#AssisesEditionsIndépendantes23 – Éditeur, un métier de création, ou au moins de contribution à la création, on en comprendra l’attrait. Il y a les grandes structures, appuyées sur une histoire plus ou moins longue, qui est aussi celle des concentrations, et des aventures individuelles ou en petit comité. Ces dernières sont portées par des passionnés, entre succès, force de conviction et manque, parfois, de culture d’entreprise. Alors, pourquoi devient-on éditeur indépendant ?
Le 06/02/2023 à 16:27 par Hocine Bouhadjera
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06/02/2023 à 16:27
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À partir d’exemples de parcours, émerge une silhouette ténue de la « bibliodiversité », dont seule la découverte patiente des près de 2000 maisons dites indépendantes pourraient véritablement rendre compte. Aucune recherche de synthèse ici, ni d’approche analytique, mais des portraits vivants.
Pour ceux qui ont soif de débats et autres réflexions qui ont animé ces premières assises, il faut écouter les podcasts disponibles sur ActuaLitté, qui continueront à être publiés tout au long de cette semaine.
Le risque et l’innovation
« Ma thèse ? J’ai tout lâché pour la maison d’édition. Résultat : 11 thèses publiées. » Jérémy Eyme est le jeune fondateur des éditions du Panseur, lancées en 2019. Non sans fierté, il a pu nous l’annoncer, en attendant d’autres signatures potentielles dans ce sens : en 2023, trois parutions ont déjà ou seront imprimées en poche chez Folio (janvier, mars et octobre), révélant leurs succès.
Avant de devenir un éditeur à part entière, Jérémy Eyme a été consultant dans le domaine de la santé au travail, après une formation en psychologie du travail. Il a ensuite entamé un doctorat en sciences de l’éducation, sans, comme on l’a compris, aller au terme de ce travail, pour se lancer dans l’aventure de la publication.
À force de rencontrer des auteurs, passionné par leur approche, il a eu une révélation : ce qu’il aimerait faire, c’est accompagner des textes, porter des paroles, mais pas n’importe lesquelles : « Une littérature où la métamorphose est au service de la métamorphose. » Des titres qui rendent compte d’une transformation, et qui contient en son sein, une transformation de l’écrivain lui-même par l’écriture, comme l’a décrit entre autres Paul Valéry : « Ils rendent compte/conte du réel . » Souvent des expériences difficiles, âpres, et la possibilité, pour celui qui lira ce texte, d’en tirer des leçons pour lui-même, voir, à terme, s’en sortir.
Le prochain ouvrage qui paraîtra en mars est un premier livre rédigé à 70 ans, entre témoignages d’une vie d’écrivante de l’ombre, dactylo, rédactrice pour la publicité, la radio… Et en creux un éloge du trivial en écriture, du SMS au spot de pub.
Son idéal dans le métier : les éditions Cheyne, qui s’autodiffuse, communique, possède sa propre imprimerie, ses premiers lieux, « tout en étant totalement ouvert sur le monde » : « L’autonomie, c’est pour être bien dans ses baskets, selon sa sensibilité. Ne pas se soumettre à un marché, c’est un risque et en même temps le plaisir de l’innovation. Travailler le bizarre, l’étrange par exemple. »
Son engagement : une « attitude éthique » avec les libraires, « même avec ceux qui me rejettent ». Avec un rythme de 6-7 ouvrages, il confesse qu’il faudrait produire plus. Un bilan financier à l’équilibre malgré des succès, car tout est réinvesti dans les oeuvres suivantes.
Difficile édition
Une autre aventure éditoriale est née en septembre 2021, de cette période de pandémie qui a dévié de sa route bien des trajectoires professionnelles. Carine Sandon est une juriste ayant officié dans le notariat et pour la maison d’enchères, Fauve, avant de totalement changer de vie pour devenir éditrice d’ouvrages photo dans le Jura. Avec un associé photographe animalier, elle a fondé Melrakki (renard en vieux norvégien) éditions, d’abord pour imprimer le projet de ce partenaire professionnel victime des refus ou de l’absence de retours des éditeurs spécialisés.
L’inspiration : Vincent Munier qui autopublie ses beaux livres. La concurrence ? Les éditions du Chêne, cette fois-ci, ou d’autres importantes structures comme Taschen. De Fauve aux fauves et à la faune, puisque la maison se concentre sur les titres liés à la protection de l’environnement. Une partie des bénéfices des publications est consacrée à des associations engagées dans les combats écologiques. À quoi s’ajoute un pourcentage pour les auteurs pas en dessous de 10 %, ou la fabrication d’ouvrages en France, pour des prix en librairies entre 40 et 50 €.
Un sacerdoce ? Pour cette juriste de formation très éloignée de ce milieu, la découverte des problématiques du secteur l’a quelque peu décontenancée. Première surprise : l’éclatement des sources d’informations nécessaires au respect des termes légaux ; et « en cas d’erreurs, ils ne vous manqueront pas »… Autre complication, outre les frais postaux et dépenses de ce type : les conditions d’attribution des aides du Centre national du livre (CNL), tributaires d’un minimum de publications, de revenus etc. En clair, pas de soutien pour les toutes jeunes maisons.
« Finalement, on a découvert que les livres photo n’étaient pas soutenus par le CNL, nous renvoyant vers la DRAC régionale et ses critères encore plus sélectifs. » Face à ses difficultés, les nouveautés, Le voyage de Titi et Seconde chance, ont d’abord été proposées en précommande, à travers la plateforme de financement participatif, KissKissBankBank. En parallèle à la maison d’édition, Carine Sandon a également créé une agence de photographie.
La culture entreprise
Quelqu’un qui a une importante expérience du développement d’une entreprise, c’est bien Patrick Cova. Ce grand travailleur a coordonné l'organisation des Assises à travers sa structure, AlterMondo, faisant leur succès avec subtilité, en plus de représenter la maison d’édition qu’il dirige depuis 2018, Parole. Un long chemin jusqu’à l’édition indépendante commencée par l’école de Bande dessinée d’Angoulême, puis Hollywood à l’âge de 17 ans. Pour la Warner, il participe à la création des jaquettes de LaserDisc, ancêtre du DVD, avant de prendre la direction artistique de ce travail graphique.
Il quitte sa vie américaine, un très confortable salaire et sa villa de fonction, pour conquérir Paris. Les moyens, les méthodes de travail… Tout est différent… Il lance plusieurs boîtes, notamment de graphisme, qui lui permet d’oeuvrer sur le dessin animé créé pour FR3, Kimboo, ou collabore avec les magazines du groupe Filipacchi, comme Jazz Magazine. Il abandonne finalement la capitale pour travailler dans la communication. Une longue expérience de l’entreprise et de la production culturelle, jusqu’à reprendre la maison installée dans le Verdon depuis 2004, Parole.
D’abord édition dite régionaliste, elle se singularise rapidement en se vendant sur les marchés de Provence, entre les légumes et la viande. D’autres initiatives naissent par la suite : la soupe au livre où on lit des extraits, on discute autour d’une soupe et du vin, puis c’est au tour du public de lire à voix haute. Depuis l’année dernière, Patrick Cova a lancé la Guinguette littéraire, entre déclamation de comédiens formés à dire des textes, et musique. L’événement accueille à présent, dans un esprit de mutualisation, d’autres éditeurs amis.
Pour continuer à se développer, la maison qui est passée d’un chiffre d’affaires de 80.000 € en 2018 à 200.000 € actuellement, notamment grâce au déploiement d’un outil de gestion efficace, compte présentement trouver un distributeur et un diffuseur, « pour se libérer du temps ».
Pour Patrick Cova, « une bonne gestion est la clef de la liberté et de l’indépendance ». « Ses assises constituent un acte fondateur », explique-t-il encore, et d’ajouter : « On existe et on peut être un interlocuteur. C’est le point de départ de quelque chose, maintenant il faut embrayer. »
L’édition engagée
L’édition indépendante engagée dans son développement, avec ses logiques d’accumulation du capital d’un côté, et une approche clairement militante, comme chez Du bout de la ville. La maison, installée dans l’Ariège, a été lancée par une équipe de quatre camarades : Floréal Klein, Pierre Guerinet, Manu Baudez et Julie Aigoin, auteurs du premier texte de la structure, Oublier Fukushima, conçu à partir de témoignages des victimes de la catastrophe nucléaire au Japon.
Floréal Klein, après des études de sociologie, a quitté le monde du documentaire pour celui du livre qui « inscrit le mieux les choses dans la durée ». Le quatuor Du bout de la ville s’inscrit dans l’histoire de l’édition critique, importante dans les années 70, basée sur le témoignage directs des acteurs, que ce soit des agriculteurs, des prisonniers « plutôt que des juges »… Capables de porter un regard sur leur condition.
Dit d’une autre manière, « publier des personnes qu’on n’entend nulle part » : Kamel Daoudi, obligé depuis 13 ans de pointer 3 fois par semaine au commissariat, Aurélie Garand, « voyageuse », plutôt que membre de la communauté de gens du voyage, qui se bat pour faire reconnaître la responsabilité des pouvoirs publics dans le décès de son frère, Angelo. Ou encore Perdre ma vie est un risque plus grand que celui de mourir, de Doria N’drea, qui décida, dans les années 80, après une vie de militantisme, de ne pas suivre son traitement contre le cancer, afin de rester maîtresse de ses derniers instants.
Une réflexion radicale contre les logiques du capitalisme basées sur l’accumulation. Et l’indépendance ? : « C’est un processus, pas un état. C’est une lutte dans un rapport à », développe Floréal Klein. Et d’ajouter : « Si on ne peut sortir des logiques du marché, on peut faire au mieux face à ce système, s’associer, établir un rapport de force quand c’est possible. »
Les éditions des Lisières travaillent elles aussi avec des voix minorées comme celle des peuples colonisés. Iboshi Hokuto, décédé à 28 ans dans l’alcoolisme, après avoir appelé la population aïnou à garder sa dignité face à la colonisation japonaise, est l'une des plumes révoltées portée par la maison.
La créatrice de la structure, Maud Leroy, est passée « de l’autre côté », de la librairie à l’édition, « pour la dimension créative » du métier, et pour porter une approche « politique, éthique » : « J’ai découvert la poésie par les poètes de la résistance. Pour moi, le lien entre poésie et politique est donc consubstantiel. Dès qu’on utilise des mots, c’est politique. Qui parle, quoi, quels mots, à qui… »
Le genre et le format
Thomas Fouchault est un exemple d’auteur passé à l’édition. D’abord, il a voulu être publié, alors il s’est tourné vers les éditions spécialisées dans l’imaginaire, Mille Cent Quinze : « Frédéric Dupuis (le créateur de la maison) m’a édité, et en 2017, on a décidé de s’associer lors d'un voyage de retour de festival. J’étais curieux de découvrir ce qui se passait du côté éditeur. » 1115, pour 11 cm sur 15, publie des nouvelles à l’unité d’auteurs contemporains : « Le format permet de rapprocher de la lecture ce qui en serait éloigné, et de partir en voyage express. »
Les éditions Bélial ont d’ailleurs lancé, plus tard, une collection s’en rapprochant, Une Heure-Lumière, alors, inspiration ? Des formats innovants, jusqu’à l’évolution de la maison : « On fait passer des poches en grands formats », nous explique Thomas Fouchault. Offrir une mise en page plus aérée pour un des premiers titres de la maison, ou imprimer des textes plus longs pour ne pas se fermer à des œuvres d’un intérêt certain.
Thomas Fouchault continue de publier des livres, notamment aux éditions Silex. Il a reçu, avec neuf autres écrivains, le Prix Imaginales de la nouvelle, pour Férocité, financé par des contributeurs. Un autre projet de financement participatif est en cours pour un nouveau recueil de nouvelles, Les portes de l’envers.
À LIRE:Une Fédération des éditeurs indépendants,“J’en ai eu les larmes aux yeux”
Outre son engagement en tant qu’éditeur, Thomas Fouchault est également membre de La ligue des auteurs professionnels. Un statut entre deux qui l’amène à s’engager pour un meilleur équilibre de la relation auteur-éditeur, et un partage plus équitable de la valeur.
Crédits photo : ActuaLitté
DOSSIER - Assises nationales de l'édition indépendante : se définir et agir
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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1 Commentaire
Adela
17/02/2023 à 20:47
Il me semble qu'il y a une confusion sur l'éditeur idéal de Jérémy Eyme : plutôt que les éditions du Chêne, ne s'agirait-il pas plutôt... des éditions Cheyne ? Cela aurait plus de sens au vu des arguments avancés (diffusion Indé, savoir-faire d'imprimeur...) 🤭