En janvier 2013, le groupe Actes Sud remportait l’appel d’offres concernant le MuCEM — Musée des civilisations de l’Europe et de la méditerranée de Marseille. En juin de cette même année, la boutique-librairie allait être associée à la librairie Maupetit, propriété du groupe depuis 1998. Mais la concession changerait prochainement de mains, dans le cadre d’un AOT qui bénéficierait à la société Arteum, spécialisée dans les boutiques de musées.
Publié le :
17/12/2020 à 15:45
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Un « délitement qui perdure au sein de la librairie du MuCEM depuis plusieurs mois », voilà comment les salariés exposent la situation à Damien Bouticourt, directeur des deux librairies marseillaises du groupe basé à Arles. D’autant que les salariés s’interrogent sur l’avenir de l’établissement : « On entend depuis juillet 2020 qu’il n’y a “pas d’avenir à la librairie du Mucem”. Et pas de n’importe qui : cela émanait du directeur de Maupetit », nous indique-t-on.
Olivier Randon, le DG, assurait d’ailleurs mi-octobre que le groupe cherchait un repreneur — avant de confirmer qu’une reprise était en cours, ce 10 décembre, lors d’un CSE extraordinaire. De fait, un repreneur se présentait — le nom d’Arteum revient régulièrement dans les échanges — et la présidence du musée doit encore se prononcer, en l'occurrence Jean-François Chougnet président MuCEM.
« Arteum est spécialiste de la boutique de musée et de la fabrication et la vente de produits dérivés », indique un salarié des librairies Actes Sud. « Actuellement, le chiffre d’affaires de cet espace au MuCEM est composé à 95 % par le livre. Arteum ne tiendra pas ce niveau — d’un point de vue économique, les marges liées à la vente de livres restent moindres que pour les produits dérivés. »
À cette heure, on indique qu’un courrier commun signé par Actes Sud et Arteum doit parvenir à la direction de l’établissement public. Mais le service postal semble accuser un peu de retard. Dans le même temps, Arteum est connu des services muséaux, et l’on imagine mal un refus catégorique du MuCEM. De fait, officieusement, on sait que ce ne sera pas le cas, même si le livre n’occupera plus autant d’espace.
D’autant qu’il n’y a rien d’illégal dans la procédure : Actes Sud céderait l’espace dans le cadre d’un AOT – jusqu’en 2023, date à laquelle interviendra un nouvel appel d’offres. En somme, si les négociations se sont bien déroulées entre les deux acteurs, tout cela devrait rouler. En outre, le salarié du MuCEM qui était en charge des réceptions et retours a donné sa démission. « Et durant son préavis, il lui a été interdit de transmettre les connaissances qu’il avait, pour garantir que son travail se poursuive par la suite. »
« Lâcher la librairie du MuCEM est une idée qui vient du directoire d’Actes Sud », assure une proche du dossier. « Le groupe a clairement spécifié qu’il ne voulait plus faire supporter les pertes de la librairie à Maupetit. Et plus globalement, en finir avec le déséquilibre au sein des différentes branches, pour que les segments atteignent, a minima, l’équilibre. » En l’état, MuCEM réalise 950 k€ de chiffre d’affaires pour 2019, avec 35 k€ de déficit, quand le CA global des deux commerces représente près de 4,2 millions €. « Et Maupetit est légèrement bénéficiaire… », glisse-t-on.
Mais le groupe sait revenir au niveau local. « Au cours de présentations de résultats et d’objectifs, on nous a expliqué que Maupetit faisait figure de mauvais élève, par rapport aux autres librairies du groupe. » D’un côté, les ventes au niveau national vont devoir s’améliorer, de l’autre, on pose pour consigne, bien que jamais écrite, « de faire en sorte que les livres Actes Sud s’écoulent mieux dans les librairies du groupe ». Comme si Lagardère imposait aux Relay de vendre plus de littérature du groupe, parce que le premier appartient à Lagardère Travel Retail et que l’autre, Lagardère Publishing, n’est autre que Hachette Livre.
« Un peu, oui, un peu… » Une stratégie qui va jusqu'à envisager la fin de la remise légale de 5 % sur les livres, représentant plusieurs dizaines de milliers d'euros pour 2019 à récupérer.
Enfin, et surtout, reste la question des salariés et de leur devenir en cas de reprise : si Arteum venait à occuper l’espace librairie du MuCEM, dans quelles conditions cela s’effectuerait-il ? « La garantie que les contrats de travail soient repris n’est qu’à moitié rassurante (quelles modalités ? Quelle amplitude horaire ? Quelle rémunération le dimanche ? Quel management ? », questionnait le syndicat Sud Culture Solidaires dans un courrier à la direction des librairies. Autant de questions qu’il conviendrait d’adresser au futur occupant des lieux.
Le tout accompagné de demandes claires concernant les propositions de reclassement, de départ, avec cette lourde conclusion : « Les salariés doivent être traités correctement et respectés et pas uniquement quand ils servent de force d’appoint à la librairie Maupetit pendant les périodes de confinement et de fin d’année. »
Damien Bouticourt rappelle à ActuaLitté que Maupetit a été racheté en 1998 par Actes Sud « alors qu’elle était au bord de la faillite. Tout le personnel de l’époque avait été repris et l’activité avait pu reprendre. Depuis lors, les éditions Actes Sud ont toujours été présentes dans les moments critiques d’exploitation en apportant leur soutien financier ».
La librairie, filiale à 100 %, « est responsable de ses engagements financiers et de ses résultats ; elle est autonome dans ses assortiments, ses animations et les événements qu’elle organise. L’équipe qui la compose est stable et majoritairement présente depuis de nombreuses années ».
Plus globalement, le groupe éditorial apporte quelques éléments de réponse, dans un entretien.
ActuaLitté : Que représentent les pertes liées aux confinements pour la librairie MuCEM ?
Actes Sud : Les deux confinements représentent une perte de 50 % du CA 2019.
Pourquoi mettre un terme à l’AOT du MuCEM cette année, et non voilà deux ans, alors que l’établissement était visiblement plus déficitaire alors ? Corollaire : pourquoi ne pas attendre la fin de la convention avec l’établissement (donc 2023) — d’autant que d’importantes expositions arrivent ?
La Librairie du Mucem est un établissement secondaire de Maupetit : il y a donc consolidation des comptes entre les deux établissements. Si la reprise d’après confinement a suivi la tendance des librairies sur La Canebière, au Mucem les mois ont chuté à -40 % voire -50 %. Le projet initial doit trouver un nouveau souffle, une nouvelle dynamique pour permettre le maintien de l’activité et des emplois.
Dans ce contexte dégradé, la société Arteum nous ouvre une perspective qui nous parait adaptée pour l’ensemble des parties.
Elle offre surtout la certitude de maintenir l’emploi pour une équipe compétente et très professionnelle.
Une stratégie de redressement des branches déficitaires du groupe semble en cours : le MuCEM est-il victime de cette approche ?
Pour assurer sa pérennité économique, toute entreprise doit équilibrer ses comptes et ne pas mettre en danger, à terme, l’une ou l’autre de ses structures.
Néanmoins, le projet de cession est avant tout une réponse à une proposition d’Arteum qui nous parait solide et intéressante pour l’ensemble de l’équipe du Mucem et cohérente pour la direction du Mucem.
La perspective de pouvoir maintenir cette activité et l’emploi chez Arteum, société notamment spécialiste dans l’animation de librairies/boutiques dans des environnements culturels nous a paru convaincante et rassurante pour l’avenir.
La société Arteum et Actes Sud devaient faire parvenir un courrier au MuCEM pour acter de ce passage de flambeau : le président du MuCEM assure n’avoir rien reçu. Qu’en est-il ?
Un rendez-vous est programmé avec le Président du Mucem ; les informations partagées avec les salariés comme il en était convenu auraient dû rester confidentielles quelques jours de plus.
Comment va s’effectuer structurellement la transition entre Actes Sud et Arteum concernant l’AOT ? Dans quelles conditions s’opérera la cession de cette activité pour les salariés — la direction de Actes Sud a manifestement indiqué que les départs ne seraient pas favorisés.
Les salariés seront toujours les premiers informés des avancées de cette transition et de ses modalités ; cette partie est en construction afin de ne rien négliger de nos obligations envers les salariés : le maintien de la librairie et des emplois est une priorité.
Les équipes d'Arteum n'ont en revanche pas encore donné suite à nos demandes.
crédit photo : Mucem - Harald, CC BY SA 2.0
1 Commentaire
clemencenefaitplusrien
02/01/2021 à 01:25
Beaucoup de courage à la librairie Mucem repris par des vendeurs de tote bags, de mugs et certainement pas amoureux du livre...
Encore un lieu voué à la dispariton...