Quand on en vient aux sujets connexes à Vincent Bolloré, tout prend des allures de trames ourdies sur un indéchiffrable métier. Au tisserand avisé de saisir jusqu’aux fils secrets, pour donner forme à la tapisserie. Justement, chez Plon, filiale d’Editis, on rejoue La Dame à la Licorne, avec pour fil conducteur comme sur l’oeuvre authentique, « Mon seul désir ». Or, en la matière, on sait combien les passions s’emmêlent…
Le 17/12/2021 à 11:04 par Nicolas Gary
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Publié le :
17/12/2021 à 11:04
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L’idée de justice, de faute et de sanction revêt d'étonnantes acceptions. Se retrouve mis au coeur de l’histoire, le licenciement par les éditions Albin Michel pour faute grave de Mickaël Palvin, ancien directeur marketing. Les bruits de couloir dans l'empire Editis, même avant sa nomination, n'avaient pas manqué de circuler : son arrivée dans la filiale Plon, au titre de directeur général adjoint suivait celle de Lise Boëll, nommée directrice générale de Plon. Le tout quelques semaines après que le livre d'Éric Zemmour est pris en distribution par Interforum. Et s’opérait dans un climat de défiance, tant dans la maison, que dans le groupe.
En atteste le compte-rendu d’un comité Editis du 8 octobre : apprenant le transfert, les délégués du personnel d’Albin Michel avaient au préalable pris contact avec ceux d’Editis pour partager leur étonnement. Durant la séance, des salariés d'Editis relatent des « bruits [qui] courent sur du harcèlement […] de grosses et lourdes rumeurs ». Présente en séance, Michèle Benbunan, directrice générale du groupe, pose sa ligne de conduite : « Que les choses soient extrêmement claires, les personnes qui travaillent dans ce groupe doivent être exemplaires. Aucune exception n’est faite. C’est valable à tous les niveaux hiérarchiques, il n’y a aucune tolérance. En revanche, on ne va pas jeter en pâture les gens sous prétexte qu’il y a une rumeur. »
Les suites des dicussions font état des craintes des représentants du personnel, avec une cristallisation sur le futur DGA, pas encore arrivé. Au passage, aucune enquête CHSCT pour harcèlement moral chez Albin n’aurait eu lieu le concernant, précise Jean Spiri, secrétaire général d'Editis. Il ajoute, comme un appel à la raison : « Vous rendez-vous compte que nous sommes en train de parler de quelqu’un qui n’est pas encore arrivé ? »
Face à une condamnation quasi actée — sur la base d’éléments passés et rappelés dans un récent article de Mediapart — la direction d'Editis plaide pour « laisser sa chance ». Tout ce beau monde était averti qu’une fois dans l’entreprise, il faudrait que les choses filent droit.
Savoir ou ne pas savoir, voilà qui intrigue : que Mickaël Palvin taise les raisons de son départ d'Albin, sans y être convié, se comprendrait. Table rase du passé, autre groupe, nouvelles perspectives. Or, lors d'un entretien avec la direction d’Editis, il aurait omis de les mentionner, assure-t-on. Une version qui ne fait pourtant pas l'unanimité.
Dans l’enquête de Mediapart, Albin Michel assurait pour sa part n’avoir pas pris langue avec Editis sur les motifs du licenciement, avant qu'il ne soit recruté. Et la direction de préciser : « Nous avons tenu à rester discrets sur ce dossier. ». Dans la presse, l'éditrice Lise Boëll déclarait elle aussi ne rien savoir des causes du licenciement de son collaborateur : elle a toutefois quitté Albin cinq mois plus tard après lui. Qu’elle ignorât tout de la situation devient tout aussi étonnant que les déclarations d’Editis, tombant des nues, en l’apprenant dans Mediapart.
De fait, il apparaît évident que la direction d’Editis était alertée de l'existence de rumeurs, d’une part. D’autre part, il y avait toujours la possibilité de procéder à de plus amples vérifications. Lesquelles auront consisté à croire Lise Boëll sur parole. Elle s'était « portée garante du bon comportement passé de son adjoint », assurait un porte-parole d’Editis à Mediapart. Sauf que personne ne le lui aurait demandé de devenir la garante de cette probité.
« Le recruteur n’est pas comptable des fautes commises par un salarié dans une autre entreprise, et moins encore quand elles se sont accompagnées de sanctions », pointe un avocat spécialisé en droit du travail. « Puisqu’il a écopé d’un licenciement, on peut considérer qu’il s’agit d’une peine purgée. Être sanctionné une seconde fois dans une autre entreprise pour ces faits antérieurs, alors oui, cela reviendrait à une double peine. » L'exposition dans Mediapart, les salariés la redoutaient déjà dans le Comité du 8 octobre : assez pour conduire à des mesures extrêmes ?
Le 11 octobre dernier, l’arrivée dans la maison Plon des trois transferts Albin Michel est officialisée : une directrice générale, deux DG adjoints. Et Céline Thoulouze, nommée directrice générale des éditions Plon un an plus tôt, se trouvait rétrogradée, tout en restant dans la maison. Avec l’arrivée de Lise Boëll, Mickaël Palvin et Estelle Cerutti, elle perdait ses fonctions, mais l’équipe constituée demeurait – près de la moitié des effectifs de la structure était en poste depuis moins d’un an. Au fil des semaines, des plaintes se font jour et l’ambiance de travail se tend.
La question s'impose : le harcèlement moral a-t-il recommencé ? Débarquer dans un milieu qu’on devine défiant, sinon hostile, implique de rallier les troupes avec délicatesse, “patience et longueur de temps, etc.”, sauf à vouloir jouer les cowboys. Dans les faits, les trois entrants découvrent une rentrée d'hiver, totalement organisée par la précédente direction – et saluée par certains auteurs. Que faire : laisser passer cette salve ou réviser tout le travail ? Seconde option : titres de livres, couvertures, approche commerciale, tout est repensé, aboutissant à exacerber plus encore les tensions. Et dans le même temps, des projets éditoriaux retirés sur mars-avril, parfois avec trop de célérité, parfois sans ménagement.
« Des nouvelles méthodes, qui contredisent les choix effectués, avec des arguments fermes… évidemment, cela finit par être perçu et vécu comme de l’humiliation », indique une observatrice. « Et suivant le degré de violence ressenti, alors on peut s'estimer victime de harcèlement. Surtout quand on a appris qu'il y avait eu un précédent. » Conclusion, quatorze personnes de l'équipe Plon demandent à quitter la maison, sur 18, nous indique la direction d'Editis.
Sur cette question de départs, on nous oppose pourtant qu’ « une personne a répondu favorablement à une opportunité courant septembre. Tout le reste de l’équipe Plon a accueilli la nouvelle équipe dirigeante avec la meilleure volonté du monde ». En outre, le groupe a pour politique de favoriser une logique de mobilité interne – autre élément susceptible d'expliquer ces mouvements. Peut-être pas pour tous, puisqu’une personne a affirmé qu’elle ne voulait pas travailler avec la nouvelle équipe.
Une direction qui aurait alors commis quelques erreurs de management vis-à-vis des équipes… poussée par la nécessité de résultats ? Selon nos informations, le bilan financier de Plon sur 2021 n'est en effet pas reluisant, avec de très forts taux de retour sur certains titres. Céline Thoulouze, pas encore reclassée, aurait été informée de ce que les résultats en non-fiction ne convenaient pas, de même que ses expérimentations en matière de littérature ne s'avéraient pas concluantes. Afin de muscler la maison, le groupe envisageait donc un recrutement pour la direction générale : ce sera Lise Boëll.
La directrice générale d'Editis, Michèle Benbunan, a insisté sur le fait que cette nomination découlait de son propre choix. « Le fait que Thoulouze descende d’un cran, moins d’un an après sa nomination, cela ressemble fortement à une instruction, et pas vraiment à la stratégie », nuance toutefois un observateur. Durant deux mois, une guerre larvée se met en place, où les idées des nouveaux venus sont ressenties comme une remise en cause profonde du travail réalisé, jusqu'à pointer des choix éditoriaux sans potentialité : douloureux.
La contre-réaction fut à la mesure du sentiment d'incompétence véhiculé. Le 3 décembre, l’équipe dirigeante est convoquée : elle apprend la mise en place d’une enquête interne, présentée comme un moyen de faciliter le départ des personnes vers d’autres entités du groupe. La suite est connue désormais : une mise à pied pour Mickaël Palvin , devenu le fusible idéal. Estelle Cerutti et Lise Boëll sont écartées un temps, avant réintégration en catastrophe et l'ouverture de l'enquête.
Au sein de Plon, coule une rivière d’auteurs, et pas des moindres : Françoise Bourdin ou François-Xavier Dillard, transferts de la précédente vie de Céline Thoulouze chez Belfond, ou encore Raphaëlle Giordano, Karine Giebel, etc. Selon des témoignages, la pression s’est exercée, à différents niveaux : « Certains auteurs refusent de venir chez Plon, voire protestent de ce que l’éditrice de Zemmour en est DG. De l’autre, un conflit de loyauté s’est dessiné : rester chez Plon, ou partir avec Céline Thoulouze », indique une source.
Aucune confirmation n’est donnée chez Editis, mais Céline Thoulouze finit par être fortement pressentie chez Nil — au grand dam de Robert Laffont, qui abrite la structure.
Dilemme cornélien pour des auteurs historiques : rejoindre leur éditrice, ou rester avec la nouvelle équipe. « Il y a un ramdam, de toute évidence : les nouveaux dirigeants avec l’impératif de se fondre dans l’équipe, tout en apportant ce pour quoi ils avaient été recrutés. Arrivait la Rolls d’Albin, il fallait que ça bouge, sinon ils auraient été vus comme des pétards mouillés », analyse une autre source.
Si l’on tient compte de quelques-uns des résultats de Lise Boëll chez Albin, l'appât financier se justifiait : David Khayat, entre 2018 et 2020, publie deux livres, avec 47.277 exemplaires vendus, François Langlais, entre 2016 et 2020, trois titres, 78.363 exemplaires. Même François Baroin, et deux ouvrages 2017 et 2019, réalise 24.000 ventes (données : Edistat). Et que dire d’un Philippe de Villiers, aux idées et positions souvent douteuses, qui en 10 ouvrages (entre 2003 et 2021) aura pesé 552.325 exemplaires écoulés, pour plus de 11,45 millions € ?
Mais au cours de sa carrière chez Albin, Lise Boëll n’a pas non plus laissé que de bons souvenirs. « Cela était plus lié à ses méthodes de travail qu’aux titres publiés. En effet, le turn-over du service était astronomique et les conditions de travail effrayantes à tel point que plusieurs salariés partaient, à bout », avait attesté une ancienne collaboratrice auprès de ActuaLitté. En 25 années de carrière, en regard du rythme de production autonome qu'elle avait chez Albin, comment ne pas imaginer qu'il n'y ait pas eu d'altercations ?
« On pouvait le lire de deux manières : soit tout était nul de ce qui avait été réalisé à leurs yeux avant leur venue, soit ils mettaient en place des méthodes ou étayaient des approches radicalement différentes », poursuit une interlocutrice. Différentes, au point de bousculer l'équipe en place. L'enquête interne doit éclairer cela, mais dans quel climat ? Et dans quelle perspective ?
Un délégué syndical s’interroge : « La maison s’est retrouvée avec deux groupes — littéralement, puisque les bureaux étaient séparés —, confrontés l’un à l’autre. Une équipe consolidée autour d’une année de collaboration, l’autre débarquée parce qu’il fallait redresser les finances. Comment ne pas imaginer qu’il y aurait des dissensions ? » Des résultats économiques 2021 qu’on nous suggère de relativiser : tous les auteurs de Belfond de Céline Thoulouze n’avaient pas encore rejoint leur éditrice chez Plon.
L'ambiance de travail collégiale, qu'elle avait instaurée, revient souvent dans les récits : un groupe soudé, avec une forte cohésion. Presque un esprit de famille, qui, à l’époque du salon du livre de Brive, avait fait sourire à la lecture d’un article de La Montagne. L’éditrice expliquait pourquoi elle louait une demeure chaque année, pour y loger les auteurs invités. « L’idée c’est qu’ils dorment bien, qu’ils mangent bien », expliquait-elle, considérant que « dans maison d’édition, il y a maison ». La Maison Belfond, ainsi nommée par le passé à Brive, incarnait un certain état d'esprit.
Dans ces circonstances, la cohabitation qui s'impose – parce que le modèle initial avec une direction confié à Céline Thoulouze ne donnait pas satisfaction –, ne pouvait aller de soi. « Les arrivants débarquaient avec un certain passif : il y avait aussi de quoi se poser des questions », note une éditrice. « Par conséquent, il ne régnait pas un climat de confiance – jusque chez les auteurs. C’est tout de même l’équilibre fragile de ces rapports humains qui régit nos métiers. Si des rumeurs circulent, cela affaiblit l’édifice. » Dans le même temps, certains auteurs ont rallié, assez spontanément, la nouvelle dirigeante, séduits par le nouveau projet, malgré une certaine pression...
Des bruits discordants, il s’en est trouvé : Céline Thoulouze aurait vu s’ouvrir des portes de sortie, Sonatine et Nil — il semblerait que même Seuil ait été évoqué. La première n’aboutit pas, la seconde est en instance — le groupe entendant scinder Nil de Robert Laffont pour qu’il prenne son envol. Or, durant cette période, tant les auteurs que l’équipe Plon naviguent dans une certaine confusion. Deux mois de tentative d'exfiltration, qui ont induit des incertitudes, des doutes, des appréhensions : définitivement pas de quoi entretenir la sérénité.
Ce départ annoncé serait cependant prématuré : à cette heure, Céline Thoulouze est toujours chez Plon. Son transfert avant l’arrivée de la nouvelle équipe est catégoriquement réfuté, mais surtout, n’aurait jamais été envisagé. « Céline Thoulouze est jugée très compétente : elle est là pour encourager un travail sur la fiction », précise une source proche du dossier. « L’hypothèse Nil revient à l’aventure de Seghers, Seguiers ou du Cherche Midi : Editis entend autonomiser ces structures. Mais entre Nil et Céline Thoulouze, rien n’est décidé. » Sollicitée, l’éditrice n’a pas souhaité faire de commentaires.
Le drame, ajoute la salariée d’une autre maison, « c’est qu’il y a bien deux équipes, toutes deux sympathiques. On ne comprend pas ce qui a généré ce climat ». Certains, proches de l’ancienne équipe, admettent ne pas avoir eu de confidences ni de révélations sur des cas avérés de harcèlement moral. « On en aurait eu vent : quand un changement intervient, et celui-ci était de taille, cela ne va pas toujours dans le sens de ceux déjà en poste. Mais quand les gens sont agréables des deux côtés… ça aurait dû fonctionner », conclut-on. Mais deux côtés cependant.
« On entendait parler de tensions durant les réunions, d’une atmosphère compliquée… mais comment est-il possible d’aboutir à du harcèlement moral en deux mois à peine ? » Pas de fumée sans feu ? « Certainement, oui… De même qu’il est très facile de tirer sur l'ambulance… », nuance un éditeur du groupe. Dans les couloirs, le fameux article de Médiapart est aussi évoqué, plusieurs jours avant sa sortie.
De même, certaines précautions ont pu être surinterprétées : peu après l’embauche de Mickaël Palvin, le secrétaire général Jean Spiri avait indiqué aux équipes de lui remonter tout problème. « Le comportement de chacun doit être exemplaire, c’est un mot d’ordre du groupe. C’était surtout une réaction aux personnes venues évoquer les rumeurs, afin d’apaiser les craintes. »
Surtout que la direction du groupe Editis avait des raisons de croire en cette nouvelle donne. Suite à son licenciement, l'ex-directeur marketing d'Albin Michel avait l'intention de monter une agence littéraire, chose qui fit parfois perdre raison à son ancien employeur. Dans un échange de courriels de début octobre, consultés à l'époque par ActuaLitté, se lisent des menaces et tentatives d’intimidation à peine voilées : « Je ne suis pas sûr que vous vous y preniez au mieux et que vous ne vous exposiez pas à un effet boomerang. Vous avez un petit pouvoir de nuisance, mais d’autres en ont sûrement de plus grands encore », signe l’un des responsables du groupe.
Albin Michel aurait redouté que l’activité d’agent ne fonctionne et que l’on assiste alors à une fuite des auteurs ? Que Lise Boëll fasse venir d’anciens auteurs de la maison, cela tombait sous le sens : le cas est classique dans l'édition, le transfert de Karina Hocine chez Gallimard a conduit à la publication de Delphine de Vigan après leur départ de JC Lattès. On nous indique pourtant chez Editis que les attentes vis-à-vis de Boëll auraient été déçues : en deux mois, rien de convaincant, et surtout, des doléances qui s'accumulent à l'égard d'un management qualifié de musclé – certains parleront de sentiment d'oppression.
Pas concluant ? Plusieurs auteurs ont déjà affirmé avoir signé en non fiction avec Plon – ils seraient en tout près de 25, pour un chiffre d’affaires en année 1 autour de 10 millions d’euros. Ce qui aurait été appréciable chez Albin, deviendrait négligeable chez Plon ?
Par ailleurs, Editis avait conçu une alternative à la direction de Plon : proposer à Lise Boëll de construire sa propre structure au sein du groupe, comme d’autres l’ont fait. Un projet qui aurait impliqué d’arriver avec quelques auteurs solides et un choix manifestement repoussé par l’éditrice. « Paradoxalement, quand on s’adosse à une maison, cela revient à s’appuyer sur une marque. Et l’on peut avoir à cœur de donner le nom d’une structure historique aux ouvrages de ses auteurs : cela aide à les convaincre », note un directeur de collection.
Lise Boëll aurait-elle craint, sous son propre étendard, de ne pas arriver à rallier les troupes ? Un éditeur chevronné décrypte les choses autrement : « Des auteurs à forte notoriété — ceux de Lise Boëll en sont — ont besoin d’une identité éditoriale forte. Soyons lucides : les auteurs qui montent leur propre structure disposent d’une aura importante – Dicker, Sattouf, etc. L’époque de Bernard Fixot est finie : peu nombreuses sont les maisons qui se lancent sous la marque d’un éditeur, sans s’attacher à un groupe, quand ils ont des auteurs de renom. » Et certainement cela pouvait-il aider à redonner du lustre à Plon. « Je le lirais plutôt comme un gage de professionnalisme et de connaissance du marché de la part de madame Lise. »
En revanche, la proximité de Lise Boëll avec le président du conseil d'administration d'Editis, Arnaud de Puyfontaine, souvent mise en avant, est balayée d'un revers de manche par la direction d'Editis.
Michèle Benbunan, Directrice générale d'Editis, et Arnaud de Puyfontaine, président du conseil d'administration
Et voici le directeur général adjoint lâché par sa supérieure, auparavant désignée “garante”, puis le groupe Editis qui coupe également l’herbe sous les pieds de Lise Boëll. « On pensait qu’ils allaient tout faire pour sauver le soldat Boëll : actuellement, ils tentent plutôt de l'exfiltrer », observe un éditeur du groupe. « Dans les couloirs, on entendait que personne ne voulait bosser avec celle qui incarnait les auteurs de la réacosphère. »
Céline Thoulouze, ex-directrice générale de Plon, rétrogradée au poste de directrice générale adjointe chargée de la fiction, aurait pu « savonner la planche », comme cela se dit, apparaît compréhensible, en regard de la situation. « Quatorze personnes qui souhaiteraient partir, c’est inédit dans une entreprise », acquiesce un proche du dossier. Et assez logiquement, l'enquête en cours devrait aligner les récits à charge.
Après cinq changements de direction en trois ans, les salariés sont usés, admet-on du côté des représentants du personnel – et justement à considérer avec plus de bienveillance. Des rattachements à des pôles, des responsables de maisons partis avec leurs équipes et leurs auteurs : Plon vivrait un énième changement qui serait celui de trop, en somme. « En outre, le repositionnement n’est pas simple : la maison a su faire de la fiction et de la non fiction, mais au fil des changements, l’équilibre a peut-être été un peu perdu », admet un proche du dossier. Avec Lise Boëll, la perspective était bien de renforcer la non fiction.
« Politiquement, cette situation n’a rien de neutre : d’un côté, un salarié qui était jugé avant d’arriver, et aura à peine eu le temps de s’installer que la tempête Albin lui revient en pleine face. Cela doublé par des récriminations de salariées de la maison – et Lise Boëll ne serait pas épargnée par les reproches », analyse ce même interlocuteur.
« Enfin, le groupe aurait intérêt à agir vite pour que l'on évite d'établir un lien entre un actuel candidat à la présidentielle, son éditrice et le collaborateur, empêtrés dans des affaires de harcèlement au travail. Là, ça ferait carrément tache. »
Éric Zemmour aurait à perdre, et dans la foulée Vincent Bolloré, s'interroge-t-on dans les couloirs ? « Des managers qualifiés d'excessifs, le tout servi sur fond de pression médiatique et de conflits internes à la maison d'édition... » Car, on ne se débarrasse jamais de la marque de Caïn... Du reste, le candidat Zemmour a créé une structure éditoriale pour publier son dernier livre, et continuerait sur cette voix, indique Editis. Quant à Vincent Bolloré, patron de Vivendi, dont Editis est la filiale, il a fort à faire avec le rachat de Lagardère.
« La réalité est tapie quelque part dans tout cela : les impératifs économiques, les stratégies de groupe, les projets à long terme, les plans de vengeance », conclut cet interlocuteur. Sans oublier la fusion Editis-Hachette Livre qui se profile. Avec les dernières nouvelles de Vivendi, qui a indiqué avoir accéléré plus encore le rythme en annonçant le rachat des parts qu'Amber Capital détenait dans le groupe Lagardère...
crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Ndr : Du fait de l’enquête en cours, plusieurs personnes, s’estimant trop exposées, ont refusé de nous apporter leur éclairage, même sous couvert d’anonymat. Nous avons cependant pu consulter différents éléments, communiqués par emails, captures d’écran et SMS. Les témoignages rapportés émanent de différents interlocuteurs, dont les fonctions ont été préservées quand ils nous y ont autorisés.
20 Commentaires
Ed
17/12/2021 à 11:23
Analyse... aussi détonante que fleuve.
Mais le fait que l'éditrice rétrogradée soit enceinte, vous pensez que cela a pesé dans la balance pour le groupe ?
Nicolas Gary - ActuaLitté
17/12/2021 à 11:25
Bonjour Ed.
Sur ce point, aucune déclaration ni information à fournir. Je n'imagine personnellement pas que l'on puisse instrumentaliser une grossesse.
Ed
17/12/2021 à 11:50
Je ne suggérais pas une instrumentalisation, mais plutôt une mesure, voire un excès de prudence : débarquer une personne enceinte peut coûter cher, si l'intéressée estime qu'une procédure peut s'envisager. Surtout en période de fusion. Une histoire de grain de sel...
Marianne
18/12/2021 à 07:28
Waouh, je viens de lire ce long article assez touffu, et je lisais les commentaires par curiosité, sans penser mettre mon grain de sel nulle part mais votre réponse me fait bondir M. Gary !
Sérieusement, en 2021, vous "n'imagine[z] personnellement pas que l'on puisse instrumentaliser une grossesse." ... c'est beau de vivre au pays des bisounours ...
Vous pensez sincèrement que même à notre époque, les recruteurs et les patrons ne se disent pas "oh mince, une femme enceinte (ou en âge de procréer, ou avec des enfants en bas âge), ça va demander des congés parentaux, des aménagements de poste ou de temps de travail, ça va être absente quand le bébé/l'enfant sera malade ..." ?
Je vous envie votre optimisme sur l'égalité homme-femme au travail ...
Désolée pour cet aparté qui n'a rien à voir avec l'article, mais il fallait que ça sorte ...
Bonne journée !
Cerf_Volant Volé
24/12/2021 à 04:22
On peut et on doit penser que vous, vous êtes très optimiste...le monde de'l'édition commence celui de la mode cinéma enfin disons l'art ennemi général autorisé tout même à son insu
Quand on voit fonctionner une maison d'édition avec ses relations presse....on ressort convaincu que l'on s'est trompé sur les organisateurs de la création ..ce sont des commerçants
Créer est une folie, la seule qui tienne debout et vous fasse tenir debout
ceux qui gravitent autour ou organisent le deviennent, fous. Sans pouvoir se justifier de l'œuvre produite. Le manque
On dit c'est un exemple dans le monde éditorial, que les critiques littéraires sont des écrivains ratés..alors c'est un excellent début pour organiser le délire
Au final , longue vie à l'édition artisanale, aux Petits éditeurs. Ils grandissent le métier, ils nous grandissent
Car les autres, s'ils se dévorent qui pleurera ? Petit à petit les concentrations de Maison ne produit plus que des auteurs médiocres sans parler du fonds éditorial, acquis , mais sous la houlette de visionnaires eux, talentueux
rez
18/12/2021 à 13:31
dès qu'on lache zemmour dans la nature on peut instrumentaliser n'importe quoi...
plondanlel
17/12/2021 à 11:49
Je n'ai pas trop saisi l'allusion à la Dame à la Licorne, mais ce n'est pas le principal.
Ce qui m'effraie, c'est que le groupe semble se cacher derrière une enquête, motivée par un mensonge (vraiment ?).
C'est bô, une logique de groupe !
Nicolas Gary - ActuaLitté
17/12/2021 à 11:52
Bonjour Plondanlel (sans commentaire).
Un groupe ne peut pas s'exprimer sur une enquête en cours, quel que soit le secteur d'activité. On peut le lire comme vous le fait, "se cacher" ou autrement : respect de la procédure.
Deux poids, etc.
17/12/2021 à 11:57
A la lecture (vous auriez pu faire moins long, peut-être, ou découper l'article, on n'a pas l'habitude de les découvrir aussi denses chez vous), je reste entre deux eaux : la direction du groupe qui a manqué le coche, les nouveaux entrants qui se sont comportés comme des margoulins ou l'ancienne équipe qui a fait de la résistance ? Cette absence de conclusions un peu claires me perturbe.
Du reste, les trois concernés ne vous ont pas répondu ?
Nicolas Gary - ActuaLitté
17/12/2021 à 11:59
Bonjour
nous ne sommes pas un tribunal : pas de verdict. Et la situation est suffisamment confuse, entraînant des souffrances de part et d'autre de l'équipe, pour ne pas trancher à la hâte ni à la hache.
Les concernés, comme vous les appelez n'ont en effet pas répondu à nos demandes.
rez
18/12/2021 à 13:33
ce qui certains énergumènes appellent "droit de réserve" ou, pire encore, "éthique" et qui n'est qu'une omerta pure et dure.
NAUWELAERS
18/12/2021 à 00:47
Deux poids...cet article est un poids lourd, remarquable !
Pourquoi toujours faire plus court ?
Non moi j'apprécie fort cet article exceptionnellement bien informé.
L'écran ne doit pas être un grand équarrissage de l'écriture, même si cette tendance lourde existe et de façon prégnante.
Quant à la dimension authentiquement littéraire du chapeau, c'est une belle et magnifique plume haute et multicolore qui trône sur ce couvre-chef scriptural: même sur l'écran voire surtout...sachons apprécier !
Le langage infuse du talent et de l'âme dans une langue -française en l'occurrence -lorsqu'il se hisse au-dessus du niveau de la simple communication banale et standardisée, en déployant les ailes de l'inspiration littéraire, ou poétique qui elle est parfaitement personnelle et unique.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Cerf_Volant Volé
24/12/2021 à 04:27
Votre réponse à deux lectures possibles:
l'éloge au prochain défunt
ou réponse destinée à illustrer votre talent de fleurettiste
Emphase ou esquive ?
rez
18/12/2021 à 13:32
j'allais lire votre commentaire mais je le trouve trop long.
NAUWELAERS
18/12/2021 à 21:29
Des emojis pour vous, rez ?
Pour certains, tout est toujours trop long.
ActuaLitté est un site littéraire...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Cerf Volant Volé
18/12/2021 à 07:22
l 'article en son début cite les zinzins de Mediapart, enquêtant, " sous Maigret " en planqué et cabat à ragots en bandoulière, on quitte la lecture.
Avec le lourd passé et passif de son créateur, ancien directeur du journal Le Monde, dans l'affaire Baudis. Il a détruit Baudis et il est toujours en possession d'une carte de presse.
Quand on travaille chez Bolloré, la seule issue pour le personnel est de quitter son emploi chez ce maniacobidouilleur. L'episode rappelle le carnage de Bouygues quand Chirac à "offert "TF1 à Bouygues, étape qui a signé la mort d'une forme de télévision de qualité, introduisant la télé réalité.
Mais pas besoin de Bolloré, ou autres il suffit de voir ce qu'est devenu Arte qui n'a plus rien de culturel , naufrage complet, l'émission "28 minutes" en est l'exemple..féminisme outrancier de son animatrice - ex Figaro de chez Dassault-
kujawski
18/12/2021 à 10:56
Il ressort de tout ce fatras que le caporalisme a du plomb, et non du Plon, dans l'aile. Le temps où un(e) manageur(euse) pouvait n'en faire qu'à ses tyrannies et ses chaos, et les justifier par ses résultats - Editis connaît ça depuis des lustres - ce temps-là doit céder la place. Le stress, la dépression et le burn out sont les mauvais prétextes des encadrements de bas étage et de leurs défaites morales. A cette aune, les ex-Albin réfugiés chez Plon mériteraient des ARE de Pôle Emploi.
Qu'Editis ait tant de mal à se dépêtrer de cette affaire, et à trancher, est symptomatique de l'emprise du vieux monde managerial sur la vénérable entreprise. Tétanisation devant l'actionnaire, crainte de la perte de poste, croisant toujours l'avidité de pouvoir et de domination des équipes, pour donner un management hystérique, tempétueux, ignorant les lois humaines de respect et de solidarité.
En fait, ce fatras a ceci de réjouissant qu'il introduit chez Editis/Vivendi/Bolloré le poison du doute, comme les oppositions à Orban et Bolsonaro le font en Hongrie et au Brésil. On ne voit pas le rapport ? Il est, hélas, évident.
Kin
20/12/2021 à 21:04
En voilà un beau torchon.
Faut maintenant comprendre que le recrutement effectuer était une erreur.
On donne les reines à des personnes sans méthodologie. 0 management et on s'étonne des répercussions A-ha. 🤡
L'harcelement est réel et doit être banni au plus vite.
IL n'est pas trop tard. Réveillez vous.
Un article copain coquin. :)
Pion
23/12/2021 à 18:39
Deux rectifications/corrections d'importance : François Baroin et François Lenglet (mal orthographié dans l'article) ne sont pas des auteurs de Lise Boëll. Ils sont certes chez Albin mais avec un autre éditeur.
Ne restent donc comme auteurs importants de Lise Boëll que : Zemmour, De Villiers, Khayat... Programme particulier disons...
Quant au management de Lise Boëll, je vous renvoie vers différents articles déjà publiés sur elle et sa toxicité, ce qui vous fera, j'espère changer cette phrase : "en regard du rythme de production autonome qu'elle avait chez Albin, comment ne pas imaginer qu'il n'y ait pas eu d'altercations ?"
Jujube
02/01/2022 à 21:58
Quel plaisir de lire 19 commentaires pour le texte, forgé avec précision et patience, de Monsieur Gary!
Loin de moi l'idée d'être lèche-cul, lèche-m**de (étoiles de mon coeur, je vous adore) ou lèche-galoches. Mais, sous ce tropique où je vis, j'ai très peu l'occasion de lire le français et ActuaLitté, son équipe et ses commentateurs, m'offrent ce cadeau de lire en ma langue maternelle en voie de perdition.
Français de France, vous n'avez pas idée des privilèges qui vous tombent dessus!
A tous, l'équipe d' ActuaLitté et ses commentateurs, je vous souhaite ce qu'il y a de meilleur pour vous en 2022 - qui continuera à être difficile ( le virus nous aime avec passion et ne nous lâchera pas de sitôt)! Que vous et votre famille soyez heureux malgré tout, que votre vie soit douce et tranquille et que chaque jour vous soit bonté et beauté.
Prenez grand soin de vous!
Cordialement,
Jujube