Depuis le début de l'année 2021, le manga bat tous les records de vente dans les librairies françaises. Pour entretenir l'engouement et s'assurer la fidélité d'un public qui pourrait se contenter de versions numériques, voire de scans illégaux, les éditeurs n'hésitent pas à publier des versions collector, en quantité limitée. Maisons d'édition et libraires ne peuvent toutefois que constater le développement d'un marché parallèle, où la revente se fait au prix d'une intense spéculation.
Le 02/07/2021 à 13:23 par Antoine Oury
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Publié le :
02/07/2021 à 13:23
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Sur les plateformes d'achat et de vente, Le Bon Coin, Vinted ou Ebay en tête, certains mangas se vendent jusqu'à cinq fois leur prix en librairie, voire plus. L'Attaque des Titans ou One Piece ressortent, avec des titres bien particuliers : les éditions collector.
Ces dernières, comme leur nom l'indique, sont des éditions « de luxe », ou présentant en tout cas des caractéristiques notables, généralement une couverture alternative ou spécifique à ce tirage. Le tome 98 de One Piece, chez Glénat Manga, est ainsi présenté dans un étui en simili-cuir. Ces éditions sont généralement un peu plus coûteuses à l'achat (10,75 € pour l'édition collector contre 6,90 € pour l'édition normale du tome 98 de One Piece, en l'occurrence).
« [T]outes les versions proposées, qu’il s’agisse de coffrets ou de volumes collector, se réalisent en accord avec l’ayant droit », nous explique Benoît Huot, responsable éditorial manga chez Glénat Manga. La création de ces éditions collector peut être une « reprise » d'une édition existante, comme cela a été le cas pour le coffret Akira de l'éditeur : il s'inspire de l'édition américaine et de ses 6 volumes, en ajoutant toutefois le Akira Club, sorte de compilation de dessins préparatoires et dérivés de la série culte de Katsuhiro Otomo. « Il a donc fallu adapter les formats, les images et les gabarits pour que l’ensemble corresponde », indique l'éditeur.
D'autres éditions collector sont des propositions éditoriales propres à l'éditeur français. « Si nous réfléchissons à une proposition inédite, nous tâchons d’envisager toutes les éventualités : les attentes du lectorat, les surprises que nous pouvons leur concocter, les délais de production, etc. Cela suppose de nombreux échanges et réflexions parmi les équipes, pour rebondir sur les idées des uns et des autres », détaille Benoît Huot.
Vient ensuite une étape cruciale, celle de la présentation aux ayants droit, avec lesquels les discussions « permettent de compléter ou moduler certains points. Une fois le concept validé, la production peut réellement commencer. » Parfois, l'accord avec les ayants droit est impossible, menant à l'annulation du projet : Kazé, éditeur de mangas et d'anime, en a fait la mauvaise expérience fin 2020 avec l'annulation d'un coffret Blu-Ray de la série The Promised Neverland, retoqué par les ayants droit.
Pour One Piece, série qui compte parmi les grands succès récents du manga, « nous voulions célébrer l’approche et l’arrivée emblématique du tome 100 de cette série. Il nous a donc semblé pertinent d’accompagner l’attente de ce tome en proposant des versions collector des volumes précédents. Le tome 97 de janvier 2021 serait une version normale tandis le tome 98 d’avril 2021 une version collector avec effet bronze. Et, fort logiquement, le 99 de septembre aurait un effet argent pour finir par de l’or pour le tome 100 », expose le responsable éditorial manga de Glénat.
Les éditions collector des différents éditeurs ne sont ni signées, ni numérotées, et leur coût n'est pas si élevé au regard des éditions « normales ». Leur valeur provient finalement de leur rareté, rareté toute relative puisqu'une réimpression reste possible, les exemplaires n'étant pas numérotés - les éditions Pika ont ainsi réimprimé l'édition « limitée » du tome 33 de L'Attaque des Titans après une rapide rupture. Un cas exceptionnel, cela dit.
Cela reste toutefois un fait, même si les éditeurs rechignent à avancer les tirages exacts : les éditions collector sont plus rares que les éditions « normales ». À leur parution, la ruée dans les librairies, grandes surfaces culturelles ou centres commerciaux est sensible, et les chiffres de vente à J+1 sont souvent élevés, les fans d'une série étant très au fait de son actualité.
Pour disperser les exemplaires collector en librairies, de plus en plus d'éditeurs ont recours à une formule arithmétique qui varie peu : « La mise à disposition des versions collector obéit en parallèle à un ratio par rapport au nombre d’exemplaires de la série courante, afin de laisser à tous les points de vente la même proportionnalité d’assortiment. Par ailleurs, les quantités sont plafonnées à un certain nombre d’exemplaires par point de vente, pour limiter la distorsion de l’offre entre les différentes librairies » résume Benoît Huot pour les éditions Glénat.
Le groupe Hachette, propriétaire des éditions Pika, a récemment introduit la même règle, en proposant aux libraires un exemplaire collector pour trois exemplaires normaux commandés. Sollicité, la maison Pika n'a pas souhaité répondre à nos questions.
« Quelque soit la quantité de tomes collector que l'on a en boutique, ils vont se vendre », souligne Nicolas Noell, de la librairie Rêve de Manga, à Aix-en-Provence. « L'inconvénient de ces systèmes, c'est que cela nécessite de stocker énormément de versions normales en boutique, qui seront plus compliquées à vendre. Pour le libraire comme pour l'éditeur, le risque est de se retrouver avec beaucoup de retours de l'édition normale. »
Ces opérations de stockage, puis de retour des exemplaires normaux, sont assez complexes pour les libraires : la trésorerie comme la logistique ont parfois du mal à suivre. Mais ce système, aussi imparfait soit-il, permet de servir un maximum de points de vente.
Libraires comme éditeurs constatent depuis quelques mois la multiplication d'épisodes de forte inflation des prix des éditions collector de titres manga, dès le lendemain, voire le jour même, de leur parution. Des annonces fleurissent sur les sites grand public comme Le Bon Coin, Vinted, Fnac, Rakuten ou Ebay, proposant des éditions collector à des prix prohibitifs.
« Les éditions collector existent depuis un moment, dans le manga », se souvient Nicolas Noell, libraire spécialisé depuis 2010. « Mais il y en a beaucoup plus maintenant, et la demande a explosé. » Une explosion de la demande qui s'explique par l'attrait légitime des lecteurs passionnés — de plus en plus nombreux ces dernières années —, mais aussi par les considérations vénales de spéculateurs.
La rupture de l'édition limitée du tome 33 de L'Attaque des Titans (Pika), en avril 2021, avait ainsi été causée, selon des connaisseurs du secteur, par des achats en lot effectués par des spéculateurs. Le calcul est en effet vite fait : 8 éditions collector achetées pour moins de 100 € pourraient conduire, après revente, à un bénéfice de plusieurs centaines d'euros...
Parue le 19 mai chez Glénat, l'édition collector du tome 98 de One Piece grimpe en effet à 63 € (contre 10,75 € à l'origine) le jour même de sa parution, comme l'indique le site Chasse aux livres, d'où est tiré le graphique ci-dessous. Dès la parution, le titre collector apparait à des prix astronomiques sur internet.
Les livres, beaux livres ou bandes dessinées sont des objets qui, d'une manière générale, n'échappent pas à la spéculation : les maisons de vente aux enchères en savent quelque chose. Et le manga a tout à fait droit aux mêmes égards — ce qui inquiète ici, c'est plutôt la rapidité et la violence de cette spéculation. Que l'on tente de revendre 280 € un manga quelques semaines après sa parution (voir ci-dessous) relève après tout de la liberté du consommateur.
Une annonce sur le site Rakuten pour le tome 98 de One Piece
« Concernant la spéculation, les points de vente sont libres de commercialiser leurs références comme ils l’entendent et nous ne pouvons malheureusement pas nous mettre derrière chaque caisse afin de nous assurer des quantités vendues », remarque toutefois Benoît Huot.
Nicolas Noell, de la librairie Rêve de Manga, applique une méthode plutôt futée pour « attribuer » ses éditions collectors. « Pour One Piece, j'avais 80 collectors, mais 140 personnes qui me la demandaient. J'ai choisi de servir ceux et celles qui étaient vraiment clients de la série chez moi, en utilisant les données des cartes de fidélité de ma boutique », explique-t-il. « Par ailleurs, pour favoriser les véritables collectionneurs de la série, ceux qui ont eu le tome 98 collector sont assurés d'avoir le 99 et le 100 à leur sortie. » Selon le libraire, passer par un système de précommande ne ferait que déplacer le problème, puisque les spéculateurs pourraient y recourir.
Concrètement, les éditeurs et les libraires sont quelque peu démunis face à ce phénomène de spéculation. Il est finalement assez similaire à celle qui sévit plus généralement dans le secteur du livre, associée aux méthodes propres au dropshipping.
Ce dernier « consiste à vendre un livre sur une place de marché à un prix supérieur au prix de vente au public », selon une définition proposée par le Médiateur du livre, chargé de la conciliation des litiges portant sur l’application de la législation relative au prix du livre. Cette pratique s'est multipliée sur de nombreuses plateformes, les ouvrages étant présentés par les spéculateurs dans des états « comme neuf », « neuf » ou « d'occasion », au choix, mais toujours à des prix prohibitifs.
Le dropshipping compte sur la naïveté de l'acheteur, son manque d'attention, ou encore son désir de posséder un livre indisponible — quand bien même la rupture de stock ne serait que temporaire.
Détail d'un dessin du manga Fairy Tail de Hiro Mashima, publié par Pika en France
Pour tenter de recadrer la vente de livres sur internet, le Médiateur a rappelé que vendre un ouvrage présenté comme neuf à un prix différent de celui pratiqué par l'éditeur contrevient à la loi sur le prix unique du livre. Mais, au-delà de ce cas précis, rien n'empêche, dans les faits, un spéculateur d'acheter 10 exemplaires collector pour les revendre quelques jours plus tard dans un état « comme neuf » ou « d'occasion ». Peut-on en effet considérer qu'une vente d'un livre à l'état neuf à un tarif différent de celui fixé par l'éditeur contrevient au prix unique de ce livre, si ce dernier n'est plus commercialisé ?
Sur certaines plateformes de librairies, comme leslibraires.fr ou Place de libraires, qui sont touchées par ce phénomène de dropshipping, les libraires ont pu observer « des commandes de 10 exemplaires collector par une même personne, ce qui débouchera forcément sur une spéculation », décrit Nicolas Noell. Des cas aussi évidents peuvent être repérés et évités, mais plusieurs petites commandes pourraient faire l'affaire pour contourner l'obstacle.
Mais, oppose Benoît Huot, « si plusieurs personnes collectionnent une même série au sein de la famille, est-il juste de déterminer arbitrairement qu’une version collector se limite à un exemplaire par foyer ? Est-il légitime de priver des lecteurs de leur exemplaire s’ils se sont organisés pour qu’un ou une proche leur prenne un exemplaire en plus, parce qu’ils n’étaient pas disponibles ? »
Finalement, l'information sur la spéculation, et l'attitude raisonnée des points de vente - librairies, mais surtout centres commerciaux et grandes surfaces culturelles - et des plateformes en ligne semblent les meilleurs moyens de freiner le galop de la spéculation...
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
11 Commentaires
chiipoter
03/07/2021 à 16:49
Article très intéressant, même s'il ne m'apprend rien car je suis déjà au fait du sujet, comme dit à la fin, le meilleur moyen de lutter contre ce phénomène c'est d'informer dessus.
Arck
03/07/2021 à 18:10
Cette pratique me dégoûte, habitant en campagne je n'ai pas de librairie a proximité pour m'assurer mon collector, je me fais du coup souvent avoir par ceux achetant en masses... Il serait temps de trouver une solution du côté des éditeurs, comme des réimpressions pour casser le prix des spéculateurs et permettre aux véritables collectionneurs d'avoir accès à leur collector. Comme mentionné dans l'article les ouvrages ne sont pas numérotés donc je ne comprend pas ce qui freine les Éditeurs à sauter le pas de la réimpressions au vu de la forte demande.
Je crain le pire pour le tome 30 de MHA, le tome 19 de Demon Slayer et le coffret The Promised Neverland sortant en octobre...
Nacil
05/07/2021 à 13:15
Je comprend ton point de vue, moi aussi je n'aime pas cette pratique, mais la réimpression rend l'objet collector moins rare et donc enlève de la valeur dans la collection je trouve. À mon avis le meilleurs moyen est de limité les achats à 1 article par personne (ce que font déjà certains magasins). Le tome 30 de MHA est déjà en rupture de stock en ligne depuis environ 1h/2h après sa mise en précommande il y a environ 1 mois (heureusement que j'ai réussis à l'avoir).
Arck
06/07/2021 à 14:36
Je comprend ton point de vue mais ce ne sont pas de vrai pièces de collection, ce ne sont pas des objets fait pour prendre une valeur de dingue et surtout ce ne sont pas des tirages numérotés. Au final que l'édition spéciale du tome ait de la valeur ou non, on s'en fou ? la valeur de l'objet c'est celle qu'on lui donne, pas celle qui est donné par le marché spéculatif. Enfin c'est juste mon point de vue, de mon côté que le tome collector que j'ai dans la bibliothèque gagnent 10-50-100€ de valeur je m'en moque car c'est pas un objet que j'ai acheté pour revendre et gagner de l'argent ^^
Et à mes yeux que mon tome collector soit dans 1000 ou 10 000 foyer, ça ne change rien pour moi, j'achète l'objet car il me plait, pas parce qu'il est limité en nombre, c'est surtout ça l'idée ^^
Arck
06/07/2021 à 14:40
Après oui, si toutes les boutiques limitais l'achat à 1 par personne ça serait déjà pas mal mais on va pas se mentir, c'est impossible à mettre en place et surtout on ne peux pas leur imposer. Chez Amazon/Fnac ce qui compte c'est de vendre donc que ça soit 10 personnes différentes, ou une seule personne qui achète 10 tomes, pour eux ça revient au même, c'est du chiffre et c'est tout, c'est dommage mais je pense pas qu'on pourra changer ça :/
Shuiji
03/07/2021 à 19:38
Merci pour la pub 😘
Arck
03/07/2021 à 23:54
Si c'est vraiment toi, y'a pas vraiment de quoi être fier
Tonio
04/07/2021 à 15:13
Merci Captain Obvious. Vous venez de m'apprendre que des gens spéculent sur des collectors ! C'est une pratique hyper récente alors. Dire qu'avant cet article, la cupidité n'existait pas ! Oh wait, cupidité, je viens d'inventer un mot, il faut que je dépose les droits !
chiipoter
04/07/2021 à 16:03
Bah dans le milieu du manga cette folie est quand même nouvelle, c'est seulement depuis cette année qu'il est devenu quasi impossible de trouver un collector day-one en librairie. Je n'avais jamais vu ça, tout passe dans les preco, plus rien à vendre chez les libraires. Ça a toujours existé, c'est juste que maintenant ça a pris une ampleur folle.
honegg
05/07/2021 à 07:55
Ça n'a pas toujours été comme ça dans le milieu du manga, pas la peine de prendre des airs aussi condescendants :/
Les collectors One Piece (83/84/85) vendus 6.90 en 2016~ n'étaient absolument pas en rupture partout le jour même. L'engouement est devenu vraiment important, perso j'ai du faire une course dans un Furet Du Nord pour avoir un tome 98 collector, et ça ne serait jamais arrivé il y a quelques années
Spira
11/09/2021 à 23:54
Bonjour, est ce que je peux savoir où est ce que vous savez que des tomes collectors vont sortir et la date de sortie s’il vous plaît ?