Originellement fixée au 19 avril, la décision de la Commission européenne dans l’affaire Vivendi/Lagardère a été repoussée au 23 mai. Puis au 14 juin. Bruxelles aurait déjà tranché en faveur de l’OPA et les grandes manœuvres approchent. Avec une première question : qui dirigera le groupe Editis, que Vivendi doit impérativement céder, une fois vendu à Daniel Kretinsky ? Petit exercice prospectif...
Le 24/05/2023 à 12:48 par Nicolas Gary
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Publié le :
24/05/2023 à 12:48
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Ce point n’a échappé à personne, et moins encore aux personnels d’Editis : une fois dans le giron de CMI France, les 54 maisons d’édition changeront de direction générale. À ce titre, les syndicats subissent de véritables pressions pour que les CSE et CSEC rendent leur avis sur ce rachat, avant le 31 mai désormais.
En parallèle, des réunions préparatoires débutent ce 23 mai, pour aider les organismes à se prononcer. Et ce, alors que les demandes réitérées de rencontrer Daniel Kretinsky et ses représentants n’ont pas abouti. Les représentants du personnel déplorent de ne pas pouvoir évoquer les questions sociales qui se poseront inévitablement, tout en étant pressés de se prononcer. Denis Olivennes, à la tête du conseil de surveillance de CMI France, a toutefois entamé une tournée dans le groupe pour rassurer les esprits.
« Si le but de l’opération est de nous contraindre à un rendu d’avis sans nous donner le temps ni les moyens de l’analyse, c’est la crédibilité même de l’opération qui est en cause », pointe la CGT Editis. En outre, avec Editis d’un côté et Fnac de l’autre, le milliardaire tchèque inquiète les librairies indépendantes. Sur ce point, le Syndicat de la librairie française monte déjà au créneau.
ANALYSE - Fnac-Editis : Kretinsky contre l'empire Bolloré
Des préoccupations compréhensibles, certes, mais gare à l’arbre qui cache la forêt. Le binôme Editis/Fnac représente un gros morceau, de toute évidence : celui que constituera Vivendi/Lagardère en est un autre...
Alors qui pour diriger Editis ? Le nom de Mathieu Gallet a circulé plusieurs semaines, sans certitude. « Il vient des médias, avec un passage dans la vie politique : sa présidence à Radio France s’est finie en eau de boudin, mais ce serait un candidat intéressant », estime un observateur. « À ce détail que pour la piloter Editis, on imagine mal quelqu’un qui ne vienne pas du sérail. »
Précisément : l’autre candidat putatif serait Gilles Haéri. Nommé PDG de Flammarion en juin 2015, il avait rejoint Albin Michel trois ans plus tard. Passé président de la maison et mis à la tête de la holding que préside Francis Esmenard, il représenterait le client idéal, aux yeux de certains.
« La maison publie Denis Olivennes depuis 2018, les deux hommes se connaissent forcément », note-t-on. Pas forcément pour ses scores de vente, cela dit : son dernier ouvrage, Un étrange renoncement, sorti en septembre 2022 s’est vendu à 3052 exemplaires (5367 pour Le délicieux malheur français, septembre 2019 et 5263 pour Mortelle transparence, février 2018 — données : Edistat).
Garder les gardiens
Si l’on prête aux deux hommes des accointances, le choix de Haéri se justifierait à plus d’un titre. « C’est un profil financier, à même de remettre de l’ordre dans les comptes. Et les maisons du groupe sont dirigées par des éditeurs, sur lesquels il se reposerait », analyse un acteur du livre.
Mais l’intéressé aurait-il envie de quitter le poste chez Albin ? « Francis Esmenard est l’un des plus grands consommateurs de DG de l’industrie », glisse un connaisseur. « Cinq ans, c’est presque long ! » Le départ arrangerait-il le président de la holding, qui a vu la ligne éditoriale de sa maison passablement modifiée depuis sa prise de fonctions ? On le chuchote…
« Esmenard sait précipiter le cours des événements quand il le souhaite », poursuit notre interlocuteur. « Dans ce jeu de chaises musicales à venir, un départ se conçoit. » Le fait est, reconnaît-on unanimement, que Gilles Haéri coche bien des cases, en regard des critères de Denis Olivennes. « Il serait en mesure de dés-affecter un groupe qui a été dirigé sur l’affect, ces dernières années. Et cela, sans faire d’ombre à ceux qui incarnent les maisons : éditeurs, auteurs... Dans l’édition, les grands patrons restent discrets », abonde un observateur.
Contacté par ActuaLitté, CMI France n'a pas souhaité faire de commentaires et Gilles Haéri n'a pas répondu à nos demandes.
La nature ayant horreur du vide, cet hypothétique transfert impliquera de recruter. Et le monde du livre, toujours friand d’histoires, s'en raconte à foison et se change en bookmaker, pariant sur des candidates. « On pense évidemment à Véronique Cardi, qui était pressentie chez Albin, mais aura finalement pris la direction de Lattès », note une éditrice.
On aime tant spéculer, dans l'industrie, que même Sophie de Closets, pourtant fraîchement arrivée à la tête de Flammarion, se voit prêter des aspirations albiniennes. « Aura-t-elle les coudées aussi franches chez Madrigall, qu’elle a pu les avoir chez Fayard, à l’époque d’Arnaud Nourry ? » Après tout, elle retrouverait chez Albin l'ancienne éditrice de Grasset Martine Saada, partie avec plusieurs de ses auteurs chez Albin en septembre 2022, pour créer sa propre collection littéraire.
Et tout à coup...
La perspective d'un pareil transfert se révélerait intéressante à plus d’un titre : Albin Michel est diffusé et distribué par les structures de Hachette, mais possède tout de même Dilisco, sa propre société de diffusion-distribution. Un secteur que l’intéressée connaît particulièrement bien, pour avoir dirigé celui de Hachette, justement.
Les plus retors ourdissent même des scénarios fantasques. Joël Dicker, avec Rosie & Wolfe, Éric Zemmour et Rubempré ou encore Riad Sattouf et Les Livres du futur : tous ont en commun d’être distribués par Interforum. Si l’actuelle DG d’Editis entrait chez Albin, ces auteurs la suivraient-elle avec leurs maisons d'édition ? Ce qui, accessoirement, signifierait le retour indirect de Monsieur Z chez Albin...
Ces sociétés représentent des machines à cash pour la diffusion-distribution, et impliquerait « que l'on procède à des aménagements pour que Dilisco soit en mesure de les prendre en charge », analyse un diffuseur. Sauf qu'un coup plus fameux encore reste à concevoir : qu'Albin rejoigne Interforum. « Au-delà du clin d’œil historique, elle ferait là un fameux pied de nez fantastique. Aux échecs, un tel transfert s’appellerait un grand roque », s’amuse un universitaire.
En effet, en 1963, Albin Michel, Stock et Robert Laffont s’étaient unis pour former une société de distribution commune appelée Forum. Sa fusion avec Inter (fondée par Pierre Seghers), aboutit à la création d’Interforum en 1972, entraînant le départ d'Albin. Les éditions passèrent par Hachette pour leur distribution, avant de faire le chemin inverse en 1981 – date à laquelle Francis Esmenard devint président-directeur général.
« L’idée est séduisante, avec des implications profondes : quand Albin est revenu chez Hachette distribution, ce fut contre une prise de sa participation dans Livre de Poche », rappelle un éditeur. Ainsi en 1999, Albin obtenait 20 %, puis 40 % en 2003. Qu’adviendrait-il de cet accord en cas de départ — à quelle échéance serait-il d’ailleurs possible, alors que le contrat d’Albin s’achevait en 2022 et a été reconduit.
On envisagera donc ces suppositions avec prudence, sans négliger les conséquences sur le marché. « Cela démontrerait la puissance de Kretinsky : un tel contrat consoliderait significativement la position d’Interforum », pointe un observateur. « Depuis l’acquisition par Vivendi, Editis, numéro 2 de l’édition française a perdu en valeur, quand le numéro 1, Hachette, bat des records. Le transfert d’Albin comblerait un peu le fossé qui se profile entre les deux groupes éditoriaux, avec l’OPA sur Lagardère. »
Et l’on retrouverait surtout Kretinsky le financier, dans une position semblable à celle d’Ernest-Antoine Seillière : sa société, Wendel Investissement, avait déboursé 660 millions pour reprendre Editis, en 2004. Quatre ans plus tard, le fonds cédait à Planeta pour 1,026 milliard € : l’histoire se répétera-t-elle avec Kretinsky, en mesure de valoriser et revendre Editis ?
Avec une différence notable : contrairement au milliardaire tchèque, le baron Seillière n’avait affiché qu'un goût modéré pour la littérature…
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
4 Commentaires
Roudoudoux
24/05/2023 à 17:41
Les équipes d'Editis et les services financiers ont de quoi s'étrangler a la lecture du commentaire d'un acteur du secteur du livre "même de remettre de l’ordre dans les comptes" qui laisse penser qu'Editis serait mal géré ou en proie à des dénses somptuaires !
Sucette à l’anis
26/05/2023 à 08:46
Ce qui m’interpelle dans cet article c’est que les CSE vont donner des avis sans avoir eu le temps, les moyens d’une analyse, c’est ce qui est écrit. Vous n’avez pas nommer d’expert afin d’avoir une analyse complète pour vous aider ? Si c’est le cas c’est grave ! Pourquoi est-il écrit que les syndicats ont la pression ? Si c’est le cas, là aussi c’est grave. Et ensuite quand vous aurez donner vos avis le 31 mai, que va-t-il se passer entre le 1er juin et le résultat de la commission ? Qui va tenir le gouvernail ? Qui prendra les décisions importantes ? Si vous aviez nommer un expert vous auriez toutes ces réponses. Moi je suis salarié et je ne sais rien !!!!!! Aucune info de mon CE, de ma direction, c’est le flou complet pour moi
Cgt Editis Filpac
26/05/2023 à 12:36
DERNIER COMMUNIQUE CGT
Le processus d'acquisition d'Editis par le groupe CMI n'est pas achevé, que déjà Editis envoie des signes peu rassurants (inquiétants ?).
Le 21 avril dernier, on reportait de "quelques semaines" les avis des CSE et CSCE, pour donner à tous, syndicats, Secafi, le temps de la réflexion, et que des échanges aient lieu avec des représentants de CMI France.
Le tout, pour que les CSE et CSEC rendent un avis avant le 31 mai.
Nous sommes le vendredi 19 mai, des réunions préparatoires seront organisées avec Secafi à partir du mardi 23 mai : huit jours, seulement, pour que les CSE et CSEC se prononcent sur un dossier aussi déterminant.
Nous avons logiquement demandé à rencontrer M. Kretinsky et ses représentants français, dont M. Olivennes. On savait la direction de CMI en discussion avec des éditeurs et des distributeurs (Fnac, Casino), elle pouvait bien rencontrer des représentants du personnel, et préparer aussi le terrain social.
Nous attendons toujours.
Si le but de l'opération est de nous contraindre à un rendu d'avis sans nous donner le temps ni les moyens de l'analyse, c'est la crédibilité-même de l'opération qui est en cause.
Nous demandons donc à la direction d'Editis et à CMI de ne pas entacher le redémarrage d'Editis de mauvaises pratiques, mais plutôt de le marquer par une vraie dynamique de négociation sociale.
Didier Glachant
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Charles
26/05/2023 à 13:39
Pression sur les syndicats ? Des bruits de couloirs courent sur le fait que la DRH du groupe appelle les syndicats et secrétaires pour influencer les avis, et ce matin encore il en était question. Est-ce vrai ? et est-ce que les syndicats vont écouter la DRH Groupe ?