La crise du papier entraînera une hausse de prix de vente des mangas. Plusieurs éditeurs ont déjà averti de cette situation — les matières premières, ainsi que l’encre ou encore les coûts du transport se répercutent logiquement sur le consommateur. Mais une autre inflation surgit, cette fois régie par les algorithmes, et concerne strictement les ventes d’occasion. Ou comment la machine produit des bulles spéculatives totalement hors de contrôle…
Le 29/12/2021 à 14:31 par Nicolas Gary
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Publié le :
29/12/2021 à 14:31
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Quelques bases s’imposent avant de plonger dans ce sac de nœuds informatique : les livres neufs, tout fraîchement mis en vente par la maison d’édition, ont un prix unique que cette dernière définit. Chaque revendeur doit alors commercialiser les titres au tarif fixé — une remise de 5 % est possible. Cette mesure découle de la loi dite Lang de 1981. Quarante années de bons et loyaux services — on retrouvera à ce titre le dernier ouvrage de Patricia Sorel, Les libraires, les éditeurs et la loi Lang, Un combat pour le livre 1974-2008 (coédition École nationale des chartes et Presses de l’Enssib) pour en comprendre les articulations aussi bien économiques qu’historiques.
À LIRE: crise du papier, des mangas plus chers
Pour les ouvrages d’occasion que revendent particuliers ou professionnels, la législation cède le pas devant la théorie de l’épuisement des droits. En effet, le propriétaire de l’œuvre en tant qu’objet, après la première vente, n’exerce plus de contrôle, et le revendeur du produit demeure libre d’en fixer un nouveau tarif – d’ordinaire inférieur, puisque basculant dans l’occasion. D’ordinaire…
La vente de seconde main pose de multiples problèmes aux professionnels — le premier étant que la multiplication des outils de revente avec internet provoque une augmentation de l’offre, du marché et donc de son volume d’affaires. Avec, pour conséquence redoutée, une perte de chiffre d’affaires pour les éditeurs et libraires, et de droits pour les auteurs.
D’ailleurs, avec la fermeture partielle des librairies et les reports de parutions, 2020 aura représenté un volume de 3,7 milliards € de dépenses en livre pour les ménages français — soit 6 % de perte. Le rapport du ministère de la Culture n’incluant pas le livre d’occasion, chacun en tirera les conclusions qu’il souhaite.
Maître de Conférences en études japonaises — Université de Lyon, Julien Bouvard a récemment fait vibrer les réseaux, avec un bref message :
« J’ai découvert ce phénomène d’inflation des prix de certains mangas un peu par hasard, il y a 7 ou 8 ans, alors que j’essayais péniblement de compléter des collections de séries épuisées. Chez certains libraires spécialisés ou sur certaines plateformes comme Rakuten, il y avait déjà des mangas qui avaient pris de la valeur, surtout ceux d’auteurs fameux qui n’avaient pas été réédités depuis (je pense à certains titres de Tezuka ou de Itô) », indique-t-il à ActuaLitté.
Cependant, il note que l’inflation s’emballe depuis quelque temps, principalement sur des titres épuisés : petits tirages, prix d’occasion élevés, le principe de rareté s’applique. L’enseignant note que les tomes vendus plusieurs dizaines d’euros sont monnaie courante, parfois avec des sommes édifiantes – à l’instar des 1430 € demandés pour le tome 16 de Spirit of the sun.
Soucieux d’achever ses collections, Julien Bouvard assiste alors à des séquences tarifaires croquignolesques. Et déjà, un premier acteur revient à intervalles réguliers : Recyclivre.
Travaillant sur la dimension objet du manga, autant que les technologies de fabrication, le maître de conférences s’intéresse aussi à la valeur : « L’inflation actuelle des prix des mangas d’occasion en France est, sur certains points, un phénomène assez proche de ce qui s’est passé au Japon dans les années 1990 et me donne un point de comparaison assez pertinent », constate-t-il.
On sait que le lien à l’objet est le premier rapport de valeur : des études ont par le passé montré que le cerveau entretient un lien spécifique à la matérialité — et corollaire, ne parvient pas à fixer de valeur aux œuvres dématérialisées. Le public français, analyse le chercheur, fait d’ailleurs et largement état de cette connexion, en diffusant des photos de collection sur les réseaux, « mais aussi dans la revente à des prix élevés sur ces mêmes réseaux ». (voir ici son thread)
En mars dernier, le Twittos Vagabond prenait d’ailleurs son courage à deux mains pour un inventaire à la Prévert, pointant plusieurs tomes ou collections vendus à des tarifs étonnants.
Or, si internet fournit une vitrine visible par tous, il en va de même pour les boutiques spécialisées en manga d’occasion, reprend-il. Ainsi, « les plus rares sont désormais présentés à l’intérieur de vitrines, comme des montres ou des téléphones portables… L’exemple le plus frappant de l’explosion tarifaire réside peut-être dans cette vente aux enchères où le manga le plus distribué en France, le tome 1 de Dragon Ball (certes, il s’agissait d’un premier tirage) s’est vendu à plusieurs centaines d’euros ».
De fait, une partie des titres revendus découlent de collections privées — on fait de la place comme on peut. Pour les éditions collector, ActuaLitté avait déjà publié une longue enquête pointant la spéculation autour d’ouvrages dont la rareté n’était plus à démontrer. Le Médiateur du livre avait d’ailleurs envisagé d’intervenir, mais pour l’heure, rien n’a été mis en œuvre. Sinon l’interdiction de revendre des livres acquis avec le Pass Culture — le décret du ministère de la Culture remonte au 28 mai dernier.
Pour les autres produits mis en vente, les internautes pointent régulièrement le système de dynamic pricing : des algorithmes chargés de mesurer l’offre, la demande, et de nombreux autres paramètres pour affiner les prix. On estimait en 2018 qu’Amazon effectue, quotidiennement, quelque 250 millions de changements tarifaires chaque jour. Certainement pas à la main.
De la sorte, les prix fluctuent, au gré des vents algorithmiques, lesquels ne se trompent évidemment jamais puisqu’appliquant une méthodologie implacable. Et l’internaute assiste alors à un ballet économique qui donne le vertige.
En ayant recours aux différentes marketplaces, les revendeurs aboutissent également à cette automatisation des prix de vente — prenant également en compte la nature des autres annonces publiées, la période de l’année, etc.. Citons l’Allemand Momox, grand habitué, mais encore Recyclivre.
« C’est en tout cas celle qui propose les prix les plus hauts, sans doute à cause d’un algorithme défectueux. C’est d’autant plus énervant qu’il s’agit de livres récupérés pour la plupart dans des bibliothèques, donc souvent plastifiés, avec des codes barres collés, ce qui signifie que pour un collectionneur, ces mangas ont peu de valeur », conclut Julien Bouvard.
Lui qui tente de ne jamais dépasser les 10 € pour un manga d’occasion, le voici circonspect.
Contacté par ActuaLitté, David Lorrain, fondateur de Recyclivre, confirme que la tarification est confiée à « un algorithme qui met à jour nos prix en fonction de ceux des concurrents, de la place disponible dans notre entrepôt, du délai de stock, de nos niveaux attendus de CA et de marge, etc. » Cela vaut tout aussi bien pour les mangas que tous les autres livres.
Et comme pour donner raison à l’économiste Roger Guesnerie, l’algorithme subit l’influence de l’offre et de la demande : « Certains livres atteignent des prix qui peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros, ceci est dû à leur rareté ou à des erreurs. Dans le cas d’erreur, il suffit de nous les signaler et nous remettons le prix de marché », note David Lorrain.
Quant aux sources d’approvisionnements, elles sont multiples — bien que la société ne fournisse pas de précisions sur les volumes que les différents canaux représentent : cela va du rachat aux particuliers, en passant par des collectes, jusqu’au désherbage des bibliothèques, ou des opérations en entreprises et centres commerciaux.
Si l’entreprise a pour vocation de vendre des livres, elle revendique avant tout un objectif de « maximiser le prix de vente et de minimiser le temps de stockage, il faut que nous trouvions pour chaque livre la bonne balance en fonction des concurrents et de nos propres impératifs ». Le fondateur nous assure également que le pourcentage de ventes souvent avancés de 70 % réalisé via Amazon est faux, nettement en dessous – sans donner plus de détails.
Il ajoute : « Si nous mettions ces livres à des prix en dessous du marché (ce qui nous arrive très régulièrement, nous nous trompons) ils seraient achetés dans l’heure par des acheteurs ayant mis des alertes sur ces titres pour les acheter peu chers et les revendre au prix du marché (très chers). Le résultat serait le même, des acheteurs trouveraient les prix affichés délirants. »
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Dsp
29/12/2021 à 22:51
Et dire que recyclelivre continue de vouloir faire croire qu'ils ont une démarche du du type asso , genre, filez nous vos bouquins c'est pour la bonne cause, dès le départ ca sent le boudin et l'arnaque à plein nez..
Odji
30/12/2021 à 02:31
"ils seraient achetés dans l’heure par des acheteurs ayant mis des alertes sur ces titres pour les acheter peu chers et les revendre au prix du marché (très chers)"
Hm... en fait il faut pas se soucier des prix exorbitants des revendeurs.
Je n’achèterai jamais un livre en mettant plus du double de son prix initial et beaucoup ont la même démarche. Alors se justifier des prix de RecycleLivre en disant "oui, mais eux après ils les revendent supercher" et alors ?
C'est pas eux le problème, c'est les pigeons qui vont mettre 100€ ou plus dans un bouquin. Quand ils arrêteront de payer une fortune les revendeurs se retrouveront avec des manga dont la "côte" baissera.
Nous sommes une majorité à attendre que le prix de certains tomes d'occasion baissent pour se les procurer. Alors ne jouez pas le jeu des spéculateurs et vendez à des prix abordables, vous fidéliserez une clientèle et vous vous débarrasserez de votre stock.