LeLivreaMetz24 – Comment décrypter l’information dans un monde globalisé, nourri de milliards de données chaque jour ? C'est une des questions que se posent l'auteur de La guerre de l'Information (Tallandier), David Colon, le journaliste et grand reporter Olivier Weber, et le jeune directeur de Radio France internationale (RFI), Jean-Marc Four. Ce dernier a accepté d'évoquer ce complexe et épineux sujet auprès d'ActuaLitté, à l'occasion du festival qui allie littérature et journalisme, Le Livre à Metz.
Le 20/04/2024 à 18:20 par Hocine Bouhadjera
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20/04/2024 à 18:20
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ActuaLitté : Comment peut-on analyser et comprendre l'information dans un contexte où nous sommes inondés de milliards de données quotidiennement ?
Jean-Marc Four : À l'ère numérique, les individus sont en effet submergés par une quantité massive d'informations provenant de diverses sources, - les médias traditionnels, les supports numériques et les réseaux sociaux -. Cette pléthore de données pourrait théoriquement offrir un large éventail de perspectives s'il n'y avait pas une prolifération de la désinformation, qui se développe toujours plus, atteint aujourd'hui un niveau critique.
Face à cette surabondance, paradoxalement, beaucoup tendent à se replier sur des sources restreintes, qui la plupart du temps sont celles où l'on se sent le plus à l'aise, favorisée par le fonctionnement des réseaux sociaux. Le champ de l'information est donc rétrécit.
Après, on peut se demander à quel point on est aussi face à un gamin qui mange trop de bonbons, et face aux alertes qu'il aura mal aux dents, en mange quand même. Dit autrement, on sait que ce sont des bêtises, mais on regarde ou écoute quand même. S'ils n'y croient pas vraiment, c'est moins grave. J'étais plusieurs années correspondant à Londres, et dans ce pays, la presse de caniveau est très lue : Le Sun, Le Daily Mirror... Ces publications ne servent pas à informer sérieusement, mais sont consommées pour le plaisir, comme un loisir ou pour se détendre. Quand j'interrogeais leurs lecteurs, ils étaient conscients de la nature souvent sensationnaliste ou peu fiable de ces tabloïds.
Malgré tout, que faire face à la désinformation qui essaye de se faire plus grosse que les médias dits traditionnels, avec ses exigences journalistiques ?
Jean-Marc Four : D'abord, il ne faut pas nier la responsabilité des médias dans la perte de confiance qu'elle subit. Il ne suffit pas de blâmer uniquement les réseaux sociaux, les erreurs humaines ou les autorités publiques. Les médias doivent reconnaître leurs erreurs et être transparents sur leur processus éditorial. Une émission sera lancée prochainement sur RFI pour révéler les coulisses de nos rédactions, montrer comment les nouvelles sont choisies et traitées.
Deuxièmement, l'éducation aux médias doit être intensifiée pour aider le public à distinguer les fausses informations des vraies. Il est essentiel d'enseigner comment identifier une image manipulée ou une nouvelle infondée, surtout à l'ère de l'intelligence artificielle. Certes, on est sorti du zéro éducation aux médias à l'école, mais c'est très loin d'être suffisant actuellement.
Enfin, il faut une véritable réglementation des plateformes numériques. Les grandes entreprises technologiques, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) entre autres, doivent être mieux régulées. Elles prétendent souvent n'être que des « tuyaux » transmettant l'information, mais en réalité, elles ont les moyens de contrôler et de modérer les contenus qu'elles diffusent. Une réglementation plus stricte pourrait être comparée à la régulation des moteurs d'automobiles, où sans certaines limitations imposées, il y aurait des conséquences dangereuses pour la sécurité.
Aux États-Unis, philosophiquement, on a un problème avec ça. Il y est difficile de censurer des informations sous le prétexte de la liberté d'expression, même si elles sont erronées ou nuisibles. En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est une initiative qui vise d'abord à protéger les utilisateurs. Ce qu'il faut, c'est briser la logique algorithmique qui fait se propager le faux. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre la protection des libertés et la prévention des méfaits liés à la désinformation.
Un dernier aspect à prendre en compte : une fausse nouvelle, comme un prétendu tremblement de terre à Metz, a statistiquement cinq à dix fois plus de chances d'être partagée en raison de son caractère sensationnel. On exploite les instincts primaires des utilisateurs. Cela soulève cette fois des questions éthiques et morales.
Une nouvelle dimension de la désinformation est portée à présent par les pays autoritaires...
Jean-Marc Four : Il y a eu deux phases dans cette relation entre les régimes autoritaires et les réseaux sociaux. Au moment de l'essor de ces plateformes, elles ont initialement été perçues, à juste titre, comme des outils puissants contre leur pouvoir, en permettant des mobilisations rapides et étendues, comme l'avaient par exemple montré Les Printemps Arabes ou les événements à Hong Kong.
Ces pays ont répondu par une censure accrue, ou comme la Chine, une surveillance totale, transformant leur espace numérique en un environnement cloisonné et contrôlé.
Dans une seconde phase, on constate une récupération de ces outils pour manipuler l'information à destination de l'Occident. Ils ont massivement investi dans les réseaux sociaux pour y diffuser de la désinformation. Face à l'inefficacité de cette méthode, ils ont commencé à cibler les médias traditionnels, qui jouissent encore d'un certain crédit de confiance, malgré l'érosion de leur crédibilité due aux théories du complot et autres.
Un exemple récent est l'utilisation par un compte officiel russe en Afrique du Sud d'une fausse publication affirmant que des mercenaires étrangers commettaient des massacres, citant le Boston Times... Sauf que ce média n'existe tout simplement pas... Et là-encore, un usage de l'intelligence artificielle se développe pour créer des contenus hyper-réalistes et totalement faux. En Afrique du Sud encore, récemment, une vidéo prétendant montrer Donald Trump soutenant un parti politique en Afrique du Sud a été diffusée.
Face à cet état de fait, il y a avant tout la nécessité d’un esprit critique. Le réflexe de bon sens, même si les Américains, avec Joe Biden et Donald Trump, ne nous aident pas en ce moment...
Vous êtes le directeur de RFI depuis un an, donc en première ligne de cette guerre de l'information. Qu'est ce que votre position vous a permis de découvrir ?
Jean-Marc Four : RFI, pour donner une idée, diffuse des informations en 16 langues différentes, incluant quatre langues africaines majeures : le peul, le bambara, le haoussa, et le swahili. Face à France Inter et ses 7 millions d'auditeurs hebdomadaires, RFI, c'est 90 millions.
La station a aussi été impliquée dans des incidents de désinformation, comme le cas où une vidéo diffusée sous une fausse bannière de RFI prétendait que des réfugiés ukrainiens en France avaient apporté la tuberculose... Signée la Russie.
Une plainte et debunker l'information, mais dans des régions comme l'Afrique, où RFI détient une grande audience, certains acteurs étrangers, notamment russes, chinois, et turcs, tentent de discréditer la station en la présentant comme un outil du pouvoir français. Je n'ai jamais eu un coup de fil du gouvernement, on est totalement libre.
La situation est donc désespérée ?
Jean-Marc Four : On constate que lorsqu'un événement important se déroule en France, comme les attentats du 15 novembre, les chaînes de l'audiovisuel public gagnent en audience, et plus généralement les médias traditionnels, style JT de TF1. RFI a de son côté un rôle crucial à l'international, surtout dans des contextes de crise ou lors d'événements majeurs comme des élections en République Démocratique du Congo, premier pays francophone du monde.
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Dans ces moments, l'écoute de la station augmente significativement, soulignant son rôle de source fiable d'information pour ceux qui l'écoutent, libre de l'influence des pouvoirs locaux.
Crédits photo : Jean-Marc Four à côté de la tête de Mstislav Rostropovitch. ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 23/02/2016
150 pages
Lemieux Editeur
12,00 €
6 Commentaires
Rose
21/04/2024 à 10:38
Certains fonctionnements intellectuels biaisent-ils l'information du monde ?
Michel
21/04/2024 à 19:50
Beaucoup même.
Lire l'excellent "Vous allez commettre une terrible erreur" de Olivier Sibony.
Pour tout savoir sur les biais dont nous sommes tous victimes à des degrés divers.
Au delà de nos biais (qu'on peut combattre), des fakes (qu'il faut déjouer), des informations sincèrement erronées (dont on attend vite un correctum), il y a aussi la compétence "relative" des journalistes.
Prenez un sujet que vous connaissez bien, regardez comment il est traité dans la presse... vous verrez vite qui maîtrise et qui survole. C'est une aide précieuse pour reconnaître un bon journaliste.
PasMichel
22/04/2024 à 11:06
Le Bot Michel ne contracte pas.
Rose
22/04/2024 à 12:17
Merci pour l'info ; l'idée, c'est qu'en parcourant plusieurs journaux d'information internationale, en analysant la manière dont sont traitées les nouvelles , on situe les tendances de position qui, culturelles, qui, politiques qui tentent vers l'influence, l'immobilisme et peut-être la manipulation.
Un peu comme un ethnologue qui étudie une civilisation différente en prenant référence sur la sienne, ce qui évidemment ne convient pas, empêche la visibilité et limite la compréhension.
François Le Poultier
21/04/2024 à 18:03
Je partage une grande partie des constats et analyses de Jean-Marc Four. Je me différencie peut-être avec une perspective plus globale mais complémentaire par rapport à d’autres plus ciblées ou techniques comme l’éducation aux médias et à l’information : celle de l’autodéfense intellectuelle fondée sur des données de la psychologie sociale expérimentale. J’ai rédigé entre 2020 et 2023 une trilogie sur ce thème aux Presses universitaires de Rennes. En mars 2024, j’ai publié toujours chez le même éditeur un petit ouvrage de synthèse directement en rapport avec cette problématique : Fake news, théories du complot. Comment réagir ? Essai de psychologie sociale.
Aradigme
22/04/2024 à 11:39
L'interviewé indique: "Aux États-Unis, philosophiquement, on a un problème avec ça. Il y est difficile de censurer des informations sous le prétexte de la liberté d'expression, même si elles sont erronées ou nuisibles. En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est une initiative qui vise d'abord à protéger les utilisateurs. Ce qu'il faut, c'est briser la logique algorithmique qui fait se propager le faux. "
L'approche européenne consiste donc à interdire la propagation d'informations que quelqu'un considèrera comme fausses. Qui? Sur quelles bases? Avec quelle fréquence de revue? Là, cela devient nécessairement un peu opaque.
Nous voyons donc une instance gouvernementale décider de la nature des informations auxquelles les citoyens auront le droit d'avoir accès. Cette approche, instaurée officiellement "pour protéger les utilisateurs", ressemble furieusement à celle que mettent en place des régimes totalitaires pour mieux contrôler leurs populations - pour leur bien, évidemment, comme toujours...