RNL24 — Plusieurs années après sa généralisation à tous les jeunes de 18 ans, sans oublier son élargissement à d'autres tranches d'âge via une part collective, le Pass Culture se trouve à l'heure du bilan. Lors des Rencontres nationales de la librairie, le dispositif a été examiné à la lumière des données de l'Observatoire de la librairie, confirmant un impact mesuré, mais bienvenu, et rappelant la nécessité d'un travail de fond pour diversifier les achats.
Mesure centrale du programme culturel d'Emmanuel Macron, le Pass Culture offre 300 € de crédits aux jeunes, à leur 18e anniversaire, à dépenser pour des biens culturels ou des expériences dans différents lieux. L'idée étant de favoriser la découverte de proximité, il n'est pas possible, dans le cas du livre, de commander un exemplaire pour le faire livrer chez soi : le déplacement est indispensable.
Une part collective est ensuite venue étoffer ce Pass : elle permet aux élèves du collège, dès la 6e, et du lycée de profiter de financements pour des activités de groupe, choisies avec les professeurs. Les montants sont bien moins élevés : ils vont de 25 € par élève, de la 6e à la 3e, puis de 30 € pour la 2de et les CAP, et de 20 € en 1ere et Terminale.
À l'occasion des Rencontres nationales de la librairie, la société derrière le Pass Culture et l'Observatoire de la librairie, outil créé et piloté par le Syndicat de la Librairie française (SLF), ont croisé leurs données pour rendre compte de l'utilisation de la part individuelle au sein des librairies indépendantes. Rappelons que le livre reste l'offre la plus sollicitée, à 60,2 % selon le chiffre annoncé récemment par la ministre de la Culture Rachida Dati.
338 librairies de l'Observatoire sont inscrites sur la plateforme professionnelle du Pass Culture, soit 12 % des librairies inscrites au total. 22 % des utilisateurs du Pass ayant réservé au moins un livre l'ont fait dans une des librairies de l'échantillon pris en compte.
Le Pass Culture représentait 2,6 % des ventes en volume du panel pris en compte, en 2022, et 2,5 % en 2023, ce qui témoigne d'une stabilité certaine. « La partie représentée en valeur par le Pass est sensiblement autour de 2,5 % également, soit un poids économique important pour les libraires », estime Laura de Heredia, chargée de mission Observatoire de la librairie et numérique au SLF.
Selon le niveau de chiffres d'affaires des librairies indépendantes, de « réelles disparités » s'observent, note l'étude : de 1,9 % au sein des ventes totales (en volume) des petites librairies (chiffre d'affaires inférieur à 300.000 €), le Pass peut représenter jusqu'à 3 % pour les points de vente au CA supérieur à 4 millions € par an, et 3,3 % pour les librairies au CA entre 2 et 4 millions €.
84 libraires membres du SLF, interrogés, ont corroboré ces données : le Pass Culture représente en moyenne 2,5 % de leurs ventes, avec une médiane à 1,6 %. Pour 52 % des librairies, le niveau se situe sous les 2 %, et à plus de 5 % pour une librairie sur cinq.
Sur le Pass Culture, les librairies indépendantes représentent 52 % des réservations de livres, indique la SAS, contre 48 % pour les grands réseaux - nous sommes en attente de détails sur cette appellation.
Pourtant, 77 % des utilisateurs déclarent se rendre dans une grande surface culturelle lorsqu'ils souhaitent un livre, « ce qui montre qu'ils ne font pas forcément la différence entre les deux », relèvent Jeanne Bélichard, responsable de développement territorial pour le Pass Culture, et Fanny Berlin, chargée de programmation et d’action culturelle.
« Le poids du Pass est plus important sur les grosses librairies que sur les petites », constate Laura de Heredia. « Cela s'explique par le fait que l'offre du Pass correspond au stock des librairies : or, les plus grosses librairies ont des stocks plus importants. » L'application Pass Culture n'affiche en effet que le stock réel des libraires, sans possibilité d'effectuer des commandes ou des précommandes.
« Une modification de ce fonctionnement n'est pas à l'ordre du jour en 2024 », annonce Fanny Berlin, « mais ces points font partie des retours que l'on fait fréquemment à l'équipe Produit ».
D'après les données de l'Observatoire de la librairie, 79.080 références ont été réservées en 2023 dans les librairies du panel, majoritairement en littérature (26 %), puis en bande dessinée (21 %), en sciences humaines (14 %) et en pratique (12 %). La BD (y compris le manga) reste surreprésentée dans les réservations du Pass par rapport aux ventes totales des librairies du panel (11 %). Les genres sont donc plutôt variés.
Au sein des réservations du Pass, les lignes bougent, d'une année à l'autre. Ainsi, la bande dessinée, qui pesait pour 40 % en 2022, recule à 28 % en 2023. La littérature, elle, gagne du terrain, passant de 27 % en 2022 à 38 % en 2023.
L'explication est à trouver du côté des goûts du moment : si le manga avait le vent en poupe jusqu'en 2022, il s'est laissé déborder par les romans d'amour et les romans sentimentaux, dont les réservations via le Pass Culture représentent 22 % sur les ventes totales, en volume, des librairies du panel en 2023. Dans le top des réservations en 2023, Colleen Hoover, Sarah Rivens et Morgane Moncomble se disputent les premières places.
Les utilisateurs du Pass ont une tendance à se tourner vers le fonds, « ce qui pourrait s'expliquer par les séries manga, mais pas seulement », avance Laura de Heredia. 87 % des références sont ainsi réservées entre 1 et 10 exemplaires, pour 25 % des volumes totaux, 12 % le sont entre 11 et 100 exemplaires, pour 36 % des volumes, et 1 % à plus de 100 exemplaires, pour 39 % des volumes. Un petit nombre de titres, très populaires, pèsent donc lourds dans la balance.
Concernant la diversité éditoriale, les 100 premières structures d'édition représentent 85 % des réservations en 2023, quand elles pèsent pour 59 % des ventes de l'ensemble des librairies de l'Observatoire. 2382 maisons d'édition sont représentées dans les réservations, contre 17.620 pour l'ensemble des ventes des membres de L'Observatoire.
Autant de données qui dénotent d'une certaine concentration des réservations sur des titres, des maisons et des auteurs (les 100 auteurs les plus réservés représentent 37 % des réservations), les uns étant liés aux autres. Précisons que cette concentration se retrouve aussi dans les ventes générales de la librairie : le ratio est généralement de 80 à 85 % des ventes réalisées par 20 à 15 % des titres.
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Le secteur de l'édition reste donc le premier bénéficiaire du Pass Culture, et en majorité les succès déjà établis dans la profusion des parutions. De quoi donner un écho au constat de la ministre de la Culture en sursis, Rachida Dati, qui admettait au début du mois de juin, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale : « Ce qui manque au Pass Culture, c'est la médiation. »
Rappelons que le Pass Culture pèse lourd dans les finances du ministère : dans les crédits 2024 de la rue de Valois, il représentait ainsi 267,5 millions €, contre seulement 107,5 millions € pour les crédits destinés à l'éducation artistique et culturelle (EAC)...
44 % des réservants de livres indiquent qu'ils ont découvert un nouveau lieu d'obtention de livres via le Pass Culture, dont les 2/3 sont des librairies indépendantes.
Les 84 membres du SLF interrogés rendent compte de l'arrivée de nouveaux publics, grâce au Pass, pour 87 % d'entre eux. Assez régulièrement (pour 48 % des répondants), cette relation se poursuit même avec le retour des jeunes clients, et 54 % adaptent en conséquence leur offre pour les satisfaire. Toutefois, 83 % ne mènent pas d'action particulière pour fidéliser ce public.
Une certaine demande semble pourtant exister au sein des utilisateurs du Pass Culture : 65 % des utilisateurs « sont intéressés par au moins une information qu'une librairie pourrait leur partager », avec, en premier lieu, « les coups de cœur des libraires », « des sélections de nouveautés » ou encore « des événements spéciaux » dans la librairie.
59 % sont sensibles à au moins un événement spécial, avec, en tête, les rencontres avec les auteurs, avec des professionnels du livre ou pour des conférences diverses. 20 % des intéressés suggèrent même des initiations à l'écriture...
Alors que les professionnels mettent en avant les difficultés d'exercice grandissantes du métier, la perspective d'une implication supplémentaire pour un segment particulier de leurs acheteurs peut sembler délicate. Mais une partie des utilisateurs du Pass, sans aucun doute, pourrait bien constituer l'avenir de leur clientèle...
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Au sein de l'application, une éditorialisation suggère des titres aux utilisateurs : une partie est assurée par l'équipe du Pass, à partir des catalogues envoyés par les maisons — dark romance et développement personnel en sont exclus, par « responsabilité vis-à-vis de nos utilisateurs ». L'autre l'est par une partie des jeunes utilisateurs eux-mêmes, via un « Book Club » du Pass Culture, qui compte 170 membres.
Notons que le partage des données d'utilisation du Pass Culture n'est toujours pas effectif : les libraires peuvent accéder aux données les concernant, évidemment, mais les informations dans leur ensemble ne sont pas publiques à l’heure actuelle, malgré une promesse en ce sens au moment de la mise au point du dispositif. Impossible, donc, de surveiller les succès du Pass pour ajuster son offre en librairie.
L'autre versant particulièrement observé du Pass Culture est son effet sur la lecture : le dispositif incite-t-il à lire plus, voire à devenir un lecteur lorsqu'on ne l'était pas — en considérant qu'un lecteur achète forcément des livres neufs.
D'après les données communiquées par la SA Pass Culture, « 24 % des jeunes qui n'avaient pas déclaré lire lors de leur inscription au Pass Culture ont réservé au moins un livre sur l'application », quand « 21 % des lecteurs loisirs qui ont déclaré qu'ils ne lisaient pas dans le cadre de leurs loisirs avant d’avoir le Pass Culture ».
Ainsi, 72 % des utilisateurs du Pass ont déclaré avoir lu un livre dans le cadre de leurs loisirs au cours des douze derniers mois, quand, selon l'étude du Centre national du livre, 62 % des 16-19 ans ont lu un livre pour leurs loisirs sur la même période.
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L'incitation à la lecture serait donc réelle, doublée d'une diversification facilitée par le Pass : 62 % indiquent avoir acheté un type de livre qu'ils n'avaient jamais lu auparavant, via le dispositif. La mention du roman en tête des types de livres découverts (pour 55 % d'entre eux) interroge, puisque le cursus scolaire devrait a priori les y avoir initiés : gageons qu'il s'agit plutôt de genres romanesques, comme la dark romance, la new romance ou les romans policiers, à distinguer des classiques.
65 % des lecteurs ayant utilisé le Pass Culture ont lu des romans sentimentaux, un pourcentage plus élevé qu'au sein de la population générale des 16-19 ans (à 49 %).
Au total, et à date du mois de juin 2024, 3097 librairies, dont 404 Libraries Indépendantes de Référence (LIR) sont inscrites sur le Pass. Comme indiqué, le livre reste la catégorie culturelle la plus plébiscitée, avec 7,4 millions de livres vendus via le Pass Culture en 2023 (sur 351 millions de livres imprimés neufs vendus en 2023, selon GfK).
Au premier trimestre 2024, les réservations pour le livre marquent le pas, en baisse de 7 % par rapport à la même période de l'année précédente, tandis que la catégorie représente 47 % des dépenses réalisées par les utilisateurs de l'application.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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