L’industrie du livre aime se raconter des histoires — certains éditeurs en feraient même commerce. Voilà comment le mercato des auteurs, partant d’une maison vers l’autre, demeure sujet de conversation le plus prisé devant la machine à café. Des bruissements, parfois anecdotiques, qui en disent toujours long sur le secteur.
Le 05/07/2023 à 09:58 par Nicolas Gary
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05/07/2023 à 09:58
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À quelques jours des congés estivaux, l’un de ces traditionnels bourdonnements provoque un véritable tumulte. Deux auteurs stars de Robert Laffont (Editis) seraient pressentis chez Albin Michel : Marc Levy et Tatiana de Rosnay. Pour les uns, « la meurtrière rumeur » a encore frappé. D’autres haussent les épaules : être dans le secret des dieux nécessite des pass VIP. Sauf qu'ici, tous ont raison.
Le premier compte parmi les auteurs historiques de la maison : en 1999 sortait Et si c’était vrai… et depuis, Marc Levy n’a jamais fait défaut. Mieux : avec la création en 2009 des éditions Versilio, la collaboration s’est consolidée. Cette filiale numérique de Susanna Lea Associates, agence littéraire éponyme fondée en 2000, coéditera les romans de la star française. Sa dernière trilogie, 9, démarrée en septembre 2020, cumule 1,15 million d’exemplaires (grand format et poche, données : Edistat).
La seconde fut longtemps la figure de proue des éditions Héloïse d’Ormesson, qu’Editis a racheté en décembre 2018, après quatorze années d’indépendance. Avec Elle s’appelait Sarah, la romancière franco-britannique a vendu plus de 11 millions d’exemplaires — sans oublier un film de Gilles Paquet-Brenner en 2010, trois ans après sa parution. Cependant, en mars 2020, Tatiana de Rosnay voyait Les fleurs de l’ombre coédité chez Robert Laffont et Héloïse d’Ormesson, avant de rejoindre définitivement RL pour son roman suivant.
Entre 1998 et 2020, Robert Laffont aura connu pas moins de trois directions : depuis Leonello Brandolini à Cécile Boyer-Runge, arrivée en 2014, avant l’arrivée de Sophie Charnavel en 2020. Un turn-over qu’enrayerait l’arrivée chez Albin pour Marc Levy, accueilli dans une structure familiale. Un tel départ ne changerait significativement pas la donne pour les avances, mais procurerait une place de choix, sans concurrence.
Au sein d'un catalogue regroupant Werber, Grangé ou Schmitt, les ouvrages de Marc Levy se positionnent dans un segment spécifique et distinct. Et résolument pas aussi marqué, puisqu’avec sa trilogie 9, le romancier explore une fiction plus orientée intrigue et technologie.
Celui qui se classe toujours parmi les 10 auteurs les plus bankables trouverait un second souffle : best-seller en valeur absolue, les ventes de ses titres diminuent – à l'instar de l'ensemble du segment Littérature. Albin redynamiserait-il les ventes de grand format, tandis que l’écrivain apporterait sa voix à la maison ? Se poserait la question des poches : un contrat maintenu avec Pocket (à l’image de Maxime Chattam, que publie Albin) ou une transition chez Livre de Poche, partenaire naturel de la rue Huygens, qui en est coactionnaire avec Hachette Livre ?
Concernant Tatiana de Rosnay, les interrogations diffèrent : serait-elle déçue de son arrivée chez Robert Laffont ? Des promesses non tenues, de promotion et de valorisation, ont parfois un goût amer… En outre, sa relation avec la maison de Francis Esmenard a toujours été au beau fixe — bien avant même l’arrivée de Gilles Haéri. Nombre d’autrices publiées chez Albin, dont elle avait aimé le livre, bénéficièrent d'un mot d'accroches sur les célèbres bandeaux rouges, signé de sa main.
À LIRE - Tatiana de Rosnay : “Romancière, mais lectrice avant tout”
Certains relèvent aussi une proximité supposée avec Gérard de Cortanze, éditeur maison ou encore la présence de l'autrice Stéphanie Janicot, membre du prix de la Closerie des Lilas que l’autrice a fondé. « Cela n'a pas suffi, par le passé, à motiver un départ : prendre cette décision maintenant impliquerait d’autres motivations », estime une éditrice.
Comme celle d'accéder à une maison très identifiée sur la littérature blanche — Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Valérie Perrin, entre autres — et plus encore, la rentrée littéraire. Cette année, Albin lancera 17 romans français et étrangers, dont celui de Serge Joncour (transfert de Flammarion) ou Claire Berest (précédemment chez Stock).
De fait, certains rechercheraient légitimement un refuge chez Albin, sans que ce sentiment soit un dénominateur commun. La structure s’est en effet renforcée suite à un mercato plus courant : celui d’éditrices auxquelles les auteurs ont emboîté le pas. Confiance et loyauté priment parfois. À l’exception d’Agnès Ledig, qui a officialisé son retour, plusieurs ont gagné la rue Huygens sans alerter les médias – lesquels se sont bien gardés d'y prêter attention, ActuaLitté y compris.
Le départ des écrivains provoquerait un joli séisme, assurément pas dans l’intérêt de l’actuelle directrice, nommée en octobre 2020. Contactée par ActuaLitté, elle n'a pas pas donné suite à nos demandes de précisions. À l'occasion d'une réunion interne, elle avait bien démenti le départ de l'auteur – qui serait vécu comme une perte à la mesure de la relation entretenue depuis plus de vingt ans. Tatiana de Rosnay, arrivée plus récemment, susciterait moins d'émoi ?
L’agente littéraire de Marc Levy, Susanna Lea, n'a pas commenté cette situation. Cependant, de sources sûres, ActuaLitté apprend que l’auteur écrit actuellement son prochain ouvrage et que le départ n’est pas à l’ordre du jour. L'affaire semblerait pliée et une fois encore, ce murmure ne profiterait donc qu'aux personnes sur le départ d'Editis, négociant leurs émoluments.
Sollicitée par ActuaLitté, Tatiana de Rosnay n'a pas non plus répondu à nos demandes. Les plus attentifs se souviendront d'une coédition Albin Michel / Héloïse d'Ormesson, Manderley for ever, réalisée en 2015. La collaboration, qui aurait pu (dû ?) se prolonger, fit long feu sans raison manifeste. Pour autant, nous apprenons que son départ serait acté : la romancière rejoindrait donc prochainement la rue Huygens.
Quid de Marc Levy, malgré les dénégations ? L'avenir le dira...
De l'avis commun, ces indiscrétions induisent un brouhaha visant la déstabilisation du groupe Editis, suspendu à la décision de Bruxelles. La Commission européenne examine actuellement la candidature de Daniel Kretinsky (IMI) au rachat — alors qu’avec Vivendi, ce dernier a signé un accord pour la reprise à 100 % de l’entreprise. Un désaccord de Bruxelles enrayerait la machine, obligeant à revoir les conditions de la vente, repoussée d'autant, probablement sur d'autres modalités.
« La Commission n'a pas de commentaires à faire sur la procédure en cours et n'est pas en mesure de spéculer sur les étapes du processus ou son aboutissement », nous précise-t-on aimablement. Il n'empêche : un rejet du dossier mettrait une joyeuse pagaille.
Or, voilà des années qu'Albin Michel incarne l’un des rares groupes familiaux et indépendants à l'assise incontestée : Gilles Haéri, son président, approché et pressenti pour gouverner Editis, recrute à tour de bras. Anna Pavlowitch fut nommée en janvier 2022 au poste de directrice quand Martine Saada est devenue directrice de collection en septembre. Leur départ respectifs datent de décembre 2021, la première avait quitté Flammarion (Madrigall) tandis que la seconde était partie de Grasset (Hachette Livre).
Voici que se constitue un catalogue des plus diversifiés, avec des auteurs issus de MadriGrasStock. Exit le GalliGrasSeuil ! « La place centrale qu’occupe Albin sur l'échiquier est incontestable », analyse un visiteur du soir. « La maison incarne une valeur refuge pour des écrivains, surtout depuis le départ d'auteurs considérés comme polémiques, mais très gros vendeurs. » La maison se serait, selon certains, dédroitisée, sans arrêter de publier des ouvrages contestés, notamment un paquet de titres flirtant avec les théories du complot.
ENQUÊTE – Livres complotistes : comment la paranoïa rapporte des millions
Lors du bilan comptable annuel, l’argent n’a plus d’odeur ni d’origine : fiction, docs, non-fiction, etc. « Les best-sellers disparus ont laissé quelques trous dans la raquette : il fallait que le carnet de chèques soit à portée de main. » On songe à Éric Zemmour aussi bien qu'à Pierre Lemaître et son Goncourt. « Ils n’avaient pas le choix : la raquette avait des trous, suite à ces pertes. » Et si le groupe garde un penchant à droite pour la non-fiction, ce ne fut jamais le cas en littérature.
S’ajoute toutefois un paramètre non-négligeable : les ventes exceptionnelles de premiers romans, dont le livre suivant ne rencontre pas le même succès. L’exemple de Victoria Mas l’illustre parfaitement : Le Bal des folles réalisait 184.702 ventes en grand format (suivi de 189.964 en poche, données : Edistat), alors que Un Miracle, sorti trois ans plus tard (août 2022) a atteint 22.646 exemplaires. « Un cas classique », analyse-t-on. « Le premier ouvrage était monté si haut qu'il était difficile d'imaginer faire aussi bien avec le deuxième. »
« Le recentrage de la ligne éditoriale intervient en contrepoint du mouvement actuel : si des auteurs quittent Hachette Livre pour Albin, c’est aussi dans la perspective de ne pas entendre, dans les dîners mondains : “Alors, ça ne te dérange pas de bosser pour Vincent Bolloré ?”. Un point à ne surtout pas écarter », ajoute un observateur.
C’était l'argument avancé voilà quelques années encore pour qui envisageait de rejoindre Albin Michel — remplacer Vincent B. par Éric Z., la causalité demeure.
Reste qu'Albin Michel représente un des must-have parmi les maisons littéraires. « Ils ont les ressources, la force commerciale et la taille : tout ce qu’attend un auteur de best-sellers », poursuit notre interlocuteur. « Aujourd’hui, signer avec Editis, c’est l’assurance… de l’incertitude : tout est susceptible de changer du jour au lendemain. »
Rassurant... si l'on apprécie l'incertitude.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
3 Commentaires
Un libraire
05/07/2023 à 17:44
Albin Michel étant diffusée et distribuée par Hachette Livre, propriété de Vincent Bolloré, pose t'il des problèmes aux auteurs ?????
Un auteur
06/07/2023 à 07:17
Je pense que tout ça est un ramassis de conneries (excusez ma vulgarité cette fois légitime). Depuis certaines annonces dans le groupe Editis, certains membres de la direction font courir le bruit que madame Michèle Benbuna disjoncterai un peu et propagerait des bruits pour pouvoir négocier son départ. Si cela était avéré, pense t elle à ses collaborateurs qui lui ont été fidèles et toujours au garde à vous pendant ses années de règne ? L’esprit de vengeance n’est pas une belle preuve de remerciement pour ses équipes. Pour son départ ils devraient lui offrir une bible !
Roljo
07/07/2023 à 08:21
C'est vraiment triste et dèsolent.