous allons probablement pouvoir les atteindre. On va pouvoir se rémunérer, c’est une bonne nouvelle ! »
Emprunter le fameux escalier de la librairie permet d'accéder à un espace de travail partagé géré par une association, La voie est libre. Chacune des deux parties de La Petite Gare est indépendante — la SNCF propose des baux commerciaux distincts —, mais elles restent subtilement liées malgré tout.
À l'étage travaillent en effet des membres de chaine du livre — auteurs et illustrateurs, principalement — et du secteur culturel plus largement. Parmi eux, Anne Rivière, autrice de romans pour la jeunesse et de bandes dessinées. « Je travaille dans l’espace coworking pour rencontrer des gens et ne pas être seule chez moi. L’idée de partager un espace avec des personnes qui travaillent dans la culture m’a beaucoup plu, tout comme d’être installée au-dessus d’une librairie », nous explique-t-elle.
Habituée des espaces de travail partagés, elle les associe à « des horaires de bureau, c’est ce qui permet d’avancer : chez moi, je peux avoir tendance à procrastiner », admet Anne Rivière. À 150 € par mois pour un bureau à plein temps et 75 € à mi-temps, « les tarifs ne sont pas chers, surtout dans la région nantaise », selon son collègue Maxime Antonoff, qui travaille pour Twin Sails Interactive, filiale du groupe Asmodée.
Une adhésion à l'association est obligatoire pour la location d'un espace, dans un cadre commun à « de nombreux corps de métiers de la culture : des auteurs, des illustrateurs, des architectes », égrène-t-il. « L’ambiance n’est finalement pas trop “start up nation”, contrairement à d’autres espaces de coworking. »
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Une communauté d'intérêts où les échanges sont d'autant plus facilités, confirment les libraires, qui parlent de « forces vives locales, qui ont des réseaux et avec lesquelles on se complète assez bien ». L'association La voie est libre, qui avait coorganisé l'inauguration du lieu avec la librairie, dispose aussi d'une dimension sociale « que nous aimerions travailler en l'ouvrant au quartier, pour organiser des activités culturelles et proposer des événements », indique Anne Rivière.
Les événements risquent donc de se multiplier sur l'esplanade Rosa Parks : le 29 juin dernier, librairie et association ont uni leurs forces pour des portes ouvertes autour des métiers de l'édition, afin de faire découvrir les rôles, parcours et compétences de plusieurs professionnels. Trois jours plus tôt, un concert réunissait la foule pour quelques pas de danse devant la librairie, partenaire de l'événement... Pas d'arrêt pour le train-train à La Petite Gare.
Photographie : Carole Dolcini et Nolwenn Gandon, en juin 2024 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0) Sauf mentions, toutes les photographies sont sous licence ActuaLitté, CC BY SA 2.0
4 Commentaires
Marie
06/07/2024 à 09:24
L'heureuse et excellente idée d'entreprise...Quand je pense que les détracteurs de Guy des Cars le nommaient "Guy des gares"...il est ainsi un peu réhabilité...quoique jamais oublié.
Marie
06/07/2024 à 10:19
Mais quelle bonne idée et bonne nouvelle. Je leur souhaite plein de lecteurs et de belles rencontres
Dépaysage
06/07/2024 à 13:00
Longue vie à la Petite gare !
Catherine Poujol
08/07/2024 à 06:56
Excellent article rare en ces temps compliqués et qui fait rêver. Bravo !