#AssisesEditionsIndépendantes23 – La notion d’édition indépendante, qui s’est imposée dans le vocabulaire du monde du livre, se rapporte aux structures ne relevant pas d’un grand groupe. Mais encore ? Qu’est-ce qui lie Actes Sud, 9e maison française en termes de taille, et un humble éditeur de Colmar ? C’est pourquoi, à l’occasion des 1ères assises de l’édition indépendante, nous sommes allés interroger ces acteurs qui font vivre cette fameuse « bibliodiversité », et leur demander : qu’est-ce que signifie pour vous, « être indépendant » ?
Le 03/02/2023 à 09:54 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
03/02/2023 à 09:54
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Le terme d’ « indépendant », au XIXe siècle, était porté par les artistes qui souhaitaient s’extirper des critères des salons officiels qui donnaient le « la ». Naîtront de cette volonté émancipatrice des mouvements comme le Parnasse, lancé par l’auteur Théophile Gautier. Ici, on affichait haut et fort « l’art pour l’art », et le bon goût du créateur par delà les normes du temps.
Ces artistes souvent, comme Camille Pissarro, alliaient avant-garde esthétique et avant-garde politique. Recherche d’une plus grande liberté, engagement éthique et rupture avec les modèles dominants, on retrouve à présent ces éléments chez la plupart de ces éditeurs dits indépendants, à la suite de figures comme Jérôme Lindon, François Maspero ou encore Nils Andersson.
Indépendance = diversité
Quand on demande au cofondateur des éditions Pourpenser, Albert de Pétigny, ce qu’il entend par indépendance, il répond : « C’est avant tout être conscient de nos dépendances, et de les choisir. Nous dépendons des auteurs, sinon nous n'avons pas de livres, des réseaux de diffusion, sinon nous n'avons pas de lecteurs et des lecteurs eux-mêmes, sinon nous n'avons pas d’avenir. Toute la question est de façonner des liens sains. » Dans cette optique, le passionné d’informatique préfère parler d’écosystème plutôt que de chaîne du livre.
Le premier président du collectif d'éditeurs en Pays de la Loire, Coll.LIBRIS, nous confie aussi avoir eu « les larmes aux yeux », pendant le discours inaugural du président de la Fédération, Dominique Tourte. Il voit dans l'organisation créée en 2021, « le pendant au Syndicat national de l'édition (SNE) », ce « syndicat du crime » ajoute un autre éditeur présent aux Assises.
Touché, car l’éditeur depuis 2002 a toujours pensé son aventure éditoriale comme une occasion de multiplication des points de vue, des méthodes. Plus encore, faire en sorte que son « empreinte d’éditeur soit aussi faible que possible », comme si c’était du carbone. En clair, pour Albert de Pétigny, indépendance = diversité, et surtout, c’est le moyen de « la joie, sinon on crève ».
Ce dernier présentera à ses collègues, durant le salon, son initiative autour de la gestion des données d’une structure éditoriale, Oplibris. Ce projet de logiciel en libre accès viendrait concurrencer un certain Google et son Google Sheet. L’opposition contre les GAFAM n’est donc pas loin, retrouvant la dimension engagée derrière cette notion d’édition indépendante.
L’engagement, pour l’éditrice Galia Tapiero et ses éditions Kilowatt, passe par ses ouvrages jeunesse documentaires. Anthropologue de formation, elle apporte des outils aux enfants pour mieux appréhender l’altérité ; parler de diversité, de différence… Et de proposer en définitive, « des manières de mieux vivre ensemble. Que l’Autre n’est pas si éloigné, même si différent. »
Un autre éditeur engagé : le natif du Grand Est, Camille Delettre, à la tête de la maison L’Atteinte. Pour ce dernier, le terme indépendant est problématique, lui préférant « alternatif, plus proche de la réalité ». Il ne rejette certes pas le commerce, mais le souhaite éthique et moral, sans compromission.
Quand le président de la Fédération qui regroupe les associations nationales d’éditeurs (FEDEI), Dominique Tourte, a présenté la nécessité de créer un organisme régional pour participer à cette aventure, Camille Delettre a lancé l’Association des éditeurs du Grand Est avec 7 autres maisons, dont les Strasbourgeois 2024 ou les Mulhousiens Médiapop. Elle ouvrira bientôt les adhésions : « On ne parle d’ailleurs pas d’association, mais de syndicat », nous confie-t-il. Une acception qu’il tire de sa praxis : ne pas avoir peur d’entrer en contradiction pour faire avancer les choses.
Isolés ou solidarité ?
Comment sa résistance aux conventions du monde littéraire se matérialise-t-elle ? En publiant des titres qui sortent des sentiers battus, mais plus radicalement, en n'hésitant pas à proposer des romans courts, qui pourront avoir moins de 100 pages sans être « ni des nouvelles ni des novella » : « Il y a une normalisation du roman, avec un début, un milieu, une fin clairs, entre 200 et 400 pages », explique t-il. Une critique du remplissage caractéristique de beaucoup d’ouvrages qui paraissent tout au long de l’année, mais, plus encore, la constatation qu’écrire concis tout en racontant une histoire forte est beaucoup plus difficile.
Il cite, pour illustrer ses dires, un des derniers livres qu’il a édité, Le Pégase d’Antoine Sanchez : « À force de recevoir des refus, parce que trop court, ou pas assez autre chose, Antoine Sanchez m’a présenté un texte auquel il a fallu retirer toutes les scories inutiles pour rendre une œuvre poignante. »
Une approche qui semble avoir intéressé la littérature des grands groupes, puisqu’Anton Beraber, publié à la collection Blanche de Gallimard, a confié à L’Atteinte un de ses textes, Celles d’Hébert. Résultat : des papiers dans les journaux à tirage important, comme Libération, « sans se compromettre ». Avec le succès, il rentre même dans « des cercles critiqués auparavant »… Difficile équilibre à trouver.
Autre constat de Camille Delettre sur l’édition dite indépendante : « La plupart du temps, on ne se parle pas du tout. Il y a le danger de s’isoler. » Élise Betremieux, créatrice de la maison lilloise Les Venterniers, au contraire, expérimente une véritable solidarité entre les éditeurs indépendants, et une mise en concurrence bien plus saine que sur la scène des grands groupes : « La transmission existe entre un éditeur confirmé et un novice », et d’ajouter : « Être un éditeur indépendant, c’est appartenir à un milieu. »
Pour cette artisane du livre entièrement fait main, l’édition indépendante, c’est d’abord la souplesse, un fonctionnement alternatif, que ce soit dans la diffusion, la production, la plus ajustée possible, et de l’autonomie. À travers sa pratique, elle interroge l’objet-livre et ses conditions de fabrication.
Quid de la dimension politique et éthique inhérente au label éditeur indépendant ? « Faire des livres à la main, c’est politique », confirme-t-elle, et de continuer : « C’est un rapport au temps, à l’objet, et un engagement du corps, comme dans tous les artisanats. D’ailleurs, tous les éditeurs indépendants engagent leur corps, en devenant des manutentionnaires. »
« Être indépendant, c’est le Graal »
En outre, elle met un point d’honneur à vendre ses ouvrages à des prix autour de 14 €, comment ? « En baissant les marges ». La membre de l’Association des éditeurs des Hauts de France est formelle : « L’édition indépendante, ce n’est pas seulement une idée, c’est d’abord créer des relations interpersonnelles. »
Mais peut-on avoir été une maison d’édition dite indépendante, s'être grandement rapprochée d'une grande structure, et garder malgré tout son identité comme sa liberté ? L’apprentie assistante éditoriale chez Othello et Le Nouvel Attila, Pauline Pansart, en est convaincue. Lié au Seuil depuis 2019, Le Nouvel Attila est toujours dirigé par Benoît Virot, qui reste propriétaire de son fond et de sa marque. La ligne éditoriale est restée la même, soit des textes « iconoclastes, avant-gardistes » ; « et s’ils discutent en comité de lecture des textes à potentiellement publier, s’il veut faire ce texte, il le fait », nous confirme Pauline Pansart.
Cette dernière pousse cet éloge d’indépendance, même dans un groupe, à tous les pans de la vie : « Être indépendant, c’est le Graal. »
Enfin, Céline Telliez, chargée de mission pour la FEDEI, avec son regard plus global, constate que beaucoup d’éditeurs préfèrent être considérés comme « indépendants », que de se voir affublé des adjectifs, « petits » ou « moyens », vocable qui peut être vécu comme « dévalorisant ». « Parle-t-on de petits coiffeurs ? », se demande-t-elle. Aussi, il importe de casser cette image « régionaliste » qui colle à la peau de beaucoup de ces éditeurs « des territoires », comme disent les politiques.
À LIRE:« Nous incarnons une mosaïque, pas un monolithe »
Qu’est-ce qui caractérise selon elle, en définitive, un « éditeur indépendant » ? « C’est d’abord un couteau suisse qui doit maîtriser de nombreux savoir-faire, techniques, commerciaux…» Elle rappelle finalement que beaucoup de ces passionnés ne vivent pas de leur activité, avec la nécessité d’avoir plusieurs emplois, de réaliser des ateliers et autres prestations.
DOSSIER - Assises nationales de l'édition indépendante : se définir et agir
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 26/06/2018
48 pages
Editions Pourpenser
12,00 €
Paru le 26/11/2020
98 pages
L'atteinte
15,00 €
Paru le 05/04/2022
128 pages
L'atteinte
16,00 €
Paru le 03/12/2020
32 pages
Editions les Venterniers
14,00 €
Paru le 17/11/2018
100 pages
Editions les Venterniers
14,00 €
Paru le 26/08/2022
144 pages
Le Nouvel Attila
17,00 €
Paru le 15/04/2022
48 pages
Kilowatt
8,50 €
8 Commentaires
indie
03/02/2023 à 15:10
Merci pour le vocable woke en gras qui réenchante sans aucun doute le printemps des petits et moyens éditeurs qui souffrent particulièrement... presque à en crever.
Camille
06/02/2023 à 10:49
C'est assurément avec ce type de réflexion que nous avancerons: quitte à "crever", peut-être pourriez-vous le faire en silence ?
Dominique L.
06/02/2023 à 13:29
"vocable woke" ?
Qu'est-ce que ça vient faire là ?
Ce terme renferme tant de bêtises…
À moins que vous ne l'ayez utilisé dans sa version littérale, à savoir un vocable éveillé.
Bianca
04/02/2023 à 08:18
Être régionaliste c'est un gros mot ? Cette façon de se definir par contraste avec l'autre est un biais de réflexion pour le moins désagréable. C'est utiliser un cadre de pensée usé et totalement à rebours des réalités. L'indépendance commence par celle de l'esprit. D'ailleurs l'édition régionale était le thème de la dernière séance plénière et l'on y a entendu de formidables plaidoyers pour cette édition proche des gens, vertueuse par ses circuits courts , au service des populations (par la défense des langues, de l'histoire, du patrimoine) dont elle est l'emanation naturelle. Une édition à reconsidérer pour ce qu'elle est, en se départissant bien vite des facilités de langage et des a priori (folklore, images d'Épinal et autres billevesées). Merci...
Juliette G
04/02/2023 à 11:18
Concernant le passage sur les éditions Kilowatt, dirigées par Galia Tapiero, il semble qu'il y ait une méprise. La maison donne justement une grande importance à l'altérité et à la découverte du monde.
Hocine BOUHADJERA
04/02/2023 à 11:46
Bonjour Juliette, merci pour ce commentaire. La construction de cette phrase portait effectivement à confusion, c'est modifié.
Bien à vous,
Hocine
Romain
04/02/2023 à 12:46
Même si par moment je me dis que nous ressemblons un peu à des enfants gâtés à nous plaindre alors que personne ne nous force à faire ces métiers, il est tout de même essentiel de ne pas laisser trop de place au formatage imposé par des structures éditoriales pilotées par des intérêts financiers ou qui disposent d'énormes moyens pour promouvoir une vision uniforme et consumériste.
Dominique L.
04/02/2023 à 13:17
Merci à Actualitté d'avoir suivi ces premières assises de l'édition indépendante.
Nous avons vécu deux jours intenses, autant durant les tables rondes et autres ateliers, mais aussi les entre deux, rencontres, échanges d'expérience, contacts.
Toutes ces maisons d'édition (plus de 2000 en France) dans leur diversité, leur engagement, et surtout leur volonté d'exister dans un milieu où la concentration devient si forte ont compris qu'il fallait tout réinventer en visibilité, en créativité (elle est déjà bien là) d'action, mais aussi en coordination, en solidarité, et en vision de l'avenir.
Nous sommes arrivés aux assises, pour certains en victimes, et nous en sommes ressortis en conquérants, non pas en termes guerriers ou prédateurs, mais en termes de volonté de montrer à tous, lecteurs, institutions, médias, professionnels de la chaîne du livre, que nous sommes indispensables à la bibliodiversité, à la vie du livre sous toutes ses formes et dans toutes ses identités.
Un premier pas a été franchi, la tâche reste ardue, le chemin long.
Si l'édition indépendante est difficile à définir, comme toute matière vivante, elle sait ce qu'elle n'est pas.
Merci à tous ceux qui ont œuvré pour que cet événement aie lieu. Vous avez beaucoup donné, nous avons beaucoup reçu.