Le 15 janvier 2020, à l’occasion de ses vœux à la presse, le Président Macron annonçait la création d’une maison du dessin satirique et du dessin de presse. Depuis, rien, ou presque. L’annonce du lieu choisi pour cette maison devait être faite en janvier 2021, puis au printemps, puis à l’automne et… rien. ActuaLitté mène l’enquête, à la recherche du dessin perdu.
Le 16/11/2021 à 11:34 par Nicolas Gary
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16/11/2021 à 11:34
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Pour comprendre ce qui se joue, sans doute faut-il remonter à l’origine de cette interminable histoire. Quelque temps après l’assassinat de son mari par des terroristes islamistes, Maryse Wolinski trouve le courage de mettre de l'ordre dans l’insensé foutoir du bureau du grand Georges, dessinateur de génie, mais pas vraiment roi du rangement. Et là, surprise !, elle retrouve un rapport remis à Jack Lang par son mari en 2007 consacré au dessin de presse et qui préconise la création d’un établissement national, véritable fer de lance de cet art par nature éphémère.
Soucieuse d’œuvrer pour la mémoire de Georges et des autres dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés le 7 janvier 2015, Maryse Wolinski prend son bâton de pèlerin et part à l’assaut des dirigeants du pays pour faire en sorte que le rêve de Georges devienne réalité.
En 2017, l’élection d’Emmanuel Macron promeut Édouard Philippe à Matignon. Selon nos sources, il sera le premier à prendre fait et cause pour le projet, assurant Maryse Wolinski de son soutien. Il n’en démordra pas : tout le temps passé à la tête du gouvernement, il agira comme un aiguillon permanent pour la réalisation d’une maison nationale du dessin satirique et du dessin de presse. À l'époque, Françoise Nyssen occupe les bureaux de la rue de Valois.
Le temps de l’État étant ce qu’il est, c’est en octobre 2019 seulement que le cabinet de Franck Riester, récupère le dossier. Il missionne officiellement Vincent Monadé, alors président du Centre national du livre en janvier 2020 – lequel avait entamé le travail depuis quelques semaines déjà. Charge à lui d'identifier les missions de la future maison du dessin de presse, sa localisation et ses moyens. Confirmé par une lettre de mission signée du ministre Franck Riester, il commence son travail.
Franck Riester - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Rapidement, cinq localisations sont identifiées : Bordeaux, Limoges-Saint Just le Martel, Strasbourg et deux lieux à Paris.
« J’ai rencontré tout le monde, bien entendu », nous dit Vincent Monadé, « dont à trois reprises les gens de Saint-Just le Martel, où a lieu chaque année un festival important dédié au dessin de presse et qui revendique de devenir le lieu du futur établissement au nom d’une légitimité historique. Le meilleur projet à mes yeux était celui de Bordeaux, comme j’en avais informé le cabinet du ministre, avec lequel le lien était direct et régulier. Et puis, patatras, le COVID… » En effet, en mars 2020 tout s’arrête comme partout ailleurs dans le pays.
Quand Vincent Monadé peut reprendre sa mission, le paysage politique municipal a changé et Pierre Hurmic, le nouveau maire écologiste de Bordeaux — dont la politique culturelle, pour la neuvième ville de France, se fait encore attendre — rejette par un tweet, sans daigner recevoir le missionnaire, la candidature de Bordeaux.
Vincent Monadé reprend son bâton de pèlerin et son rapport et le remet en octobre 2020 à la nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. « Pour moi, nous assure-t-il, la mission s’arrête là. La ministre ne me reçoit pas pour la remise du rapport, comme c’est de tradition, mais je ne m’en étonne guère : le sujet ne l’intéresse pas, elle tarde à recevoir Maryse Wolinski, et c’est l’Élysée qui met la pression pour choisir vite et faire une annonce. »
Or, avant la remise du rapport commandé par son ministère, Roselyne Bachelot rencontrait Alain Rousset, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine. Elle avait tenu à venir avec un petit cadeau dans sa hotte : la future maison du dessin de presse, avance-t-elle imprudemment, sera bien implantée à Limoges et à Saint-Just le Martel, comme tous les élus locaux le réclament à cors et à cris. Selon nos informations, à l’Élysée, comme au sein de son propre cabinet, c’est la stupeur : nul n’était informé de cette annonce.
Vincent Monadé, qui avait réuni autour de lui dans un comité de pilotage Maryse Wolinski, le secrétaire général de Charlie Hebdo, Julien Sérignac, Xavier Gorce, Chappatte, Kak…, eut cependant la malencontreuse idée d’aboutir à une conclusion radicalement inverse. Pour lui, sans discussion, c’est le site de Paris sixième, rue du Pont de Lodi, qui est le meilleur site, et aussi, mais nous y reviendrons, le plus aisément sécurisable puisqu’installé dans une école en voie de fermeture, école qui a déjà connu des travaux de sécurité après les attentats de 2015.
Que se passe-t-il ensuite, attends-tu impatiemment de savoir, lecteur fidèle ? Rien. Néant. Que tchi.
La maison du dessin de presse plonge dans les limbes : plus personne n’en parle et, jusqu’au 27 octobre dernier, le gouvernement se tait. Même une tribune adressée au Président de la République par Maryse Wolinski, Riss, Xavier Gorce, Coco et quelques autres demeure sans réponse.
Puis, le 27 octobre, Marie-Ange Magne, députée de la Haute-Vienne, circonscription de Limoges, interpelle Roselyne Bachelot à l’Assemblée nationale sur le sujet. Laquelle répond que le choix est imminent maintenant, sans doute en mars 2022. Les auteurs, notamment, mais pas que, savent bien que la notion de l’urgence n’a, chez madame Bachelot, rien à voir avec celle du reste du monde. Ce retard serait dû au fait que le rapport remis par Vincent Monadé ne posait pas de diagnostic de sécurité. Dont acte.
ActuaLitté n'a pas pu en rester là.
Interrogé par nos soins, Vincent Monadé précise que « la sécurité des installations ne figurait pas dans la lettre de mission signée par Monsieur Riester — ce qui est bien normal puisque ce n’est absolument pas ma compétence. J’avais pris soin pourtant, dans mon rapport, d’indiquer que le site de Paris 6 comme le site de Limoges me semblaient aisément sécurisables, car, déjà, peu ouverts sur l’extérieur. Et j’avais demandé qu’on m’adjoigne un expert sur cette question de la sécurité, sans jamais recevoir de réponse du cabinet de Madame Bachelot. »
Ce qui étonne alors, c’est la mauvaise mémoire de Roselyne Bachelot. Impossible de croire que son cabinet lui ait préparé des fiches conduisant à mentir devant l’Assemblée nationale.
En effet, peu après ladite remise du rapport Monadé, en janvier 2021, Roselyne Bachelot commandait un rapport complémentaire à trois inspecteurs, en lien avec l’Opérateur du Patrimoine et des Projets immobiliers de la Culture (OPPIC). Selon les informations de ActuaLitté, un des attendus spécifiques de cette mission complémentaire, outre les questions budgétaires et de gouvernance, portait sur la sécurité des sites retenus par Vincent Monadé. Le nouveau rapport était attendu pour le 30 mars 2021, il y a donc presque huit mois…
Pourquoi la ministre de la Culture n’a-t-elle pas évoqué cette mission complémentaire devant Marie-Ange Magne, sachant qu’elle devait répondre, via les compétences reconnues de l’OPPIC, aux questions de sécurisation des sites ? Et surtout, pourquoi, parmi les sites retenus par Vincent Monadé, l’État n’a-t-il pas encore fait son choix ?
Madame Bachelot a aussi évoqué, devant l’Assemblée nationale, la question du soutien des collectivités territoriales au projet, affirmant que, si celles de Limoges étaient mobilisées, ce n’était pas le cas à Paris.
Là encore, la version de la ministre diverge fortement des souvenirs de Vincent Monadé, lequel nous dit avoir rencontré la directrice adjointe de cabinet de Madame Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, Anne-Claire Tyssandier, et l’adjointe à la Culture de Madame Anne Hidalgo, Maire de Paris, Carine Rolland.
Les deux l’avaient assuré du soutien financier que la Région Île-de-France et la Ville de Paris étaient prêtes à apporter au projet de maison du dessin de presse. Il l’avait consigné dans son rapport, que la ministre n’a pas rendu public. Et Valérie Pécresse, selon nos informations, avait confirmé son engagement devant Maryse Wolinski.
Dans une version franchouillarde de X-Files, la vérité serait ailleurs ? Selon nos informations, la question de la localisation de la future maison du dessin de presse fait l’objet d’une bataille entre l’Élysée, soutien d’une solution parisienne (comme Brigitte Macron l’avait laissé entendre à Maryse Wolinski lorsqu’elle l’avait rencontrée) et le ministère de la Culture, dont la ministre a, imprudemment, quasi annoncé le choix de la solution limousine.
Le rapport de Vincent Monadé, lui, était clair. Il retenait Paris comme la meilleure solution, la seule susceptible à ses yeux de garantir le succès et le rayonnement d’un futur établissement public national à vocation mondiale, ce qui explique peut-être pourquoi le ministère n’a pas publié son rapport.
En janvier 2022, cela fera sept ans que Cabu, Charb, Wolinski et les autres ont été assassinés par des terroristes islamistes. Faut-il patienter encore que le gouvernement, et le Président de la République se montrent à la hauteur de leur mémoire ? Et annoncent, quinze ans après le rapport de Georges Wolinski, la création attendue d’une maison du dessin satirique et du dessin de presse qui porte haut la liberté d’opinion à laquelle ils étaient viscéralement attachés.
crédit illustration : Alter1fo, CCC BY NC ND 2.0
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Toinou
17/11/2021 à 08:16
Petit complément :
La maison du dessin de presse existe déjà, elle a juste doublement le défaut mentionné dans votre texte : non seulement elle n'est pas à Paris, mais elle n'est même pas en France (quoique guère loin)...
Il n'y a qu'à se rendre à Morges, en Suisse, où la Maison du dessin de presse organise de superbe expositions depuis 2009. Je pense que si l'Élysée tient absolument à subventionner, ils ne diraient pas non.
Aradigme
18/11/2021 à 09:38
Les politiques, quelle que soit leur orientation, sont en général les plus égratignés par les dessins de presse. Ils ont beau avoir le cuir épais, caractéristique nécessaire pour exercer ce métier parfois difficile et souvent ingrat, certains dessins doivent les blesser de temps à autre. Vu la nature humaine, cela peut expliquer en partie que ce genre de dossier ne se trouve pas tout au-dessus de la pile à traiter.
Cecile
20/11/2021 à 21:43
Connaissant les propos de Chirac à l'égard de Charlie Hebdo, on ne pouvait attendre grand chose. Je pense par ailleurs que la majorité précédente aurait pu se saisir du sujet, surtout quand l'ancien PR passait son temps à commenter et bavarder avec tout le petit milieu.
Après pour se retrouver en "haut de la pile" vu les priorités du moment, sanitaire comme économique, c'est sûr que ce sujet ne passionne pas les foules ... Après je suis d'accord sur un point : les politiques sont des humains, avec leurs sensibilités, c'est vrai que certains dessins ne doivent pas leur faire plaisir (surtout qu'en la matière Brigitte Macron a eu le droit à des dessins particulièrement dégueulasses) mais il serait injuste de reprocher au PR actuel, comme l'insinue la tribune, de ne pas avoir défendu la liberté d'expression et de caricature, vu le tombereau d'injures et de menaces que Macron s'est pris dans la figure par Erdogan, les théocraties islamistes et les illuminés du Pakistan qui brûlaient en public son effigie ...
Frémion
27/11/2021 à 10:10
Pour répondre à mon ami Gorce, quand la BD s'est installée à Angoulême, elle était encore plus
ignorée et méprisée par le public (je le sais, j'y étais). L'acharnement des organisateurs et des créateurs a fait que c'est devenu la capitale mondiale de la BD, dans une ville de 60 000 habitants et que cela a lancé la vogue de la BD dans le public.
Par ailleurs, le jacobinisme séduit toujours les gens qui ne réfléchissent pas qu'une telle maison serait noyée dans les lieux consacrés à la culture à Paris. Avec un risque d'échec financier conséquent. C'est beaucoup moins onéreux en région.
Question sécurité : il y a eu de nombreux attentats à Paris, malgré une présence policière hallucinante. Il n'y en a jamais eu ni à Limoges ni à St Just le Martel en 40 ans de salon.
Enfin, installer la Maison à Paris, c'est, on le sait, la placer sous la houlette d'un politique ou d'un fonctionnaire aux ordres, qui en tuera l'esprit. Tous les lieux nouveaux sont soumis à cette règle paranoïaque de la maîtrise du culture par le politique (je suis bien placé pour le savoir). A St Just, il y a toutes les compétences nécessaires et un esprit exemplaire. C'est pourquoi l'immense majorité des dessinateurs (hormis Charlie, bien ingrat) ont signé pour le tandem limousin. Et moi aussi.
Frémion