Voici un mot valise que le poète Jules Laforgue n’aurait pas répudié : le newstalgie. De l’anglais new, nouveau, et du français nostalgie, son acception diverge, mais l’esprit demeure : un renouvellement, qui puise dans l’ancien ses racines. Des appréciations mélancoliques qui drainent un romantisme suranné aux saveurs d’un avant, option madeleine et thé au citron, la newstalgie désignerait-elle autre chose ?
Apparu dans les années 2000, en anglais — newstalgia —, difficile de dater la première occurrence du terme. Seul constat : sa propagation à compter des années 2010 a conduit à une popularité grandissante. Au point que les marketeux façonnent désormais leurs campagnes en s’appuyant sur le flou de la notion. Selon l’Urban Dictionary, le mot définit « quelque chose de nouveau qui rappelle quelque chose d’ancien ». Nous voici bien avancés.
Sauf qu’à l’inverse de la nostalgie, newstalgie ne véhiculerait pas l’idée de douleur ni de peine, corrélée aux origines médicales et étymologiques : en grec ancien, nostos + algos = retour de la souffrance. Avec newstalgia, la réminiscence n’impliquerait pas la perte : elle s’accompagne plutôt d’une note plaisante. Une sorte de jonction entre un jadis où l’on ne souhaite pas impérativement revenir (perspective ontologiquement complexe) et un aujourd’hui éclairé de cette évocation ancienne.
L’élégance du hérisson, paru en 2006, ouvrait une ère Barbery dans les cabinets de thérapeutes : celle de la lecture aux pouvoirs curatifs pour l’esprit. Avait-on oublié la catharsis qu’Aristote avait théorisée voilà près de 2360 ans ? Reste que les livres se changeaient en outils thérapeutiques, pour guider le lectorat dans la gestion et la compréhension de ses ressentis.
Au menu, réconfort, mise en perspective, lutte contre le stress : les bouquins se hissaient au rang d’anti-dépresseurs de rêve. Forcément, les dérives ne tardèrent pas, avec l’avènement du Feel Good Book, genre, où la fiction intervenait comme une solution de développement personnel. Heureusement, des libraires avisés inventèrent le Feel Bad Book, non sans humour.
En littérature, la newstalgie hérite-t-elle donc de ces tendances éditoriales ? En tant que moment de réconfort où le passé apporte au présent une douceur soudaine, les universitaires auront peut-être matière à réfléchir. Mais comment ce qui vaut pour les lecteurs ne résulterait pas d’un sentiment similaire chez les autrices et auteurs ?
La publication de La liste 2 mes envies, plus de 10 ans après le premier roman, pose de toute évidence cette question d’un retour vers le futur. Jocelyne, la mercière d’Arras qui avait remporté 18 millions € au loto avait conquis 1,5 million de lecteurs et Grégoire Delacourt l'esquissait auprès de ActuaLitté : « Elle m’avait fait naître en tant qu’écrivain. La Liste 2 m’a permis de revenir à la vie ; l’écrire a été un nouvel envol, joyeux, heureux. J’ai d’ailleurs beaucoup ri en l’écrivant. Tremblé aussi. »
Renouer avec cette héroïne impliqua une discipline, précisait le romancier et surtout, « un temps de gamberge très long : écrire, c’est tout un monde que l’on pose sur une page. Ici, il fallait d’abord retrouver la langue, la chair du personnage parce que j’avais moi aussi évolué, mon écriture également ».
Se remémorer au présent l’écriture passée, fouiller les souvenirs et se les réapproprier avec celui que l’on est aujourd’hui. Un effort, certes, mais un plaisir avant tout : une phénoménologie qui éclaire différemment cette notion de newstalgie. L’expérience d’un état mnésique où celui ou celle que l’on est devenu(e) cherche à raccrocher les wagons, pour aboutir à cette reviviscence — le retour de ce que l’on a déjà éprouvé.
On prête à la nostalgie de diminuer la douleur — délicieux paradoxe — agissant comme un analgésique. Le thalamus intégre en effet les éléments positifs que véhicule la nostalgie, en tant qu’émotion où se retrouvent le soi, la mémoire autobiographique et la récompense. Autant d’éléments positifs qui finissent par apaiser... Après tout, la racine grecque est commune pour analgésie et nostalgie : le premier implique la suppression de la douleur, l'autre son retour.
Il devient de plus en plus courant que les écrivains prolongent les univers qu’ils ont construits par le passé. Le principe est d’ailleurs séduisant pour nombre d’auteurs des littératures de l’Imaginaire que de reprendre le cours de l’existence de leur personnage principal – des livres Conan, de Robert E. Howard aux personnages Hawkmoon ou Elric de Michael Moorcock, les exemples de ne manquent pas. Mais ces suites relèvent plus du feuilleton.
En revanche, la nouvelle Les Orphelins de l’Hélice, de Dan Simmons, se déroule des siècles après les événements de L’Éveil d'Endymion, le dernier livre de la série principale des Cantos d'Hyperion (trad. Guy Abadia). Plus qu’un sequel, le texte revisite l'univers pour montrer l'impact continu du mouvement Aenean et la lutte continue de l'humanité, dispersée à travers les étoiles, face à des défis anciens et nouveaux. Extension, certes, mais exploration surtout des thèmes et des références comme autant de clins d’oeil.
Outre l’univers, la nouvelle reprend des éléments clés tels que la technologie du voyage Hawking, le réseau des portails spatiaux, et les personnages liés à la saga précédente comme Raul Endymion. Elle détaille surtout les conséquences des événements des romans antérieurs sur de nouveaux personnages et des civilisations lointaines, intégrant l'histoire passée dans un contexte élargi.
En Fantasy, on citerait volontiers Abyme – cité évoquée dans le premier ouvrage – , de Mathieu Gaborit, qui approfondit le monde des Chroniques des crépusculaires. De la sorte, il plongeait plus en avant dans la culture, la politique et la magie de cette étrange ville, en reliant des personnages et des éléments de l'intrigue aux événements et aux personnages introduits dans son premier roman.
Les esprits chagrins (ou bas de plafond) s'arrêteront à l'idée que ces univers creusés sont un commode moyen de faire du neuf avec du vieux. Et qu'à ce titre, la newstalgie se résumerait à un art du recyclage. Mais la démarche créatrice consistant pour un romancier à retrouver un texte ancien .
Et pas moins qu’un certain Daniel Pennac. Entre Au bonheur des ogres, paru en 1985 et Aux fruits de la passion, qui acheva la saga de Malaussène, quatorze années s'étaient écoulées. Le cycle comptait alors six ouvrages en tout, et pourtant, en 2017, l’écrivain prit tout le monde de court avec Le Cas Malaussène : Ils m’ont menti.
Dix-huit années plus tard, l’auteur des 10 Commandements autour de la lecture se réappropriait Benjamin, son personnage phare, figure de proue de la famille travaillant chez un éditeur. « Je n’avais pas pensé à une suite durant toutes ces années », indiquait-il à La Presse. « J’avais envie de retrouver l’écriture des Malaussène. Je me suis offert ces retrouvailles. C’est un peu comme plonger dans une rivière de jeunesse. Je voulais voir si j’avais perdu le ton, les métaphores. J’étais content de les retrouver. »
Mais surtout, le romancier se défendait de tout passéisme façon Cabrel du type “c’était mieux avant”. A la différence de Grégoire Delacourt, son nouvel ouvrage était indépendant du précédent cycle. Et il faut envisager que l’auteur s’est pris au jeu : en 2023, il a publié Le cas malaussène : Terminus malaussène, ni plus ni moins que le tome 2…
Qu'est-ce qui poussa Marguerite Duras à retravailler son roman, L’Amant, paru en 1984 et reprendre ses propres écrits pour donner cette suite, L’Amant de la Chine du Nord, en 1991 ? De cette réécriture, survenue après l’adaptation cinématographique, on sait surtout qu'elle avait à l’esprit de gommer un aspect trop esthétisant.
Seul l’incipit de cette suite nous renseignait pour partie sur son projet : « Dans les histoires de mes livres qui se rapportent à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que j’ai évité de dire, ce que j’ai dit, je crois avoir dit l’amour que l’on portait à notre mère, mais je ne sais pas si j’ai dit la haine qu’on lui portait aussi. »
Il y avait aussi une forme d’urgence, précise-t-elle dans sa préface : « J’ai écrit l’histoire de l’amant de la Chine du Nord et de l’enfant : elle n’était pas encore là là dans L’Amant, le temps manquait autour d’eux. J’ai écrit ce livre dans le bonheur fou de l’écrire. Je suis restée un an dans ce roman, enfermée dans cette année-là de l’amour entre le Chinois et l’enfant. »
Revenir dans ce temps de l’écriture, apporter des précisions, un souci de véracité, un réalisme plus proche de ce qui fut. Quand bien même cette démarche ne concerne que des détails, elle consiste avant tout à s’imprégner de nouveau de l’imaginaire et de la vie de cette jeune fille qu’elle était.
En revisitant son enfance, à travers une nouvelle perspective, elle enrichissait également la narration d’une vision plus mature – dire ce qu’elle n’avait pas pu, faute de temps et de recul. En réalisatrice, elle avait aussi intégré des éléments cinématographiques, conférant un style plus visuel, tout en enrichissant la dimension introspective.
NdR : si newstalgie heurte les âmes francophones et francophiles, le terme de néostalgie pourrait lui être préféré.
Crédits photo : anncapictures CC 0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 17/04/2024
248 pages
Albin Michel
19,90 €
Paru le 30/03/2022
147 pages
Les Editions de Minuit
13,00 €
Paru le 24/01/2020
251 pages
Mnémos Editions
8,90 €
Commenter cet article