Éclipsés ces dernières années par les livres audio et numérique, les ouvrages en braille restent un support crucial pour l'accès des personnes aveugles et malvoyantes à la lecture. Ces imposants volumes, très coûteux à produire, seront pourtant proposés à un tarif correspondant au « prix unique du livre », dès ce 4 janvier. Une prouesse et une garantie d'accès rendues possibles par le Centre de Transcription et d'Édition en Braille (CTEB) de Toulouse.
Ce 4 janvier marquera la traditionnelle Journée mondiale du braille, système d'écriture vieux de près de deux siècles, créé par Louis Braille en 1829. Grâce aux points saillants qui le composent, les personnes aveugles peuvent, du bout des doigts, lire des textes, mais aussi en écrire, à l'aide d'outils et d'appareils conçus à cette fin.
Les développements technologiques ont épousé les formes du braille : aujourd'hui, des plages braille, dotées de picots rétractables, permettent de lire les éléments affichés sur un écran d'ordinateur.
Comme les autres écritures, le braille s'appuie, pour sa diffusion, sur le support que constitue le livre, avec les particularités que l'on imagine. Le caractère braille, pour commencer, s'avère bien plus imposant que son pendant d'imprimerie. En raison de son relief, il nécessite plus d'espace, un papier plus épais et de meilleure qualité, pour ne pas blesser la pulpe des doigts au fil de la lecture.
Ces particularités imposent donc un certain volume : un format poche imprimé, transcrit, s'étendra ainsi sur plusieurs tomes d'une taille conséquente. Mobylette, de Frédéric Ploussard, paru en 2021 aux éditions Héloïse D'Ormesson, voit ainsi ses quelque 400 pages multipliées en 6 tomes bien épais. Parce qu'il s'appuie sur des facultés tactiles, le livre en braille ne peut se départir d'une physicalité quelque peu encombrante.
Les coûts de fabrication des ouvrages en braille ne sont pas moins imposants : les impératifs techniques, mais aussi le travail de transcription et de correction, aboutissent à des prix qui dépassent les centaines d'euros. Les lecteurs aveugles, pour se procurer des titres, comptent alors sur les ressources des médiathèques et sur le travail de mise à disposition des associations.
Dès ce 4 janvier, tout change : un livre en braille, en plusieurs volumes, sera disponible au même prix que la version en caractères d'imprimerie de n'importe quelle librairie, annonce le Centre de Transcription et d'Édition en Braille.
Depuis plusieurs semaines, le Centre de Transcription et d'Édition en Braille, installé à Toulouse, fourbit ses éléments de communication, aidé par d'autres acteurs de l'édition adaptée et des représentants des personnes déficientes visuelles, comme la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France.
Et pour cause : la vente de livres en braille à un prix équivalent à celui des exemplaires en caractères d'imprimerie représente une prouesse autant qu'un symbole puissant de l'égalité d'accès à la lecture. Le tout en respectant la loi sur le prix unique du livre de 1981, comme le souligne Denis Guérin, chargé de communication et responsable de la transcription des journaux en braille pour le CTEB. « Si l'éditeur a fixé 19 € comme prix unique de son titre, nous proposerons la version en braille au même tarif, quel que soit le nombre de volumes », résume-t-il.
Dans les faits, la loi relative au prix unique du livre n'oblige aucunement à respecter le même tarif pour la transcription en braille, mais le choix du CTEB vise à l'inclusivité. Pour parvenir à un montant si faible, le Centre travaille à perte, « en compensant avec d'autres activités plus rémunératrices que nous effectuons, comme l'adaptation des relevés bancaires ou des magazines des collectivités territoriales », nous précise Denis Guérin. S'ajoutent à l'équation différents soutiens financiers, des fonds de dotation et les fonds propres de l'association.
Le catalogue du CTEB compte environ 2000 titres, dans tous les genres, des classiques de la littérature au genre érotique, en passant par la fantasy et les livres-jeux tactiles. Si les lecteurs et lectrices aveugles disposent d'un certain choix, le gouffre reste immense entre cette disponibilité et les quelque 70.000 titres parus en France sur la seule année 2021. Autrement dit, le travail d'adaptation doit perdurer.
Le travail du CTEB et d'autres structures associatives fait l'essentiel du secteur du livre en braille. En raison des impératifs techniques et financiers, le champ commercial ne se soucie pas de l'édition adaptée, qui relève « d'un service à la personne » selon Denis Guérin. « Sans être exhaustif, je dirais que nous sommes moins d'une dizaine d'associations à réaliser des éditions adaptées aux déficients visuels. »
Parmi celles-ci, des spécificités selon les structures. L'association Valentin Haüy (AVH), une des plus importantes, se concentre sur l'adaptation de textes au format audio adapté (DAISY), quand HandiCaPZéro se consacre notamment aux notices et autres documents administratifs. apiDV s'appuie à la fois sur l'audio et l'imprimé, mais avant tout pour les contenus scolaires.
En matière de littérature, le CTEB reste une structure incontournable, et encore plus pour le format imprimé, que l'AVH a quelque peu délaissé au profit de l'audio.
« Notre best-seller à nous, dans l'année, ce sont 20 exemplaires vendus du même titre », pose d'emblée Denis Guérin pour faire comprendre le paradigme totalement différent de cette édition adaptée. « L'adaptation en braille d'un livre jeunesse très illustré, nous pouvons la réaliser en un jour, mais celle d'un poche de 250 pages requiert un employé à plein temps pendant une semaine. »
À l'opération très spécifique de transcription s'ajoutent des phases de relecture et de correction, sans oublier les coûts de fabrication déjà évoqués. Des machines spécifiques sont nécessaires pour l'impression en braille, qui génère par ailleurs des dépenses énergétiques plus conséquentes que l'impression en caractères d'imprimerie.
Grâce à l'application d'une exception handicap au droit d'auteur, le CTEB peut réaliser l'adaptation d'une œuvre littéraire sans l'autorisation de l'éditeur et des ayants droit, et sans régler de droits d'auteur. La mise à disposition d'un fichier numérique, conservé par la Bibliothèque nationale de France sur sa plateforme Platon, peut accélérer le processus d'adaptation, si toutefois cette version numérique est correctement structurée.
La lenteur et les coûts du processus d'adaptation limitent considérablement la constitution d'un catalogue exhaustif. Si le CTEB s'efforce d'être éclectique, des choix sont indispensables. « Nous suivons l'actualité littéraire, et un comité de lecture se prononce sur les ouvrages à adapter. Nous prenons aussi en compte les demandes, même s'il est évidemment impossible de satisfaire tout le monde. » Les prix littéraires sont particulièrement observés, pour proposer les titres les plus populaires.
On trouve au sein du catalogue de la structure un livre-jeu reprenant les super-héros de l'univers Marvel, et qui permettra à un jeune lecteur ou une jeune lectrice de partager des références communes avec tous ses camarades. « Depuis un an et demi, nous mettons les bouchées doubles sur les livres pour la jeunesse, en raison d'une forte demande des parents et de professionnels du milieu paramédical », indique Denis Guérin.
La vente des livres en braille au prix unique constitue une révolution, mais le CTEB et les associations du secteur se souciaient déjà de l'accessibilité à la lecture. Le Centre de Toulouse vendait ainsi ses titres à perte, et proposait aux bénéficiaires un service de reprise des ouvrages en braille achetés, contre un avoir pour un autre titre.
Ce circuit d'occasion du CTEB s'arrête à compter de ce 4 janvier et de la vente au prix unique : « Il nécessitait des dépenses importantes en termes de logistique et de stockage », explique-t-on. Les lecteurs et lectrices aveugles se constitueront donc leurs bibliothèques personnelles, avec l'entière jouissance des exemplaires achetés. Les commandes s'effectuent directement sur le site du CTEB.
Des ouvrages d'Amélie Nothomb, transcrits en braille, dans le catalogue du CTEB (capture d'écran)
Avant la mise en place du prix unique, le CTEB s'appuyait sur une subvention publique pour appliquer un rabais supplémentaire de 50 % sur les prix des livres adaptés, pour les particuliers. Cette subvention de fonctionnement retrouvera désormais sa fonction originelle.
Outre la vente aux particuliers, le CTEB s'adresse aux professionnels, et notamment aux médiathèques. « On trouve de plus en plus de bibliothèques qui ont des fonds braille », se félicite Denis Guérin, « cela rejoint la démarche de l'inclusion qui secoue notre société depuis quelques années, et nous militons bien sûr pour que les établissements ouvrent de tels fonds ». Le tarif appliqué par livre est différent de celui aux particuliers, mais reste dans une logique d'accessibilité.
La journée mondiale du braille constitue l'occasion idéale de le rappeler, mais le système d'écriture reste indispensable aux personnes aveugles. « Il est nécessaire pour l'écriture, pour l'apprentissage, pour lire en ligne, pour échanger avec les personnes voyantes, pour l'autonomie de la personne, tout simplement », souligne Denis Guérin.
Ces dernières années, l'émergence de nouvelles technologies de transcription et de lecture a pu changer le paysage de l'adaptation : l'audio et le numérique constituent des solutions prometteuses. Mais non suffisantes. « Les soutiens financiers du Centre national du livre et du ministère de la Culture se sont centrés sur l'audio et le numérique, parfois au détriment du braille. »
Dans un secteur exclusivement associatif, où la fragilité des structures — la liquidation de l'association BrailleNet reste dans les mémoires — reste la règle, le souhait serait de voir toutes les pistes d'adaptation soutenues par les finances publiques, plutôt que l'une ou l'autre favorisée.
« Il ne s'agit pas d'opposer l'audio et le braille, ou le numérique et le braille. Le braille a ses caractéristiques incontournables, comme tout livre imprimé : on le conserve plus facilement, on le manipule avec aisance, on revient en arrière, on cite avec les mains comme on peut le faire avec les yeux. » Pour l'accessibilité au texte, la liberté de choix du support est cruciale : être obligé d'écouter un texte peut être aussi contraignant que de ne pas disposer de texte du tout.
Photographie : la version braille, en plusieurs volumes, de Mobylette de Frédéric Ploussard (Héloïse D'Ormesson) - CTEB
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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