Une dizaine de manifestations, principalement centrées sur la bande dessinée, mettra en œuvre un modèle de dédicaces rémunérées cette année. Une décision qui résulte de la signature d’un accord interprofessionnel, sous l’égide du ministère de la Culture. Mais la rue de Valois, narquoise, oublie soigneusement la généalogie de cette mesure. Après tout, qui s'attend à ce qu'un politique cite ses sources ?
Le 12/03/2022 à 12:48 par Nicolas Gary
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12/03/2022 à 12:48
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Dans un communiqué clinquant, Roselyne Bachelot se félicite de la mise en œuvre de son « plan en faveur des auteurs afin de mieux protéger et accompagner les professions créatives dans notre pays ». Présenté en mars 2021, ce dernier prolongeait une série d’aides et d’accompagnements instaurés pour répondre à la crise sanitaire. Quinze mesures, discrètement dévoilées à l'époque et qui, pour les organisations d’auteurs, enterraient « le rapport Racine avec un plan sans ambition ». Rien que cela.
Il est vrai que ledit rapport avait fait rugir le Syndicat national de l’édition, s’étrangler les Organismes de Gestion Collective — ces derniers se trouvaient menacés de financer les activités syndicales ! Et malgré l’intelligence du document et de ses préconisations, le ministère, trop dépendant des sommes allouées par les OGC aux manifestations culturelles, avait opté pour la tactique de l’autruche. Au point que, désormais, l’une des 23 mesures du rapport Racine — la rémunération des dédicaces en salon — devient désormais propriété de la ministre, effaçant définitivement toute allusion à l’auteur, Bruno Racine.
Roselyne Bachelot avait déjà expliqué qu’elle adopterait et adapterait certaines des préconisations — sans préciser qu’il s’agirait de versions allégées. Ainsi, quand le rapport Racine évoquait tous les salons et festivals, il ne cantonnait pas la rémunération des dédicaces au strict secteur de la bande dessinée. Sa recommandation 17 indiquait : « Instaurer de manière partenariale avec le CNL et la SOFIA une rémunération des auteurs de bande dessinée et littérature jeunesse, dans le cadre de leur participation à des salons et festivals. »
D'ailleurs, avec un peu plus d'histoire encore, c'est Pierre Lungheretti qui, le premier, qui avait pointé la dédicace dans son rapport. Et Franck Riester qui avait lancé le chantier – son cabinet avait demandé de commencer à travailler sur le sujet.... mais soit.
Voici donc que ce 11 mars 2022, Valois dévoile sa mesure phare, « l’instauration d’une rémunération des auteurs de bande dessinée pour les actes de création réalisés dans le cadre de leur participation à des salons et festivals ». Les auteurs jeunesse savoureront, les auteurs de littérature plus encore, mais comprenez bien : on ne peut pas plaire à tout le monde.
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Dans son communiqué, le MCC estime que cette mesure « se justifiait par les conditions d’exercice de l’activité de dédicace dans le secteur de la bande dessinée, non rémunérée alors même qu’elle donne lieu à la création d’œuvres par lesquelles les albums acquièrent une valeur nouvelle ». Là encore, les illustrateurs jeunesse se délecteront de ce qui ressemble à une manifeste discrimination — en vertu, comme chacun sait, de ce qu’un enfant est un demi-adulte et qu’un auteur jeunesse est donc un demi-auteur.
Ce protocole de rémunération a été cosigné par Valois, le CNL, le SNE, le Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA), ainsi que dix événements déjà engagés dans cette voie. Il évoque une rémunération forfaitaire — dont le ministère tait bizarrement le montant — et entre en vigueur pour 2022 avec les 10 manifestations pour une période d’évaluation de trois années. Les soutiens financiers du CNL et de la Sofia permettront dès lors cette rémunération.
Guy Delisle, FIBD 2020 - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Sont engagés BD à Bastia (Corse) ; Rencontres du 9e art (PACA) ; Rendez-vous de la BD Amiens (Hauts de France) ; Lyon BD festival (Auvergne-Rhône — Alpes) ; Festival Fumetti (Pays de la Loire) ; Formula Bula (Ile-de-France) ; Festival Quai des bulles (Bretagne) ; BD Boum (Centre-Val de Loire) ; Festival BD de Colomiers (Occitanie) ; Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (Nouvelle-Aquitaine).
Et sans frémir, la rue de Valois ajoute : « La signature de ce protocole mobilise ainsi l’ensemble de la chaîne du livre et s’inscrit pleinement dans l’action de la ministre en faveur des auteurs. » Une implication de Roselyne Bachelot que les acteurs ont déjà saluée... notamment en quittant la table des négociations en constatant que la question de la rémunération était courageusement renvoyée aux Calendes grecques.
Cette nouvelle période de test laisse songeur, bien qu'il faille prendre ce qui est bon à prendre. En effet, des événements comme Amiens ou Lyon BD et d’autres, avaient déjà servi de laboratoire d’expérimentation pour ce modèle de rétribution en dédicace des auteurs présents.
De son côté, le SNAC apporte plus de renseignements aux principaux concernés en apportant : « La rémunération sera un forfait de 226 € (brut) en “droits d’auteurs”, par auteurice, par festival. Elle sera cofinancée par le CNL et La Sofia, à hauteur des deux tiers, et pour un tiers par la structure invitante (Festival ou éditeur). » Et d’indiquer que le montant équivaut à une journée “signature” suivant les recommandations de la Charte. À ce titre, en cas de dédicace sur deux stands d'éditeurs invitants, la rémunération de l'auteur pourra être répartie entre les structures, précise La Sofia à ActuaLitté.
Enfin, cette rémunération en droits d’auteurs intervient suite au décret de 2020, qui élargissaient l’assiette des revenus accessoires et installait donc la dédicace dans la liste des revenus artistiques autres la stricte diffusion (et vente) des œuvres. Sans cette adaptation législative, rien du modèle de rémunération mis en place pour 2022 n’aurait été possible.
Pour autant, le SNAC ne manque pas l’occasion. « [S]i les auteurs et les autrices se réjouissent de cette reconnaissance d’une rémunération au bénéfice des professionnels, l’idée essentielle reste que leur rémunération doit résulter principalement de la seule relation contractuelle qu’ils ont avec leurs éditeurs. Nous restons mobilisés sur la rémunération et le partage de valeurs. »
La réaction du collectif Autrices Auteurs en Action ne dit pas autre chose : « C’est une journée à marquer d’une pierre blanche. Pour l’instant il s’agit d’une mesure à l’essai, continuons la mobilisation pour qu’elle se pérennise. Pour la première fois depuis longtemps nous obtenons une victoire concernant notre statut, bien qu’il s’agissent de revenus annexes aux droits d’auteur. Nous souhaitons qu’elle en appelle beaucoup d’autres notamment dans nos relations avec les autres maillons de la chaîne du livre. »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Restent alors quelques petits calculs pas bien savants à opérer. Si l’on considère que le FIBD réunit près de 1500 auteurs — soit à peu près autant que tous les autres réunis — ce seraient donc 3000 auteurs qui seraient concernés par ce dispositif. Là encore, le MCC se garde bien d'avancer la moindre donnée. Festina lente...
Le nombre d’auteurs de BD global en France n’est de toute manière pas clairement identifié : « Chiffrage difficile », reconnaissent les États généraux de la Bande dessinée. Leur étude de 2016 fait état de 1500 répondants — mais n’indique pas le nombre de personnes sollicitées. Le rapport Racine évaluait que la France recensait 270.000 artistes-auteurs, sans apporter plus de détails.
Pour autant, sans même trier les doublons, on ne compterait probablement que 1500 auteurs bénéficiant de cette première année d’expérimentation. Une personne présente à Angoulême a de fortes chances de se retrouver lors d’autres festivals dans l’année, du fait de son actualité éditoriale…
Du côté de La Sofia, on n’avance pas non plus de chiffre, mais on souligne plusieurs points : d’abord, si ce sont 1500 auteurs qui pour 2022 empocheront cette rémunération, ils la percevront pour chacune des manifestations où ils se rendront.
Ensuite, l’année 2022 représente un test dans le test. Les 10 événements ont été retenus parce qu’ils disposaient d’une aide cumulée du Centre national du Livre et de La Sofia. L’objectif pour 2023 est déjà d’étendre le dispositif à des manifestations BD qui bénéficient d’une seule aide Sofia, non plus cumulée avec celle du CNL, mais avec des acteurs territoriaux (Drac, départements, etc.). De quoi ouvrir le protocole à 35 voire 40 manifestations.
À ce titre, SoBD, qui fut pourtant l’un des plus en avance et vertueux sur ce principe, ne participe pas à l’expérimentation — à regret assure La Sofia — pour 2022. De fait, l’événement ne bénéficie pas (encore ?) d’aides du CNL.
Chen Jiang Hong, salon du livre de Genève 2019 - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Quid, alors, du fonctionnement à proprement parler ? Un site internet, déployé un peu dans l’urgence — mais le protocole fut assez douloureux à accoucher – sera disponible pour Angoulême. Chaque festival disposera de sa page, lui permettant de lister les auteurs présents avec les contacts de ceux invités par la manifestation et ceux présents du fait de leur éditeur (ou leurs éditeurs).
Une mécanique qui affrontera immédiatement la vaste logistique du FIBD — un crash test grandeur nature. D’ailleurs, si un auteur se trouve absent des listes, il pourra notifier sa présence sur un modèle d’opt-in en somme tout à fait louable. Comme quoi, c'est possible...
La Sofia prend dès lors en charge les dimensions administrative et technique, de même que l’avance des paiements. Ces derniers s’effectueront après l’envoi des éléments nécessaires pour valider le temps de dédicace, d’un côté par les organisateurs de l’autre par les éditeurs. Pour le seul cas du FIBD, ce sont ainsi 160 maisons qui seront concernées. Par la suite, La Sofia établira les contacts avec les éditeurs, pour leur facturer les sommes dues — au trimestre, vraisemblablement — ainsi qu’avec le CNL — avec une approche plutôt semestrielle.
Notons que l’adhésion à La Sofia est totalement décorrélée de cette rémunération. Les auteurs étrangers pourront également bénéficier de cette manne — belges, québécois, japonais, qu’importe. La Sofia est en effet en mesure d’effectuer le versement — pour ce qui est de récupérer les sommes dues par les éditeurs, ce sera peut-être un brin plus folklorique…
« En indiquant le nom des auteurs qu’il invite, l’éditeur s’engage à être facturé du tiers du montant », répond La Sofia. « Et si on ne recouvre pas in fine les montants, le dispositif est fermé pour cet éditeur. » Reste à souhaiter que les éditeurs, pour le bien des auteurs, respectent l'engagement.
crédits photo : Dédicace de Kamui Fujiwara - Dragon Quest (Ki-oon) à Japan Expo 2014 - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
7 Commentaires
Observateur
12/03/2022 à 12:54
Encore une fois ce n’est pas du tout une réponse à la crise des auteurs. Les mecs se foutent le doigt dans l’œil.
Cela n’a jamais été la solution aux problèmes des auteurs. Jamais… c’est au mieux un peu d’épinards à rajouter aux épinards.
On est encore très très loin du beurre.
L'auteur masqué
12/03/2022 à 16:13
Le problème, c'est que ce sont toujours les mêmes auteurs qui sont invités partout, et beaucoup ne sont jamais invités. Si les éditeurs doivent payés, ils n'inviteront que les auteurs bankables, ce sera d'autant plus compliqué pour les auteurs débutants et les petites structures sans moyens extensibles.
Junior
12/03/2022 à 18:46
Je ne vais pas parler de 2020 ni 2021, mais après 3 albums, depuis 2016, pas une seule invitation en festival. Alors, j'en veux pas aux collègues qui profiteront de cet argent, même si, allez, à tout péter, ça leur fera à la louche 630 € dans la poche avec trois salons.
Mais sincèrement, les pouvoirs publics n'avaient rien de mieux à fiche que de nous pondre cette mixture ? C'est imbuvable. Et relève clairement du pansement sur une jambe de bois. Suivez mon regard.
julius
12/03/2022 à 21:51
Quand on sait que Jacques Glénat a été condamné pour la dissimulation de 9,9 millions d'euros et que certains auteurs galèrent à finir le mois, la part éditeur/auteur devrait être plus équitable. Mais je pense que c'est avant tout le statut des auteurs (dessinateurs) qui devrait être changé (rémunération, congés payés, congés maladie, chômage, etc.). Le paiement des dédicaces durant les festivals est une maigre consolation (et seulement pour certains).
zest
13/03/2022 à 20:46
Quelle usine à gaz ! Et c'est la Sofia (donc l'argent des auteurs) qui avance puis qui tentera de récupérer une partie de la mise ...
NB : Le paiement de l'activité de dédicace relève des rémunérations artistiques à titre principal (cf article R382-1 du code de la sécurité sociale), ce n'est ni du "droit d'auteur" (contrairement à ce que dit le SNAC), ni des "revenus annexes aux droits d’auteur" (contrairement à ce que dit le collectif Autrices Auteurs en Action). Le montant payé doit légalement être déclaré en BNC (et non en TS), donc le précompte est inapproprié, de même que de parler de "brut"... Si la "Sofia prend en charge les dimensions administrative et technique", elle pourrait commencer par expliquer à toutes et tous ces notions professionnelles basiques.
JPT
14/03/2022 à 13:12
Vous oubliez que la plupart des auteurs ne sont pas en BNC (qui est une usine à gaz), mais simplement en traitements et salaires, bien plus simple à gérer.
Le statut bnc n'est intéressant que pour ceux qui ont principalement des revenus annexes, mais les auteurs ne faisant que du livre sont très bien avec le T&S.
Antoine
13/03/2022 à 23:19
Incroyable qu'un syndicat digne de ce nom se réjouisse d'une telle miette de pain pour une tablée de travailleurs affamés... et en plus la SOFIA - donc l'argent des auteurs eux-mêmes - va en partie financer cela. Désespérant.