#AVeloEntreLesLignes – Partir à la découverte du plus grand nombre de librairies possible, entre Paris et Oulan-Bator, le défi est de taille. À vélo, c'est confirmé : c'est de la folie douce. C’est pourtant l’aventure que Zoé David-Rigot et Jaroslav Kocourek ont démarrée en août 2022. ActuaLitté les accompagne, en publiant leur récit de ce périple, À vélo, entre les lignes.
Le 13/04/2024 à 12:17 par Auteur invité
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13/04/2024 à 12:17
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Ölgii, la plus grande ville du far far ouest de la Mongolie. Mais c’est en fait une toute petite bourgade ! Ce ne sont pas des pigeons, mais des buses qui sont perchées en ribambelle sur les fils électriques. Elles suivent tous les mouvements humains de leurs yeux perçants, prêtent à fuser à pic au travers d’une rue pour attraper une proie. Des peaux de moutons fraîchement dépecés sont roulées dans les graviers et mises à sécher sur les trottoirs, exposées aux passants et passantes qui reniflent en tâtant le cuir, et se préparent pour la saison froide.
On le sent tout de suite, même en août : l’hiver se fait déjà annoncer par le vent frais qui balaie la ville. Nous sommes à l’orée de l’Altaï mongole, au milieu de terres immenses, et nous le réalisons bien tard, a 1700 mètres d’altitude… nous savourons les premiers instants, respirant le nez en l’air, on inspire le fait d’être là, en Mongolie, pays qui habite nos imaginaires depuis si longtemps.
Oui, nous sommes là. Enfin.
Mais on s’en rend compte a chaque pas et en regardant attentivement la carte : nous sommes si loin de la capitale ! Ce sont des milliers de kilomètres qui s’étendent d’Ölgi a Oulan-Bator. Des montagnes, des vallées désertiques, des sables mouvants. Nous avons rendez-vous dans un mois à l’Ambassade de Chine de la capitale mongole, mais nous ne pourrons pas nous y rendre uniquement à bicyclette : les distances sont trop longues.
Quelques étranges sentiments nous saisissent et se mêlent – le bonheur d’être là, savourer cet état de plénitude de la réalisation d’un rêve, dans ce pays qui nous paraissait si lointain, et d’y être arrivé. es par la terre ; et un découragement profond, comme si nous étions abandonnés par le monde, encore si physiquement éloignés d’un « retour » ou d’une « arrivée ».
Un soir, nous allons manger un bout dans une petite cantine coréenne (premier repas qui ne soit pas d’Asie centrale depuis des mois !). Deux personnes nous invitent à leur table afin de partager un verre. Elles sont musiciennes et parlent de cette ville mouvementée qu’est Oulan-Bator — elles ont fait 24 heures de bus pour s’en échapper et respirer l’air frais de l’Altaï. Cela suffit à nous gonfler d’un enthousiasme nouveau. Oulan-Bator ! À seulement quelques milliers de kilomètres !
Le lendemain, nous décidons de partir à vélo.
La ville s’étend derrière nous lorsque nous grimpons la douce pente qui longe les montagnes. Roches grises, terre rouge et ocre. Un vent de face nous retient. Pendant toute la journée, nous forçons contre ce souffle écrasant, nous roulons comme des tortues. Il nous faut trouver de l’eau avant de pouvoir camper, les deux rivières sur lesquelles nous comptions sont asséchées, aussi nous poussons jusqu’au premier courant d’eau que nous pouvons rejoindre.
Nous sortons peu à peu de l’Altaï, les vallées d’herbe tendre s’étendent sous nos yeux, la route comme un serpent semble infinie. Nous trouvons un roc derrière lequel s’abriter du vent et nous installons pour la nuit. Le froid tombe alors que le soleil disparaît à l’horizon. Nous enfilons tous nos vêtements, couche sur couche. Le lendemain, le vent est d’autant plus fort – il n’y a pas de ville avant 300 km, quelques hameaux de yourtes et de maisons ici et là au loin, hors-pistes et en dehors de notre route. Nous faisons cependant un détour vers l’un d’eux afin de nous en rendre compte par nous-mêmes et réfléchir.
Une petite épicerie suffit. Que faire ? Nous sommes épuisés, decouragés par cette route qui n’en fini jamais, par le vent qui nous écrase et par le froid qui ronge nos phalanges. On décide de faire du stop jusqu’à Hovd, la prochaine ville.
Hovd est en fête quand nous arrivons : tout le monde a enfilé ses plus beaux attributs et la musique retentit. Nous trouvons un petit hôtel cramoisi dans lequel nous reposer — le genre d’établissement où l’on fume et boit de la vodka dans le jour et où l’on se bat dans la nuit. Bon, il fera l’affaire ! et quel bonheur de se coucher à l’abri du vent, avec de l’eau chaude a volonté. Voilà, on s’en rend compte : pour cyclo-voyager en Mongolie, il va falloir être mieux préparés.
Consternés par ce sentiment d’être si minuscule, perdus devant la carte immense du pays et toutes les possibilités plutôt impossibles qu’elle nous offre, nous appelons une amie mongole d’Oulan-Bator. Oh ! nous dit-elle. La grotte Gurvan Tsenheriin Agui, c’est dans la région, pas très loin d’Hovd, il y a là-bas des pétroglyphes de 40000 ans ! C’est extraordinaire. Allez-y !
On tend le pouce, une famille nous embarque dans la remorque, avec trois veaux pour co-équipiers. Le véhicule nous dépose à l’embranchement, un chemin de terre battue par les vents : voilà notre route ! maintenant que nous avons quitté la région de l’Altaï, il fait chaud. Le soleil est à son zénith, et nous roulons dans la poussière. Le chemin de terre devient piste de tôle ondulée.
On tombe en dérapant dans le sable, nos fesses tapent violemment sur des bosses inattendues, et dès que l’on s’arrête, les moustiques s’attaquent à nos cuisses et à nos visages. Après trois heures et vingt kilomètres, nous apercevons un petit campement devant la grotte, et une rivière, avec trois arbres. Nous échangeons un regard avant de nous y précipiter : on s’asperge et on plonge pour rincer la douleur et la poussière, on étend le hamac, on monte la moustiquaire. La nuit tombe.
Peu à peu, nous réalisons ce qui nous entoure. C’est un spectacle silencieux et céleste : le ciel mongol s’étend vers l’infini devant nos yeux et nous englobe — c’est ça, le voilà ! Le ciel bleu éternel si profond dont parlent les légendes, le sacré, à l’état pur ! Et percé de tant d’étoiles, et le fleuve de la voie lactée.
Le lendemain, nous rencontrons des archéologues qui sont justement en train de travailler sur la grotte. C’est eux qui dorment au campement. Des troupeaux de chevaux nous rendent quelques visites impromptues, nous nous baignons et profitons de ces instants d’immensité.
Et nous voilà repartis. On tend le pouce. Cette fois, c’est le camionneur doyen d’un régiment de trois camions qui nous embarque. Nous allons a Arvaikheer : c’est tellement loin que nous y serons seulement le jour d’après ; nous pourrons dormir avec lui dans la cabine, il a un lit superposé. Plusieurs fois nous nous arrêtons pour attendre les deux autres : c’est l’occasion de regarder le coucher du soleil devant un Ovoo, ou de se laver les pieds et de changer de chaussettes. Les trois conducteurs s’entendent pour cette pause et nous restons perplexe, c’est agréable cependant, comme un nouveau jour !
Vers minuit les trois camions se garent en rang d’oignons a l’orée d’une bourgade. À l’aube, les gaillards vont uriner, le nez en l’air, savourant le lever du soleil dans la lumière qui semble soulever la poussière. Au loin, les yaks frémissent et les juments s’ébrouent. On repart, pour plus loin s’arrêter dans une petite cantine oú l’ami conducteur achète une belle douzaine d’œufs durs que nous mangeons sur la route.
Une rivière, l’occasion d’une nouvelle halte : c’est le moment de la toilette matinale, l’eau est claire et pure, nous montre-t-il en secouant sa brosse à dent. Un étalon curieux boit à nos côtés avant de détaler en emportant tout le troupeau à travers le cours d’eau. Quel paysage ! Que de montagnes ! Que de vallées ! Et quelle lumière ! Quel ciel ! La Mongolie est immense et ses gens éparpillés.
La vie est dans chaque bourrasque, mais elle tient à un fil. Les trois camionneurs se sont donnés rendez-vous dans une cantine juste avant Arvaikheer oú l’on est deposé — nous nous serrons les pinces et nous embrassons, echangeons les regards solides du tupeuxcomptersurmoi. À la revoyure !
À bientôt, pour quelques coups de pédales !
Crédits photo : Zoé David-Rigot et Jaroslav Kocourek / ActuaLitté, CC BY-SA 2.0
DOSSIER - À vélo, entre les lignes : visiter des librairies, de Paris à Oulan Bator
Par Auteur invité
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1 Commentaire
Plastik Flavier
14/04/2024 à 19:56
Ça va pas trop dure la vie ? #FreeUkraine