Le manquement par l’auteur ou par l’éditeur à l’une de ses obligations légales ou contractuelles est susceptible d’entraîner la résiliation du contrat d’édition, à savoir de mettre un terme de la relation contractuelle entre les parties. Le 18 avril 2024, le Tribunal judiciaire de Marseille a fait une application classique du cheminement conduisant à la résiliation du contrat, permettant également de rappeler les obligations à la charge de l’éditeur. Me Adélie Denambride, avocate exerçant en droit d'auteur, de l'édition et du marché de l'art revient sur ce sujet.
Le 13/05/2024 à 11:23 par Adélie Denambride
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13/05/2024 à 11:23
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Dans cette affaire, un contrat d’édition a été conclu entre une société d’édition et un auteur. Les parties ont convenu, sans l’acter de manière effective, de mettre fin à leur relation contractuelle. Quelques années plus tard, alors que l’ouvrage était annoncé comme à paraître en édition poche, l’auteur a assigné la société d’édition en sollicitant la résiliation du contrat d’édition en justice en invoquant divers manquements de l’éditeur à ses obligations.
« La publication d’un ouvrage, fonction du respect de l’obligation de remise du manuscrit par l’auteur. »
L’éditeur doit procéder à la publication de l’ouvrage selon des délais contractuellement convenus ou les usages de la profession. Une telle obligation est intrinsèquement fonction du respect par l’auteur d’une de ses obligations légales : la remise du manuscrit à l’éditeur. Un tel principe étant rappelé de manière constante par les juges, et très récemment par le Tribunal judiciaire de Paris de la manière suivante : « la livraison du manuscrit de l’ouvrage destiné à être édité ne pouvant qu’être regardée comme une condition sine qua non d’un contrat d’édition dans la mesure où son inexécution ne permet pas l’édition et la commercialisation de l’ouvrage » (TJ Paris, 15 févr. 2024).
Ainsi, l’auteur qui ne remet pas son manuscrit dans les délais convenus pourrait se voir sanctionné par la résiliation du contrat à ses torts, et quand bien même celui-ci justifierait de « graves problèmes familiaux » (CA Paris, 23 oct. 2023). En principe, la mise en œuvre de cette sanction n’implique pas, pour l’éditeur, de mettre préalablement en demeure l’auteur de s’exécuter, à moins que le contrat d’édition ne prévoie expressément une telle modalité, dont l’absence de mise en œuvre ne permettrait donc pas de procéder à la résiliation du contrat (CA Paris, 25 sept. 1989).
Dès lors, il est nécessaire d’être attentif aux stipulations du contrat. Dans le cas soumis aux magistrats de Marseille, il a été considéré que le léger retard de publication, à savoir moins de quinze jours, n’était pas imputable à l’éditeur. En effet, l’auteur avait adressé « la dernière version corrigée de son roman » à la fin du mois de novembre alors que le contrat prévoyait que le « texte définitif et complet soigneusement revu pour impression » devait avoir été remis début septembre.
Ainsi, gare à ses propres manquements dans le cadre de la sollicitation en justice de la résiliation du contrat fondée sur les manquements de son cocontractant.
En l’absence de remise spontanée de la reddition des comptes par l’éditeur à l’auteur, les modalités de la sollicitation par l’auteur sont prévues par le Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, l’auteur n’ayant pas reçu la reddition des comptes à la date prévue doit mettre l’éditeur en demeure de se conformer à une telle obligation.
Celui-ci dispose alors d’un délai de trois mois dont le non-respect est sanctionné par la résiliation de plein droit du contrat, c’est-à-dire, sans qu’une autre formalité ne soit nécessaire pour acter d’une telle résiliation. Dans le cas qui lui est soumis, le Tribunal observe que l’éditeur a satisfait à son obligation dans le délai imparti et qu’à défaut pour l’auteur de « précise[r] en quoi la reddition des comptes serait incomplète ou incorrecte », la résiliation ne peut être actée.
Par ailleurs, il semble également que les magistrats reprochent à l’auteur de ne pas avoir adressé une telle demande avant la première mise en demeure en date de 2022. Corollaire de l’obligation de rendre des comptes, le manquement à l’obligation de paiement est également invoqué par l’auteur, manquement là encore non caractérisé au regard de la reddition des comptes transmise par l’éditeur.
Une remarque s’impose, dès lors que le Tribunal a considéré qu’une telle obligation était satisfaite en raison d’une copie d’un chèque versé aux débats daté de 2022, chèque que l’auteur conteste pourtant avoir réceptionné.
Le manquement à l’obligation d’exploitation permanente et suivie
L’exploitation permanente et suivie n’étant pas définie par la loi, un tel exercice revient aux juges ou aux parties, au sein même du contrat d’édition. L’accord-cadre de 2013 pallie cette absence de définition légale, en énonçant que « l’éditeur est tenu d’assurer une diffusion active de l’ouvrage pour lui donner toutes ses chances de succès auprès du public » et en prescrivant à celui-ci, parmi d’autres énonciations, de « rendre disponible l’ouvrage dans une qualité respectueuse de l’œuvre et conforme aux règles de l’art quel que soit le circuit de diffusion ; satisfaire dans les meilleurs délais les commandes de l’ouvrage ».
L’auteur dispose de la faculté de résilier le contrat après une mise en demeure d’exécuter une telle obligation restée infructueuse pendant un délai de six mois. Cette obligation s’apprécie comme une obligation de moyens et non de résultat (CA Paris, 25 juin 2008), c’est-à-dire que l’éditeur ne pourra pas voir sa responsabilité engagée en l’absence de succès de l’ouvrage, mais pourra être tenu responsable pour ne pas avoir mis en œuvre les moyens à sa disposition pour lui assurer des chances de succès.
Par exemple, des plaintes de lecteurs ou de libraires ne parvenant pas à se procurer l’ouvrage, lequel est marqué sur des sites de vente en ligne comme étant « actuellement » ou « définitivement » indisponible, caractérise un tel manquement (CA Paris, 21 mars 2012).
Dans le cas qui lui était soumis, les juges se réfèrent aux stipulations contractuelles, prévoyant que « l’éditeur est tenu de mettre l’ouvrage à la disposition du public de façon régulière et donc d’avoir toujours des exemplaires en vente », pour en déduire que celui-ci détenait des ouvrages en stocks, mais que le nombre de ventes était insignifiant et que l’éditeur ne « communique aucune pièce de nature à prouver qu’il a entrepris toutes diligences pour assurer la publicité et l’exploitation de l’ouvrage ».
Dès lors, le manquement à une telle obligation étant caractérisé, le juge acte la résiliation du contrat aux torts de l’éditeur. Par ailleurs, l’absence de « diligences pour assurer la publicité et l’exploitation de l’ouvrage » n’est pas sanctionnée par le juge comme un manquement à l’obligation de promotion, laquelle est souvent relativisée, mais comme justification du préjudice moral de l’auteur, au regard du « désintérêt manifeste » de l’éditeur pour l’ouvrage.
La résiliation du contrat d’édition emporte des conséquences non négligeables. Par celle-ci, l’auteur recouvre les droits d’exploitation, à savoir le droit de reproduction et de représentation, sur son ouvrage. L’éditeur qui exploiterait l’ouvrage de l’auteur alors qu’il n’en détient plus les droits pourrait voir sa responsabilité engagée pour contrefaçon.
Tel serait le cas de l’offre à la vente de l’ouvrage par l’éditeur (CA Paris, 20 févr. 2018). Le Tribunal judiciaire de Marseille fait droit à la demande formulée par l’auteur que lui soit remis les stocks restants de son ouvrage, mais il n’est pas prévu la mise en œuvre des modalités de fin de contrat. Il aurait également pu être sollicité l’inscription de l’ouvrage « en arrêt de commercialisation pour motifs juridiques » au FEL, conformément à un accord entre les syndicats des éditeurs et des auteurs en date de 2021.
Curieusement, cet accord ne fait pas expressément mention de l’article du Code de la propriété intellectuelle fondant la résiliation de plein droit du contrat en raison de l’absence d’exploitation permanente et suivie. En tout état de cause, la proposition de l’ouvrage par l’éditeur en vente sur des sites Internet pourrait entraîner, de nouveau, la saisie du juge.
Bien que cette décision ne constitue pas un bouleversement en matière de droit d’édition, elle permet deux considérations pratiques. D’une part, elle rappelle l’exigence d’être attentif aux stipulations du contrat conclu entre l’auteur et l’éditeur. D’autre part, elle souligne la nécessité d’acter au sein de ce contrat les modalités de fin de celui-ci, pour lesquelles il pourrait être fait état de l’accord professionnel de 2022.
Crédits illustrations : Mohamed_hassan CC 0
Par Adélie Denambride
Contact : adenambride@avocat-denambride.com
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