Secteur des plus dynamiques depuis plusieurs années, le livre audio numérique est porteur de mille promesses pour les éditeurs. Mais serait-il déjà calcifié dans des habitudes tirées de l'âge de la lecture imprimée ? Nathan Hull, responsable de la stratégie de Beat Technology, revient sur l'intérêt, pour l'éditeur et l'auditeur, de faire un peu de découpage...
Le 10/01/2024 à 09:06 par Auteur invité
1 Réactions | 571 Partages
Publié le :
10/01/2024 à 09:06
1
Commentaires
571
Partages
Pourquoi les livres audio adoptent-ils toujours un format miroir à une lecture traditionnelle du livre ? Pourquoi sont-ils publiés d'une manière si conforme aux habitudes ? Pourquoi y a-t-il si peu d'expérimentation en ce qui concerne la longueur du format ou la régularité des publications ? Les données recueillies sur dix marchés montrent clairement que les habitudes d'écoute d'un utilisateur peuvent préférer une forme plus courte et des contenus périodiques, publiés régulièrement.
Ce livre est si épais qu'il en est intimidant : nous avons tous déjà ressenti ce sentiment de lecteur. L'équivalent existe avec les livres audio numériques. Il y a souvent un onglet, flagrant, qui vous hurle au visage 21h15 ou 9h08 de long. Pour certains, dont moi-même, cette précision me mine, même si je sais que je peux faire plusieurs choses à la fois en écoutant. Mais, chaque fois que mon regard s’arrête sur une mesure de ce type, je me pose inévitablement une question. Pourquoi les livres audio sont-ils toujours (pour la plupart !) publiés ainsi ? Comme des miroirs du livre original.
Une partie de la réponse, du moins sur les marchés les plus matures, se trouve sans doute dans le modèle original d'Audible : un livre/un crédit. Inconsciemment, les lecteurs et lectrices se tournent alors vers les titres les plus longs, afin d'obtenir un meilleur rapport qualité-prix. Quant aux éditeurs, ils sont satisfaits car leur prix de vente est plus élevé pour un titre plus long. Tout le monde est gagnant, finalement. Jusqu'à aujourd'hui, en tout cas.
Bien que la présence d'Audible soit encore très prégnante, le monde du livre audio a changé de façon spectaculaire au cours des huit dernières années. Le nombre de plateformes et de propositions d'écoutes a explosé, les modèles économiques ont évolué, la popularité du format s'est accrue de manière incommensurable, des centaines de milliers de titres supplémentaires ont été enregistrés, les podcasts ont enfin émergé en tant que divertissements grand public, et bien plus encore. Pourtant, le format est resté pratiquement le même.
Les éditeurs ont toujours été avides de paris - c'est la nature même de l'acquisition des droits - mais en tant que créateurs du format audio, ils n'ont pas vraiment innové depuis. Il y a eu très peu d'exploitation des potentialités ou d'expérimentations avec le livre audio lui-même. En dehors de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni, Audible n'est plus en position de monopole pas plus que la voix dominante dictant la valeur perçue d'un livre, ce que nous écoutons, combien cela rapporte à l'éditeur ou coûte en lui-même, mais son écho résonne encore et semble diriger l'état d'esprit du marché des livres audio.
Sur les marchés dominés par Audible, son emprise demeure. Les consommateurs français ont la chance d'avoir le choix entre plusieurs plateformes et différents modèles, tant au niveau international que local (l'arrivée de Spotify sur les marchés anglophones est encore trop récente pour être analysée).
Alors que les plateformes se passent désormais de l'éditeur et acquièrent directement les droits audio, qu'elles créent des contenus originaux libres de droits et que les auditeurs ont le choix entre des millions de podcasts, il est nécessaire, à mon sens, que les éditeurs brisent les carcans, jouent le jeu des plateformes, capitalisent sur le comportement réel des consommateurs et en récoltent les bénéfices.
Une analyse des données d'écoute de base recueillies par les plateformes de Beat Technology révèle que la durée d'écoute moyenne par jour est de 41 minutes. Il s'agit là d'une habitude liée à l'écoute de podcasts.
En dehors des longs trajets en voiture ou des écoutes répétées de récits destinés aux enfants, les auditeurs de livres audio les écoutent le matin et l'après-midi dans les transports, un peu avant de se coucher ou lors d'activités plus courtes telles qu'un footing ou une séance de gymnastique. Non seulement la durée des podcasts correspond parfaitement à ces différentes activités, mais ils sont programmés et sérialisés de manière à encourager un engagement continu et répété.
La publication en format court crée des habitudes. C'est l'accroche. Que ce soit par le biais d'une série récurrente ou en permettant aux lecteurs de se plonger dans une série entière à la demande, cette méthode de publication révisée offre un niveau renouvelé et continu d'interaction avec le lecteur. Qui plus est, la publication de formes courtes ou la sérialisation ne sont pas des concepts nouveaux dans le domaine de l'édition. Loin s'en faut. Mais, généralement, ils ont été oubliés un peu vite par les éditeurs professionnels à l'ère du numérique.
Les exemples de courts livres audio émanant d'éditeurs traditionnels sont rares (et j'invite les exceptions à me contacter pour me faire part de leurs propres exemples), mais une expérience facilement reproductible de ma propre carrière est celle du catalogue de fiction pour adultes de Roald Dahl. L'équipe audio de Penguin UK a trouvé un moyen unique et innovant de présenter sous forme audio les recueils de nouvelles de Dahl. 55 nouvelles ont été enregistrées en tant que titres individuels, chacune avec son propre ISBN et des métadonnées soigneusement élaborées, et chacune avec un dessin magnifiquement conçu pour les jaquettes. Il s'agit à mon sens d'un exemple parfait de sérialisation et de découpe d'un format long, incitant l'auditeur à revenir pour en découvrir plus. Citez-moi un modèle plus simple à mettre en place. Peu d'éditeurs n'ont aucun contenu court au sein de leur catalogue.
À LIRE - Livres audio : quelle stratégie, pour faire tendre l'oreille ?
Dans le domaine de la non-fiction, le principal éditeur portugais, Grupo LeYa, publie une série de súmulas (résumés) de certains de ses titres de non-fiction les plus populaires, tous commercialisés dans la même section et encourageant l'utilisateur à réécouter d'autres titres de la catégorie súmulas, peut-être une inspiration de la méthode ultra-populaire de la plateforme Blinkist.
Mais les collections audio sérielles les plus solides que j'ai croisées sont celles de l'auteur norvégien de romans policiers Jo Nesbø, qui a publié trois séries de fiction exemplaires : Sjalusimannen og andre fortellinger (De la jalousie), RotteøyaI (Rat Island. à paraître en avril 2024, titre français, Ndlr) et Blodmåne (Éclipse totale – les trois ouvrages sont traduits, pour Gallimard, par Romand-monnier Céline). Chacune d'entre elles a fait l'objet d'un contrat avec l'éditeur traditionnel de Nesbø, mais a d'abord été diffusée exclusivement par le canal audio de l'éditeur. Et c'est sans doute la voie royale. Une maison d'édition qui commande en exclusivité un nouveau contenu sous forme de série courte et le publie uniquement par le biais d'un canal D2C [direct-to-consumer, directement au client, NdR].
Mais bien sûr - et malheureusement - les meilleurs exemples de séries courtes sont celles qui sont commandées, possédées et présentées par les plateformes commerciales elles-mêmes. Les séries de livres audio consommées régulièrement et fébrilement, sans les éditeurs traditionnels et dont ces derniers ne tirent aucun revenu. Si l'on ajoute à cela l'essor du marché mondial des podcasts, la menace qui pèse sur le livre audio standard semble encore plus importante.
À LIRE - Les livres audio, des alliés pour l'étude des rêves
L'Allemagne dispose d'un marché sans monopole où les lecteurs peuvent choisir où dépenser, avec un large choix de modèles économiques. Les quelques pistes mentionnées ici sont des méthodes d'édition simples et archaïques, à peine revues et corrigées pour le lecteur moderne, mais elles s'adaptent désormais aux attentes numériques et s'avèrent capables de satisfaire les habitudes des lecteurs qui veulent lire en déplacement et accéder au contenu qu'ils désirent, quand ils le souhaitent.
Nathan Hull est le responsable de la stratégie de Beat Technology, une société spécialisée dans la création de plateformes de vente et d'abonnement pour l'industrie de l'édition. Elle a conçu les solutions Fabel (Norvège), Adlibris (Suède/Finlande), Skoobe (Allemagne), Fluister (Pays-Bas), Volume (Pologne), JukeBooks (Grèce) et AkooBooks (Afrique).
Photographie : illustration, Philippe Put, CC BY-ND 2.0
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
1 Commentaire
Marianne L.
11/01/2024 à 05:43
Merci pour cette présentation et cette analyse vraiment intéressante. Le livre audio est quelque chose que je connais mal parce que je ne l'utilise pas, mais je trouve la pertinence de la critique difficile à réfuter. Après, je conçois aussi que le lecteur/auditeur français soit frileux, il n'y a qu'à voir combien nous sommes bousculés par les redécoupages des mangas (écrits) quand ils sont republiés sous différentes éditions, avec des nombres de volumes différents d'une édition à l'autre ... et ceci même si nous savons qu'à l'origine ils sont découpés en chapitres et pas en volumes ...
Bref, merci pour cet article éclairant ... je vais peut-être finir par acheter des écouteurs pour mon téléphone portable pour tenter l'aventure du livre audio et/ou du podcast ...
NB pour ActuaLitté : pourquoi ne pas écrire le nom de l'auteur de l'article directement dans le pavé prévu à cet effet ? En mettant "Auteur invité : Nathan Hull" au lieu de simplement "Auteur invité" ? Cela éviterait de devoir rechercher l'info dans le corps de l'article, et cela ne vous empêche pas de mettre quand même la phrase de présentation en intro ou en conclusion ... cela permet simplement une meilleure visibilité des informations.