Il n’y a chez Edgar Allan Poe qu’un seul roman. Les Aventures d’Arthur Gordon Pym est moins un récit d’exploration qu’une expérience des limites : de la mer, de la faim, de la raison - et, au bout du monde, de ce blanc qui efface tout. On appelle ça un roman d’aventures, c’est en réalité un long frisson métaphysique. On embarque sur un coup de tête et l’on finit dans l’énigme, comme si la littérature, poussée trop loin, devait se résoudre dans une lumière qui aveugle.
Cette nouvelle édition a l’élégance de ne pas « expliquer » Poe : elle l’accompagne. La traduction de Charles Baudelaire garde sa scansion nerveuse, ses angles, ses soubresauts, cette manière de tendre la phrase comme on affale une voile avant la rafale.
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On entend la houle dans le rythme, la claustrophobie des cales, l’ivresse trouble des horizons. Il y a chez notre grand poète une gravité de métal qui sied à l’Atlantique de Poe : on avance, lesté de mots lourds, vers quelque chose de plus lourd encore. L’introduction est signée Jules Verne, qui replace la fable dans sa lignée d’« explorations imaginaires ».
Quid du nouveau ? Les 25 aquarelles de Daniele Serra. Palette restreinte - gris plomb, bleus sales, sépia -, chiaroscuro granuleux, compositions déséquilibrées qui maintiennent l’œil en insécurité. Il pratique un figuratif fissuré, spectral — assez précis pour qu’on y croie, assez ouvert pour que l’angoisse y remonte.
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On pourrait raconter les périls, mais on manquerait l’axe du roman : l’obsession. Poe tire son fil jusqu’à la corde. À mesure que Pym s’avance, ce n’est pas tant le monde qui s’ouvre que notre certitude de comprendre qui se désagrège. Le roman n’est pas un coffre au trésor, c’est un trou noir littéraire. Et un bel objet.