Ce 30 mai, à l’Hôtel Littéraire Le Swann, était officiellement dévoilé le visuel du timbre Marcel Proust, créé à l’occasion du centenaire de sa disparition. Ces timbres commémoratifs seront disponibles pour tous à partir du 25 juillet. À l’occasion de cette soirée, ActuaLitté a pu s’entretenir avec la créatrice de la vignette littéraire, Sophie Beaujard, et le président des Amis de Marcel Proust et directeur adjoint du Quai Branly, Jérôme Bastianelli, pour qui lire l’auteur de La Recherche est avant tout une manière de mieux vivre.
Le 01/06/2022 à 09:27 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
01/06/2022 à 09:27
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Marcel Proust, qui dû publier le premier tome d'À la recherche du temps perdu en 1913 à compte d’auteur, ayant été refusé par tous les éditeurs, est aujourd’hui reconnu pour avoir été le grand paysagiste des sentiments humains. Observateur de son enfance à Combray ou de ses séjours à Cabourg, comme fin analyste de la société parisienne qu’il a décrite avec humour et ironie, sa réussite aura été d’affiner sa propre sensibilité à la beauté du monde, jusque dans ses détails les plus quotidiens.
Ceux qui souhaitent et peuvent se rendre à l’Hôtel Littéraire de Swann, dans le 8e arrondissement de Paris, auront l’occasion d’y découvrir notamment les Lettres inédites du littérateur à Horace Finaly, qui paraîtront chez Gallimard le 9 juin. C’est ici que, ce 30 mai, l'auteur d'Albertine disparue a succédé à Simone de Beauvoir, pour être le nouveau visage inscrit sur un timbre poste, de quoi réjouir les proustiens comme les philatélistes de tout poil.
Lettres de Marcel Proust au banquer Horace Finaly, ami et entremetteur de l'écrivain. Hôtel Littéraire Le Swann. (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Des yeux couverts et chargés
Devant des aubépines, qui tiennent un rôle important dans l'œuvre de l'artiste, un visage fin XIXe-début XXe, à base de moustache en guidon, d’une raie au milieu et d’une possible redingote, s’expose. Mais caractéristique plus singulière sur cette figure surannée, des yeux vagues qui évoquent le rêveur : « Je suis très axée sur le regard et j’y ai vu une nature très douce, mélancolique, nostalgique. Beaucoup de tendresse, de langueur, jusque dans sa posture... Son visage exprime bien sa personnalité. »
Ces mots sont de Sophie Beaujard, graveuse et illustratrice à l’origine de ce timbre. Celle qui collabore avec la Poste depuis maintenant 10 ans nous explique comment elle est parvenue à ce résultat : « D’abord, je suis partie d’une photo (la question des droits n’a d’ailleurs pas joué un rôle négligeable dans le choix). Ensuite, il a fallu réaliser un travail d'adaptation pour la gravure au burin, dans un petit bloc d’acier. L’original du timbre est donc gravé à la main et par conséquent unique. »
La graveuse a d’abord proposé 3 visuels différents, avant que n’interviennent les proustiens : « Nous n'avons eu qu’une action très modeste, mais qui nous honore, celle de choisir parmi les trois propositions, et on a finalement privilégié, quasiment à l’unanimité, celui que vous pouvez à présent découvrir », nous confie Jérôme Bastianelli, président de la Société des Amis De Proust.
Celui qui est également directeur général délégué du Quai Branly ajoute : « L’année du centenaire montre que pour la société en général, l'artiste occupe une place phénoménale. On ne perd donc pas complètement notre temps. (rires) »
« Face à Proust, n’abandonnez pas »
La programmation du centenaire de la mort de Proust est en effet bien riche : outre les éditions autour de la figure de l'écrivain qui ont fleuri et fleuriront tout au long de cette année, on peut également citer les podcasts dédiés à l’auteur sur France Culture. Mais également plusieurs importantes expositions, notamment à la BnF, au Musée Carnavalet ou encore au Musée de l'Histoire du Judaïsme ; et les « concerts proustiens » qui sont donnés tout au long de cette année.
En grand mélomane, Jérôme Bastianelli se réjouit : « Nous allons co-éditer un disque Proust et le clavecin à l’automne, et programmer un concert lecture le jour du centenaire des obsèques de l'écrivain, à l'Église Saint-Pierre de Chaillot, avec Thierry Escaich et Didier Sandre de la Comédie française. »
En plus de la participation de l’association à des projets éditoriaux, de concerts ou encore d’expositions dédiés au grand artiste, l’ambition première des Amis de Marcel Proust est de donner envie de découvrir l’auteur de La Prisonnière : « Face à Proust, n’abandonnez pas. Il faut essayer et réessayer, et peut-être qu'à la quatrième lecture, les conditions de la vie, nos humeurs, font que ça fonctionne », lance Bastianelli.
Et d’ajouter : « Beaucoup de nos adhérents ont découvert l'auteur de Sodome et Gomorrhe sur le tard. A 20 ans, on se dit, oh c’est ennuyeux, je ne comprends pas, à 30, pareil, et puis à 40 ans ou 50, c’est la révélation. »
Une affirmation qu’il tempère néanmoins, ne souhaitant pas enfermer le littérateur dans un statut d’écrivain pour le grand âge : « Ça ne veut pas dire que nous n'avons pas de jeunes adhérents. J’en suis un exemple type : je l'ai découvert adolescent et je n’en suis jamais sorti. »
Des éditions des tomes d'A la Recherche du Temps perdu en plusieurs langues. Hôtel Littéraire Le Swann. (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Pourquoi lire Marcel Proust aujourd’hui ?
Si le style si caractéristique de l’auteur de Du côté de chez Swann peut suffire à satisfaire beaucoup de lecteurs, tant il est singulier et virtuose, pour le Président de l’Association des Amis de Marcel Proust, son œuvre, outre l’humour certain qu’elle contient, est d’abord une école de l'émotion et de l'attention.
« Il nous aide à développer notre sensibilité et ainsi à nous ouvrir au monde qui nous entoure. Il nous enseigne à décoder le signe du banal. » Marcel Proust aurait donc la capacité à embellir le quotidien, « où les choses peuvent nous paraître parfois médiocres, et où être attentif à tous ses signes qui rendent la vie un peu plus belle est plus que jamais nécessaire ».
Avec cette porte vers l'émerveillement, l'œuvre de l'auteur du Côté de Guermantes serait également un peintre des nuances du sentiment que porte chacun en soi : « À un moment donné, Proust va parler de nous-même. On va se reconnaître dans une phrase, un paragraphe, un épisode. Il s’est tellement intéressé à l’état d’esprit de ces contemporains. Il s’est tellement imbibé de toutes ces sensations, comme une éponge, qu’à un moment, un paragraphe va vous saisir. Il y a tellement de diversité d’états d’esprit, de pensées, avec tant de précision, qu’il va mettre des mots sur des maux que vous avez eus vous-même sans même y penser. Proust est un miroir. »
L'auteur du Temps retrouvé ne s’adresserait donc pas seulement à un public de connaisseurs ou d’érudits, mais aiderait véritablement à vivre : « Il y a des personnes de l’association qui, lorsqu’ils nous parlent de leur découverte de Proust, en ont les larmes aux yeux, parce que cela a réellement transfiguré leur vie », conclut le président de l’association dédiée à la figure de ce grand écrivain du XXe siècle français.
À LIRE: Marcel Proust en voyage à Taïwan
Outre la parution en juin des lettres à Horace Finaly, et les éditions sur Proust portées par Antoine Compagnon, notamment sur les racines juives du peintre des sentiments, Gallimard publiera en automne la collection d’un brésilien qui possède un certain nombre d’inédits de l’artiste, notamment des photos.
#[pub-8]
Une réédition enrichie de la biographie de l'écrivain par Jean-Yves Tadié verra également le jour ces prochains mois.
Crédits : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 09/06/2022
128 pages
Editions Gallimard
16,00 €
Paru le 03/03/2022
421 pages
Editions Gallimard
32,00 €
Paru le 21/04/2022
1952 pages
Editions Gallimard
75,00 €
Paru le 19/09/2019
2400 pages
Editions Gallimard
36,00 €
Paru le 09/03/2022
256 pages
PU Paris-Sorbonne
8,90 €
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Marie
02/06/2022 à 08:45
J'écrirais plutôt ( cela n'engage que moi, bien sûr) : "Ce professeur d'ennui", bien que reconnaissant que le premier tome de "A la recherche du temps perdu" vaille la lecture...
Reshad Nazroo
03/06/2022 à 03:48
Cette commémoration me rappelle "Le Grand Meaulnes" d'Alain Fournier, un autre roman de style très "proustien". Mort et porté disparu durant la Grande Guerre, il n'a écrit que cette unique oeuvre qui fait penser beaucoup aux romans de Marcel Proust, notamment dans les Soixante-quinze feuillets retrouvés de ce dernier, ses premières ébauches. Un des chapitres du Grand Meaulnes a pour titre "À la recherche du sentier perdu" et renvoie de loin à la description de la promenade de la grand-mère de Proust dans le sentier du jardin de la maison familiale de ses grands-parents.