À l’occasion du bicentenaire de la naissance d’Henri d’Orléans, dit le duc d’Aumale, grand bibliophile et reconstructeur du château de Chantilly, plusieurs expositions ont été organisées dans l’ancienne demeure des Condé. Depuis le 5 octobre et jusqu’au 2 octobre 2023, le cabinet des livres du fils du « roi des Français », Louis Philippe, se présente, de sa création aux plus précieux de ses trésors. Le tout sous le regard pénétrant du buste du grand Condé.
Le 14/11/2022 à 16:48 par Hocine Bouhadjera
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14/11/2022 à 16:48
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Au bout d’un alignement de villages de plus en plus menus, et, entouré de forêt, apparaît le château détruit et rebâti. Il vit passer le connétable de France, Anne de Montmorency et fut la résidence principale du grand Condé, vainqueur à Rocroi. À l’intérieur, élément central de ce qui est à présent le Musée Condé, le cabinet des livres du duc d’Aumale, conçu comme un réceptacle pour abriter l’exceptionnel héritage de manuscrits de la lignée des Bourbon-Condé. Et auquel se sont ajoutées les spectaculaires collections rassemblées par Henri d’Orléans à partir de 1850.
Le duc d’Aumale choisit la dénomination de « Cabinet des livres », en écho à l’histoire du petit Château de Chantilly qui accueillit, tout au long de son histoire, des bibliothèques « choisies ». La notion de cabinet renvoie aussi « au refuge à l’écart du monde ».
Rendre hommage à sa lignée
Le XIXe siècle est considéré par beaucoup d'historiens du livre comme l’âge d’or de la bibliophilie. On y recherchait « avec passion » les textes les plus anciens, les plus rares, les plus précieux ou les plus représentatifs de l’évolution des esprits. Le duc d’Aumale, prince de sang, souhaitait également porter le caractère et la mémoire de la monarchie française à travers ces ouvrages écrits.
Cinquième fils du roi Louis-Philippe, Henri d’Orléans, né le 16 janvier 1822, est gouverneur général de l’Algérie à partir de 1847. En tant que général de division, il se distingue par sa participation active à la reddition de l’émir Abd el-Kader, comme durant la bataille de la Smala. Revenu en France en héros, la Révolution de 1848 qui dépose son père le force à l’exil.
Portrait du duc d’Aumale peint par Franz Xaver Winterhalter. 1843. Il est actuellement restauré à Chantilly, en public. ActuaLitté.
C’est à partir de 1850 qu’il commence, en Angleterre, à rassembler son exceptionnelle collection d’ouvrages rares et précieux, parmi lesquels le célèbre Très riches Heures du duc de Berry, acheté en 1856. Dès 1852, il n’est plus autorisé à avoir des biens en France. La vente de ces derniers, comme le Palais Bourbon qui abrite aujourd’hui l’Assemblée nationale, le rend très argenté. Afin de ne pas perdre le château de l’Oise, hérité quand il avait 8 ans, il réalise une cession fictive avec l’aide de ses banquiers anglais, lui permettant de récupérer la propriété familiale à son retour en France en 1871, après 23 ans de bannissement.
Dans le pays de Victor Hugo, le duc est rapidement sans famille : veuf, son premier fils est mort à 21 ans, son autre à 18 ans en 1872. Le château de Chantilly, largement détruit des suites de la Révolution française, et reconstruit entre 1876 à 1882, sera donc un musée pour accueillir ses collections et rendre hommage à ses prédécesseurs. La bâtisse constitue le chant du cygne de cette ancienne aristocratie.
Pour le « prince des bibliophiles », l’architecte Honoré Daumet conçoit, en 1875-1876, une bibliothèque « moderne » inspirée de la bibliothèque anglaise d’Henri d’Orléans, comme du style XVIIe siècle. Elle est intégrée dans la structure du Petit Château bâti à la Renaissance. Sur deux niveaux, le cabinet est orné des blasons des compagnons du Grand Condé, très représenté dans les rayonnages. Au bout de la pièce, son buste trône en majesté.
Entre héritage et ajouts personnels
Après avoir présenté « les manuscrits de Tagdemt » au printemps de cette année, rapportés du séjour algérien du jeune duc, et les « trésors germaniques » amassés à l’apogée de sa vie de collectionneur, le château dévoile les secrets du cabinet des livres : les sources d’inspiration du prince et de l’architecte, les prouesses techniques des maîtres d’œuvre et l’histoire de la collection à travers quelques pièces marquantes.
« L’exposition sert à expliquer ce qu’il y a dans le cabinet, comment il a été conçu, et son importance bibliophilique et politique », résume Marie-Pierre Dion, conservateur général des bibliothèques du Château de Chantilly. Le noyau de cette bibliothèque privée provient de l’héritage des Montmorency et des Bourbons-Condé. En 1830, fait quasi unique, les ayant droits récupèrent une partie des confiscations de la Révolution française, comme une compensation à l’assassinat du Duc d’Enghien par Napoléon Bonaparte.
Une petite part, en revanche, puisque sur les 60.000 ouvrages des collections façonnées par les princes de Condé, 900 retrouvent les légataires. À quoi s’ajoutent l’ancien fonds Montmorency et sa centaine de textes. Ces lignées sont de ces importantes familles nobles de la Renaissance qui ont constitué les premiers larges ensembles de livres. La collection de son père, Louis-Philippe, également grand bibliophile, 600 autres volumes et 17.000 imprimés rares renforcent « l’une des plus belles bibliothèques au monde ».
Le «premier ouvrage » du château de Chantilly, tiré des collection de la famille Montmorency. ActuaLitté.
Deux bibliothèques entières, acquises en bloc en 1851 et 1859, enrichissent encore ce fonds : les collections d’un anglais bibliomane et francophile, Frank Hall Standish, riches en incunables et éditions princeps, et d’un agent de change parisien, Armand Cigogne, composées de raretés bibliophiliques françaises.
« On est finalement face à un résumé de l’histoire de la bibliophilie », explique Marie-Pierre Dion : la bibliophilie princière qui collectionne à partir du XVIIIe siècle beaucoup de pièces médiévales, la bibliophilie aristocratique anglaise qui se passionne pour le début de l’imprimerie, et la bibliographie française, souvent portée par le monde de la finance. Outre ces trésors, le duc d’Aumale a conservé les archives des Bourbon-Condé, à base de dizaines de mètres de lettres, d’échanges et autres inventaires.
Une nostalgie de l’époque romantique
Cette exposition, à travers des exemples d’achats d’Henri d’Orléans, met en évidence les critères d’acquisition du duc. Le premier, la rareté, l’unicité, est illustré par Hystoire de Perceforest (nom résumé), seul exemplaire de l’ouvrage sur parchemin. Un autre, souvenir d’enfance tiré des collections de ses grands-parents, est un roman de chevalerie typique de la noblesse, somptueusement enluminé.
La nostalgie, caractéristique importante de l’époque romantique, favorise l’intérêt pour l’Histoire et le patrimoine écrit. En outre, la Révolution française et les guerres napoléoniennes ont fait apparaître sur le marché quantité de manuscrits et de livres imprimés. En conséquence, les bibliothèques privées luxueuses se multiplient et les livres se signalent désormais par la succession de possesseurs célèbres qui y apposent leurs ex-libris. Si le duc a confessé un goût prononcé pour « les belles reliures », il a aussi, comme par autodérision, collectionné les ouvrages qui se moquent des bibliophiles plus concentrés sur l’objet que sur le contenu.
Saint Jérôme (345 ? - 420)
Des auteurs ecclésiastiques. Traduction de Nicolas Viole. Manuscrit sur vélin, frontispice aux armes et devise d’Anne de Montmorency. Bibliothèque du château de Chantilly, manuscrit 120.
L’épître dédicatoire de ce court traité loue le zèle mis par le connétable à « faire construire et bastir une librairie très sumptueuse en [sa] maison et chasteau de Chantilly », selon l’exemple du roi et le modèle de la bibliothèque d’Alexandrie ! « Ainsi commence la dédicace d'un joli manuscrit, petit in-4° de 32 feuillets de vélin, qui, après avoir un peu voyagé, se trouve aujourd'hui ramené dans la case qu'il avait d'abord occupée, et dont, avec l'aide de Dieu, il ne sera plus délogé » écrit le duc d’Aumale… Cette épître consacre l'existence d’un « cabinet des livres » à Chantilly (ActuaLitté)
Réalisées par les plus grands artisans de l’époque, dans cet aspect caractéristique du XIXe, dit historiciste, les reliures reprennent les styles de la Renaissance. Il est « le dernier grand bibliophile » à faire apposer sa devise, née de l’exil, « J’attendrai », et son chiffre (HO), sur ses livres et sur le décor même de sa bibliothèque.
Il participe également aux premières sociétés bibliophiliques qui se créent d’abord en Angleterre, puis en France, comme la Philobiblon Society, le Roxburghe Club ou la Société des bibliophiles françois. Dans son approche savante des ouvrages, l’ami de figures comme Léopold Delisle publie des articles, contribue à la reproduction moderne de ses livres les plus rares, étudie, reclasse, confronte son fonds ; ou encore accueille les chercheurs à qui il pouvait prêter des textes.
Fer de reliure et livre aux armes du duc d’Aumale avec sa devise marquée par l’exil : « J'attendrai », vers 1855. Musée Condé. / Reliure aux armes d’Henri d’Orléans sur : Jean de Clamorgan, La Chasse du loup, nécessaire à la maison rustique, Lyon, Jacques Du Puys, 1583 . Reliure signée par Duru (1858), maroquin vert, décor doré de filets courbes et de fers azurés, au chiffre du duc d'Aumale (OHR 2588, n° 9). Provenance : vente Malden, Paris, décembre 1856 . Bibliothèque du château de Chantilly, V-G-056. © Bibliothèque du château de Chantilly
Élu à l’Académie française, le doyen de l’armée française, grande croix de la Légion d’honneur, retrouve l’exil en 1887 durant trois ans, en vertu de la loi du 26 juin 1886 contre « les princes de sang ». Trois ans avant son départ de France, il lègue toutes ses collections à l’Institut de France, avec comme exigence qu’elles ne soient jamais prêtées ni modifiées dans leur présentation. Ce don est motivé par la peur qu’elles soient récupérées par l’État et partagées entre les différentes institutions. Cette loi ne sera abrogée qu’en juin 1950. Il est autorisé à rentrer en France par un décret de 1889, et meurt le 7 mai 1897.
À LIRE:Adopter un des trésors du Château de Chantilly, c'est possible
En parallèle à cette exposition autour du cabinet de livres, le Musée Condé en propose une autre depuis le 15 octobre et jusqu'au 26 février 2023. À base de photographies, on y découvre Henri d’Orléans et son domaine, de 1848 à sa disparition, entre clichés intimes et la riche collection des années 1856-1857, qui dévoile une série des primitifs de la photographie. Se révèlent, entre autres, l’évolution de l’édifice, l’exil ou la reconstruction.
Isidore-Alphonse Chalot (Chantilly, 1846-Paris, 1893). Le château de Chantilly après sa reconstruction, 1885. Chantilly, musée Condé, PH-130.
Crédits photo : Henri d’Orléans, duc d’Aumale . Photographie du bibliophile en pied, bras croisés, à côté d’un meuble-bibliothèque, vers 1860. Album de photographies .Musée Condé, PH 2007-6-1-14. Achat en vente publique Alde grâce à la Fondation Lefort-Beaumont ©RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly-Adrien Didierjean. / Le Cabinet des livres aujourd’hui © ctanierephotographie.
Paru le 04/11/2022
96 pages
Faton
22,00 €
1 Commentaire
Aleph
22/11/2022 à 12:21
Chantilly est un lieu étrange : les collections ne traduisent aucun goût personnel, seulement l'acquisition des pièces les plus chères et les plus célèbres possibles, accumulées comme dans une caverne d'Ali-Baba fantastique. Sur le nombre, il y en a une proportion énorme de magnifiques, mais l'ensemble lui-même reste tape-à-l'oeil et m'as-tu-vu dans son principe, et au fil de la visite, cela se fait sentir très curieusement. La Fondation Bodmer y ressemble, mais avec incomparablement moins de fonds et plus de finesse. Le personnel de Chantilly est exceptionnel, de dévouement, de gentillesse, et d'expertise.