Montmorillon2024 — Cécile Coulon, autrice confirmée depuis son plus jeune âge, sort à 33 ans son neuvième roman, La langue des choses cachées (Iconoclaste, 2024). Elle y explore tout ce qui est dit quand les gens ne parlent pas, surtout les souffrances. À cette occasion, le Festival du livre de Montmorillon tenait à l'avoir comme invitée d'honneur. Sa présence a rythmé le salon, entre lecture musicale et jogging littéraire. ActuaLitté a eu l'opportunité de s'entretenir avec elle.
Le 09/06/2024 à 15:34 par Ugo Loumé
3 Réactions | 479 Partages
Publié le :
09/06/2024 à 15:34
3
Commentaires
479
Partages
Dans La langue des choses cachées, un jeune guérisseur se rend dans un village où sa mère, dont il a hérité des dons et qui est à présent trop faible pour y aller elle-même, a été appelée. Il doit se rendre au chevet d'un garçon souffrant, qui vit seul avec son père, une brute aux épaules rouges. Le jeune homme, appelé le fils tout au long du récit, a la faculté de sentir des choses qui échappent au reste de l'humanité, il sait voir les souffrances qui ont traversé les corps et les lieux, il connait la langue des choses cachées. Au cours de la nuit, il se détourne de sa mission initiale, et réalise que ce village recouvre plus de secrets qu'il ne l'aurait soupçonné.
Quelle intention mettez-vous dans votre processus d'écriture ?
Dans mon cas, le moment où je pose les premiers mots représente en fait la fin du processus d’écriture. Je sais ce que je vais raconter. J’y ai pensé et ça a mûri pendant des mois. Écrire c’est le moment où je sors l’histoire.
Ce qui me traverse en termes d’engagement dans l’écriture, c’est qu’il faut que mon style, que mon vocabulaire, mon lexique, soit d’une grande rigueur et très dense. C’est comme si je soumettais mon texte à un exercice de musculation qui n’en finissait jamais. Pour moi, un texte c'est comme un muscle. Et quand on le lit il faut que ça se sente.
Votre nouveau roman s'appelle La langue des choses cachées, pouvez-vous nous expliquer comment la comprendre, cette langue, et nous dire si on peut l'apprendre ?
Je suis convaincue qu'on peut l'apprendre. Ça se fait en ne disant pas grand chose, en écoutant beaucoup, en étant attentif et ouvert à tous les détails, à tous les indices que donnent les gens qui parlent. Il faut se demander quand ils disent quelque chose : qu’est ce qu’ils ne disent pas ? C’est un truc de flic. Il faut bien regarder les mouvements du corps, les mouvements nerveux. Les gens qui font ce travail là, qui sont capables de rentrer à ce point dans la vie des autres, quand ils se rencontrent, d’une certaine manière, ils n’ont presque plus rien à se dire.
C’est assez étonnant de réaliser à quel point le langage nous permet de dire, mais est aussi un artefact pour cacher ce qu’on ne veut pas montrer. Je pense que c’est un des grands paradoxes du texte.
L'ambiance du roman est à la fois inquiétante et apaisée, on a l'impression d'être entre deux mondes. D'où cela vous vient-il ?
L’ambiance que je voulais dans ce livre, c’était un peu celle qu'on retrouve dans True Detective. J’adore cette série, et j’ai aimé toutes les saisons parce qu’il y a ce mélange de sentiment profond que quelque chose ne va pas, avec en surface un apaisement et un grand silence. J’ai même travaillé sur le scénario pour étudier comment elle avait été faite. Il y a des personnages qui cheminent dans des espaces très silencieux, très apaisés, et pourtant on a l’intuition d’une pesenteur et d’une lourdeur. On y a pas accès on ne sait pas où ça se passe, mais on sent qu’on est pas loin.
Il y a un truc que j’aime beaucoup c’est tout ce qui suscite une forme de malaise. Mais un malaise dissous, très diffus. Pas de la provocation ou de l’éclatement, plutôt quelque chose qui fait naître une légère gêne qu’on a du mal à définir.
Comment votre rapport à la langue des choses cachées a-t-il évolué avec ce livre ?
Depuis qu’il est sorti, j’en parle beaucoup avec les gens qui l’ont lu. Pas mal d’entre eux viennent me voir en me parlant des guérisseurs, des rebouteux, ou alors ils me disent : « moi ça fait bien longtemps que je me suis éloigné de la médecine contemporaine ». Je trouve ça étonnant de voir comment dans « les choses cachées » chacun y voit ce qu’il veut.
Je pense que mon rapport a évolué dans le sens où je me suis rendu compte qu’on est très nombreux à croire dans des choses très différentes, à placer notre confiance dans nos émotions et notre capacité à savoir que des choses se passent sans qu'on puisse les voir vraiment. Ça m’a assez rassurée.
Il y a quelque chose de très macabre dans ce roman. Pouvez-vous nous en dire plus sur la place que la mort y occupe ?
Quand j’ai commencé à penser l’histoire, ma première idée était : si on doit donner un visage et un corps à la mort, à quoi elle ressemblerait ? Et l’image que j’avais c’est celle du personnage du fils, ce très jeune garçon qui ne parle pas beaucoup, qui avance, qui n’est jamais fatigué et qui est capable de voir des choses que les autres ne voient pas. Mais je pense que chacun y voit un peu ce qu’il veut dans ces personnages de la mère et du fils.
Dans l'obscurité de l'histoire et des décors, il y a un symbole très fort de lumière et de vitalité qui ressort des yeux verts des femmes la deuxième maison que va visiter le protagoniste. Que représentent pour vous ces yeux verts ?
Je crois qu’il y a déjà l’idée que dans le regard passe les toutes dernières émotions des gens qui sont sur le point de mourir, ou du moins qui sont faibles au point d’être privés de leurs gestes et paroles. Pour moi le regard, c’est vraiment le dernière espoir.
Ensuite le choix de la couleur verte s’explique par une raison qui peut paraitre très bête. Il y a des années, quand j’ai commencé à écrire, on m’a beaucoup dit « il faut arrêter de faire des personnages qui ont les yeux bleus, on en peut plus ». En littérature, autant que dans le cinéma, il y a cette idée que les yeux bleus sont forcément les yeux les plus romantiques, les plus lumineux. En réfléchissant à ce pattern des yeux bleus, je me suis rendu compte que ce qui me troublait le plus, à titre personnel, ce sont les yeux verts, vert-clairs pour être plus précis. D’où le fait que je les mets beaucoup en avant dans la plupart de mes bouquins.
Parmi les rendez-vous de ce festival du livre, vous participez à une lecture musicale avec l'artiste électro Pierre-André Pernin. En quoi la musique permet-elle de révéler les choses cachées de votre texte ?
Je trouve que c’est bien quand un texte a d’autres entrées qu’une interview ou une discussion. Quand un autre art intervient, que ce soit le dessin ou la musique, c’est aussi une manière de lire différemment le texte. Comme dans ce cas c’est de la musique qui est surtout électronique, je trouve que ça donne à ce texte qui parait très intemporel quelque chose de plus vif et sanguin, ça le réveille un peu.
Vous êtes aussi à l'initiative d'un « jogging littéraire », c'est une proposition atypique pour ce genre d'événement. Quelle place a la course dans votre quotidien ? Et dans votre vie d'écrivaine ?
Je fais beaucoup de lien entre la course à pied, la marche et la littérature. C’est en courant et en marchant que j’ai mes idées et que j’arrive à les construire. Le mouvement est salvateur pour moi, j’y réfléchi mieux que si je suis assise à une table et que je me demande « qu’est ce que je veux écrire ? ».
Les jogging littéraires sont aussi une autre manière de discuter avec les gens. Ce sont pas forcément les mêmes personnes qu’on y croise. Au début je pensais que personne ne viendrait et finalement il y a beaucoup de monde à chaque fois.
Le but c’est d’ouvrir à tous les niveaux de course à pied. Donc on va à un rythme assez calme, ce qui permet de discuter en même temps. Et c’est pas les mêmes discussions qu’on a en courant, il y a un rapprochement qui se fait beaucoup plus rapidement. Après la course on va souvent boire un coup ou manger un bout ensemble, ce qui permet de prolonger le moment de partage autour du livre. Ce sont toujours de très bonnes expériences, je pense que je vais continuer à les proposer.
Pauline Delabroy-Allard et Julia Kerninon liront certains de leurs textes en première partie de votre lecture musicale. Elles sont toutes deux publiées dans la collection Iconopop de l'Iconoclaste, que vous avez dirigée, que retenez-vous de cette expérience ?
Ce travail-là s’est fait à deux avec Alexandre Borre, pendant 4 ans. C’était incroyable d’avoir la possibilité d’aller voir des gens dont on aime les textes et leur demander d’écrire sur le sujet de leur choix sous une forme poétique, c’était un luxe absolu. On a eu Pauline et Julia, mais aussi Clémentine Beauvais, Akhenaton, Dominique Ane, etc. On avait à chaque fois le sentiment que pour chaque livre, parce que c'était de la poésie, allait directement à l'essentiel. C'est comme si ces auteurs, qui sont soit romancier, essayiste ou chanteur, avait un espace particulier pour s'exprimer. On a publié six livres par an, dont au moins deux textes de primo poètes.
Aujourd’hui c’est fini, depuis quelques semaines. C’était très prenant, un travail à plein temps. Je me suis rendu compte que ce que j’aimais le plus c’était d’être la première ou deuxième personne à découvrir un manuscrit, de l’aimer et de pouvoir le proposer pour que d’autres personnes le découvrent. Ce sentiment est incroyable, mais il est possible de le retrouver en étant seulement un pont entre le manuscrit et les éditeurs.
Vous avez commencé cet entretien en nous disant que vous commenciez à écrire lorsque l'histoire était déjà mure dans votre tête. Est ce qu'il y a quelque chose de nouveau qui est en train de murir en ce moment-même ?
Oui. C’est très très mur même. Je voudrais écrire la suite de ce roman, et raconter l'histoire d'un autre personnage du texte, de l'enfant de la fin, plus précisément.
Crédits image : Laura Stevens
DOSSIER - En 2024, Montmorillon met Cécile Coulon et Timothée de Fombelle à l'honneur
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 11/01/2024
134 pages
Iconoclaste (l')
17,90 €
3 Commentaires
Hannibabal
10/06/2024 à 19:25
Intéressant.Singulier.
Toujours agaçant de constater que le recueil de l'interview est farci de fautes d'orthographe, ET grammaire, lamentable pour un simple compte -rendu.
Jean Roule
12/06/2024 à 11:46
Hannibabal commencez par vous trouver un pseudo qui tient la route et on en reparle de votre génie linguistique.
Sir Kohnflex
13/06/2024 à 23:34
Ugo avait faim, il exerce un métier qui ne nourrit pas son Homme. Son Ugo en souffre. Il a avalé un "dans" qui lui est passé entre les dents. Il avait faim de baies rouges mais c'est pas la saison alors sa langue a profité du MUR des choses cachées derrière. On ne va pas faire une "battle" de puristes pour un volatil ^ qui tel un ancien s dans hospital est parti trop vite et a trahi l'hopital.
Mon Mézig apprécie Hannibal bégayant parce que ça rebondit l'érotisme du trou de bal. Et je bée d'admiration devant la graphie faussement banale qui cache en langue cachée le palace niçois Ruhl truffé d'auteurs de littérature de gare, grandes lignes, comme aussi le Négresco sur la Promenade des Nababs.
Et bravo à Céline qui hyperventile son cerveau pour trouver quoi écrire, pourvu que ça sorte ... seul bémol : ça dégrade son bilan carbone avec rejet accru de diabolique CO2 par expiration.