RDVBDAmiens2024 – Originaire de Grenoble, Tiffany Cooper mit un terme à sa carrière dans le textile de luxe pour s’occuper de son linge sale : « Le dessin et l’humour ont toujours rendu ma vie plus belle », assure-t-elle. Étudiante à l'École des Arts Décoratifs de Strasbourg, elle ouvrit son blog en 2012, dont découla son premier livre, Le Meilleur des Mondes Possibles (2013). Rencontre, en toute simplicité.
« La trame de fond de mes sujets, c’est la parentalité, la mode, le féminisme. Mais le fil conducteur reste l’humour », raconte-t-elle, comme dans une urgence de rire. Pas forcément à gorge déployée, mais de vivre le plaisir de cette émotion. Avec le blog Le Meilleur des mondes possibles, tout était là : la référence à Huxley n’échappe évidemment pas. Mais l’ouverture à des « possibles » change la donne, admet-elle volontiers dans un sourire : « C’est la note d’espoir, d’utopie bien entendu : un refuge qui permet de tenir, où l’on cherche la joie et l’espoir, plutôt que la déprime et l’apitoiement. »
Trouver ce nom impliqua de remonter à sa petite enfance : « Elle fut difficile, marquée par du harcèlement scolaire. Alors pour échapper à tout cela, je dessinais. La créativité a toujours été un refuge. » Elle avait conçu un immeuble, élevé sur le mur de sa chambre, à partir de feuilles A4, où chacune représentait un étage particulier. « Celui des jouets, celui des bonbons, et ainsi de suite : tout ce qui fait le bonheur d’un enfant se peuplait ce bâtiment imaginaire. »
Cathartique, certes, mais à cet âge, on ne connaît pas encore le terme : juste la satisfaction que cela procure. « Toute petite, j’avais compris que je rendrais ma vie plus enrichissante, plus joyeuse à travers les dessins. » L’aventure éditoriale ne débutera qu’en 2013, quand Alter Comics publiera un album tiré du blog Le Meilleur des mondes possibles, mais Tiffany Cooper avait déjà d’autres projets.
En 2015, elle convainc Karl Lagerfeld de collaborer avec elle collabore sur une collection capsule, une exposition itinérante mondiale et un roman graphique intitulé Karl’s Secrets. « Je n’avais aucun lien avec lui, mais l’envie fondamentale de lui proposer quelque chose : de ce que j’en savais, il aimait rire et pourrait être tenté. J’ai suivi mon intuition et j’ai osé. »
Pari réussi. Et probablement parce qu’il découlait d’une honnêteté profonde, pas d’un arrivisme entrepreunarial. « Voilà quelque temps, cet exemple m’a servi dans une conversation avec mon fils. Il voulait que son père vienne le chercher pour un goûter à la maison — comme ça, il quitte l’école plus tôt. J’avais des doutes : son père travaille, il refuserait. »
Mais de sa plus belle voix d’enfant, par téléphone, le petit demande… et obtient gain de cause. « L’importance d’oser. Quitte à ne pas y arriver. » Ou comment l’audace maternelle, qui avait payé avec le couturier, s’est changée leçon — bien retenue désormais.
Reste qu’une carrière était encore à créer, même après le coup d’éclat avec Lagerfeld. « J’ai plusieurs fois éprouvé la tentation d’un travail répondant à des critères plus stables et rassurants, tout en préservant une dimension créative. Mais aucun ne s’offrait sans la perte d’une liberté à laquelle je ne renoncerais plus. Que ce soit des livres, des podcasts, des collaborations avec des marques, je veux cet équilibre que je me construis. »
Voilà des années qu’elle collabore avec de grandes marques, qui représentent une grande partie de ses ressources. « Et à côté, je fais des livres. Mais plus je porte cette image d’autrice engagée, moins les sociétés font preuve d’audace. D’une certaine manière, tout était plus simple quand je versais dans le superficiel et drôle, oui. Désormais, et ça m’amuse, on me perçoit comme militante, voire féministe enragée : cela ne va pas dans le sens lisse que cherchent certaines structures. »
Accompagnée durant une dizaine d’années par un agent, Tiffany Cooper a opté pour une avocate « plus en mesure de défendre mes intérêts. Quand on en parle entre illustrateurs, le constat se répète : s’ils sont supposés le faire, nos agents n’effectuent pas de démarchage : ils attendent d’être sollicités, soit pour l’une des autrices de leur portefeuille, soit pour présenter différents artistes susceptibles de répondre aux attentes qu’exprime un client ».
Et dans un soupir amusé, devenant un large sourire, elle ajoute : « Finalement, en repensant à l’aventure avec Karl, je me rends compte que je suis mon meilleur agent. Surtout que de ma carrière, on voit tout ce qui a été fait, bien entendu. Les projets inaboutis, les fantômes qui n’auront jamais pris forme, cela représente beaucoup d’énergie et de temps investis. »
D’autant que, le temps passant, des thèmes s’affinent dans ses œuvres, nourris de ses propres préoccupations. Ou inversement. « Voilà sept, peut-être huit ans, que mes livres portent sur ce besoin fondamental d’être aimé — même si l’humour continue de présider. L’affection que l’on reçoit de ses parents, ou non, et que l’on compensera donc par des passions amoureuses, l’investissement dans le travail, ou des addictions. »
Tout simplement parce que l’amour est partout. « Tout petit, la société nous apprend que l’amour romantique marque un aboutissement. Mais on découvre à ses dépens que c’est loin d’être le cas. Et plus tardivement que l’on trouvera bien plus de joies dans d’autres choses. » Voilà qui marque par exemple le livre L’Amour est partout. « Moi, j’y ai cru un milliard de fois et l’apprentissage est parfois violent, mais fondamental. On ne peut faire reposer son bonheur sur une seule personne, qui est finalement extérieure à soi. »
Et de poursuivre : « Les charges émotionnelles et mentales que cela génère, tant pour soi que pour l’autre deviennent insupportables, insurmontables d’attentes qui aboutissent à des frustrations encore, et encore. On en revient donc à cet amour que l’on doit entretenir de soi, en soi, pour soi. » Un thème central dans l’ouvrage de Marie Kock, Vieille fille. Une proposition, que Tiffany Cooper revendique comme « l’ouvrage qui m’a certainement le plus marqué ».
L’album Combien tu m’aimes l’évoque avec tendresse : « Un conflit explose entre une fille, Ava, et son père, mais il me semble que l’amour des parents doit être inconditionnel. Si les miens m’avaient apporté l’affection attendue, quand j’étais enfant… peut-être serais-je devenue comptable », lance-t-elle en riant.
Car devenir parents revient à endosser la responsabilité complète de l’enfant né. « C’est aimer nos enfants du mieux qu’on peut, parce que nul autre n’y est aussi obligé, quelle que soit la situation. Et parvenir à admettre ses torts, en se débarrassant de la culpabilité qui pèse constamment. La culpabilisation parentale, c’est un véritable fonds de commerce », plaisante-t-elle.
Mais tous les messages sont aussi bons à passer, comme avec les albums de Patatouille, volontairement enlaidi pour ne pas rendre le patriarcat trop sympathique. « Le personnage était trop lisse, trop peu marqué au départ. Alors qu’il s’agissait d’écrire un livre pour éviter que les petits garçons ne deviennent des connards une fois devenus adultes. »
Portrait by Marie Rouge @lesjouesrouges
DOSSIER - Quatre week-ends de bande dessinée : les 28es RDV BD d'Amiens
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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