Depuis quelques années, le binôme Denis Olivennes / Daniel Kretinsky va à l’amble. Cette association connut un point d’orgue quand le second signa un chèque de 14 millions € à Libération, dont le premier était directeur général. Avec la perspective du rachat d’Editis, dans son intégralité, le nom du haut fonctionnaire revient, revient, revient…
Le 24/03/2023 à 17:32 par Nicolas Gary
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24/03/2023 à 17:32
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En novembre 2011, Denis Olivennes dirigeait Lagardère Active, branche média du groupe d'Arnaud Lagardère. Des fonctions qu'il quitta en juillet 2018 avant, six mois après, d'intégrer CMI France - la structure médias que possède Daniel Kretinsky. Soit Marianne et huit autres publications qui furent achetées... à Lagardère. Une façon de donner le ton.
Fils du poète Armand Olivennes, le haut fonctionnaire compte aujourd’hui parmi les piliers de l'écosystème Kretinsky. « Il y a le nom, le réseau, et bien qu’il soit assimilé au monde des médias, sa présence ferait sens dans l’environnement Editis », note un observateur. « D’autant que si le parcours ne compte pas que des réussites, pour l’homme, l’industrie du livre charrie un certain prestige. Et donc, vend du rêve… »
Pour certains, il restera à jamais le rédacteur du fameux rapport de 2007, transmis à la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel. Un document qui fit date, puisqu’il déboucha sur la création de Hadopi, brillante tentative de l’État français pour mettre à mort internet. En avait d’ailleurs découlé l’ouvrage, publié chez Grasset, La gratuité c’est le vol. Quand le piratage tue la culture. Une œuvre de jeunesse, dont l’auteur ne demanda pas qu’elle fût rééditée…
L’actualité relance également l’intérêt par des chemins de traverse : ce 22 mars, la holding de Daniel Kretinsky, Vesa Equity, a consolidé sa prise de participation dans le groupe Fnac-Darty. Le milliardaire tchèque passe ainsi de 20 à 25,3 %, en tant que premier actionnaire de la structure.
À ce titre, rappelons que Denis Olivennes fut président directeur général de la Fnac entre 2003 et mars 2008 — il avait rejoint PPR comme directeur général distribution en 2002. PPR devint par la suite Kering et Olivennes quitta l'enseigne, dirigea Europe 1 – succédant à un certain Alexandre Bompard, qui l'avait remplacé à la tête de l'enseigne culturelle en 2011. Mais Fnac et Editis dans le même panier... comment dire ?
Certains avaient bien tenté d'opposer le binôme Hachette Livre/Relay au possible duo Editis/Fnac-Darty, considérant qu’il y avait là une forme d’équilibre des puissances. D’abord, notons que depuis le début de l’année 2023, les Grandes Surfaces Spécialisées (GSS), enregistrent une croissance de 6 % (données GfK) quand les GSA affichent un recul de plus de 5,5 %.
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Ensuite, mesurer Relay (Lagardère Travel Retail) à Fnac revient à comparer torchons et serviettes : si le premier vend des best-sellers et des chewing-gums (ainsi que de la presse et des écouteurs, tout pour le voyage), le second conserve une forte implication dans le secteur culturel. En 2014, le livre pesait pour 23 % du chiffre d'affaires de Fnac... aujourd'hui quid ?
Certes, le livre représente une part moindre dans les résultats globaux de Fnac-Darty. Mais dans le détail, l'édition bénéficie d'une forte implication : l’association avec le Goncourt des lycéens, la création du prix BD avec France Inter ou encore le prix du Roman, fondé en 2002…
« La Commission européenne se satisfera peut-être d’un candidat à la reprise intégrale d’Editis. Elle savourera moins l’idée que ce dernier dispose d’une connaissance approfondie du marché concurrentiel pour l’industrie. Et avec Fnac, c’est ce dont Daniel Kretinsky dispose », pointe un analyste.
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On opposera que Vivendi connaît toute la stratégie d’Editis, depuis la reprise et que la vente n’effacera pas les connaissances acquises. Certes. « Quand Bruxelles se montre aussi farouchement anti-Bolloré, le choix de Kretinsky c’est à se demander s’ils ne se sont pas tiré une balle dans le pied volontairement… » Et ce, avec le candidat le plus à même d’agacer plus encore l’autorité de la concurrence…
En outre, impossible d’oublier que le Tchèque a franchi en septembre 2021 la barre des 5 % dans le capital de TF1. Quelles synergies découleraient de cette triade entre la chaîne privée, le groupe éditorial et l’enseigne de distribution ? Associé au monde médiatique déjà disponible… on se demande bien comment la Commission européenne réagira.
Dans le rachat Fnac-Darty, Olivennes n’est certainement pas intervenu : de fait, on prête plutôt à Étienne Bertier, autre proche conseiller de Kretinsky, d’avoir été à la manœuvre. Pour autant, c’est ce même Bertier qui avait présenté les deux hommes, intervenant alors pour qu’Olivennes obtienne la présidence non exécutive du groupe CMI France.
Ainsi, l’homme qui dirigea brièvement Le Nouvel Obs se trouvait à la tête de Elle (et les différentes versions), Version Femina, Télé 7 Jours, Télé 7 jeux, France dimanche et Ici Paris. Et bien entendu, Marianne. De quoi faire dire au président fraîchement nommé que son patron était « un homme d’affaires brillant ».
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Avant d’ajouter : « Daniel Kretinsky ne veut pas perdre d’argent avec ses médias, mais il n’en attend pas non plus une rentabilité comparable à ses autres activités. » Qu’en sera-t-il pour Editis, une fois l’entité aux 53 maisons d’édition dans le giron du Tchèque ?
Alors existe-t-il un avenir pour celui qui, depuis novembre 2022, est à la tête du conseil de surveillance de CMI France ? Denis Olivennes aura-t-il d'ailleurs poussé auprès de Daniel Kretinsky l’investissement auprès de Vivendi ?
Les avis divergent — certains en font l’agent instigateur, d’autres le présentent plutôt comme réticent à ce rachat. Pour un Tchèque présenté comme francophile, cette prise de guerre se changerait en splendides atours.
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Sur l'an passé, les résultats d’Editis ont flanché, avec pour première conséquence une réévaluation drastique de sa valeur. Ainsi, la dépréciation entre le montant de l’acquisition et celui de la vente de 300 millions €. Pas tout à fait négligeable. Avec 789 millions € de chiffre d’affaires, le recul est de 8,1 % à taux de change et périmètre constant. Le résultat opérationnel ajusté passe de 51 à 31 millions € — soit 38,9 % de repli.
L'hypothèse d'Olivennes à la tête d’Editis n'effraie pas grand-monde : elle aurait même de l’avenir…. « On lui demandera de devenir le Arnaud Nourry d’Editis », en référence à l’ancien PDG de Hachette Livre. « Et pas de chasser des auteurs ni d’avoir un flair d’éditeur. » Un pilote pour l'avion, donc.
« Le départ de Guillaume Dervieux, qui n’en est pas un d’après la communication du groupe, bien qu’il ait disparu des radars, laisse une place pour l’avenir. » L’ex-directeur délégué à la stratégie, arrivé en janvier dernier avec une cible dans le dos, aura fait long feu : mi-mars, il était annoncé comme débarqué, juste avant un démenti d’Editis, le présentant comme « absent ». La cacophonie amuse, dans tous les cas.
Cette disparition qui ne doit rien à Georges Perec, accorde cependant un sursis à l’actuelle directrice générale, Michèle Benbunan, tandis que selon certains « Dervieux aurait été exfiltré par l’actionnaire [Vivendi, Ndr] dans la perspective de Hachette et du rachat de Lagardère », suggère un observateur.
« La problématique, pour Kretinsky, c’est de savoir s’il faut se couper le bras Olivennes, en considérant qu’il serait plus utile à redresser Editis… ou s’il suffit d’étendre ses fonctions actuelles. » Si l'intéressé a véritablement plaidé en faveur d'un rachat intégral, jusqu'où souhaite-t-il s'impliquer une fois la transaction réalisée ?
Qu’Olivennes prenne le pouvoir reste donc l’inconnue : « Il a certainement suggéré le deal, et peut-être même conduit pour Kretinsky », glisse un observateur. « On le voit cependant mal en patron opérationnel : peut-être à la présidence du conseil d’administration, oui… Dans tous les cas, il imprimera sa marque, car il est encore en phase avec cette intelligentsia mainstream. »
Pour certains, Denis Olivennes est d’ailleurs bien plus raccord avec l’industrie du livre qu’Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi. « Le second affichera une totale adhésion avec la future activité, si le rachat de Lagardère s’effectue. Mais le premier semble plus rattaché au livre », note un ancien de Vivendi.
Sans y toucher vraiment, Olivennes, « homme de vision et de réseaux », comme on le présente, incarnerait un représentant de l’actionnaire « parlant la même langue que les éditeurs à la tête des maisons ». De quoi rassurer les directrices et directeurs de structures — même si afflueront des personnalités de confiance et des journalistes avec des livres à produire, qu’il ne manquera pas de placer.
« Il a pour lui cette dimension “conseiller du soir”, entrepreneur, avec une capacité d’influence », reconnaît un éditeur de presse.
Grand lecteur, il s'est aussi aventuré dans l’émission de Public Sénat, Au bonheur des livres, depuis le 30 septembre 2022. Recevant deux auteurs à chaque rendez-vous, il assurait à Influentia : « J’ai la passion des livres depuis ma plus tendre jeunesse. Ils sont mon pays, ma famille, mes amis, mes plus chers compagnons. Quand j’étais enfant, assez solitaire, ils étaient mon refuge et mon échappatoire. »
Et d’ajouter : « J’aime les écrivains. Partager ce plaisir avec d’autres, quel bonheur ! […] Avec une seule boussole : le plaisir du texte. » Un prérequis indispensable pour gouverner le navire Editis, de toute évidence. À 62 ans, reste à ne pas rejouer le bateau ivre...
Crédits photo : FIDH, CC BY NC ND 2.0
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Hosnas
25/03/2023 à 21:36
En président du directoire ça paraît cohérent.
Mais il faudra quelqu'un de plus opérationnel et expérimenté qui connait l'édition et la maison.
Un Frédéric Mériot qui vient de quitter Humensis paraît être un candidat taillé pour le poste.
Pourquoi pas ?
27/03/2023 à 11:34
Excellente idée. Frédérique Mériot est bien plus compétent de Michèle Benbunan