Depuis le 25 juin et durant sept mois, jusqu’au 28 janvier, les amoureux de fantasy, de Tolkien ou des contes et légendes de notre Moyen-Âge insondable, peuvent profiter de la plus importante exposition autour de l’œuvre du respecté John Howe. Le Fonds Hélène & Édouard Leclerc (FHEL), installé à Landerneau dans le Finistère, accueille près de 250 dessins et peintures de l’illustrateur canadien, de la Terre du Milieu à l’Imaginaire médiéval.
Le 20/07/2023 à 12:22 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
20/07/2023 à 12:22
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John Howe mériterait, à l’instar du compositeur Howard Shore, une place de choix dans Le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, ce texte qui narre la genèse de La Terre du Milieu. La figure du Balrog, celles de l’Argonath, Le Roi-Sorcier d’Angmar…
Elles ont toutes pris vie par ses traits de crayon, avant de devenir des scènes inoubliables de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux. Le dessinateur raconte : « Peter Jackson avait identifié ces deux individus qui avaient déjà illustré Tolkien il y a de nombreuses années. Il s’était alors dit, pourquoi ne pas les faire venir en Nouvelle-Zélande pour prolonger ce travail de mise en image de la trilogie. » Ces deux « individus », ce sont les dessinateurs John Howe et Alan Lee. Le premier devint le directeur artistique de la trilogie culte, avec le soutien actif du second.
À 20 ans, en 1977, ce natif de Vancouver découvre la vieille Europe par l’entremise de Strasbourg et sa cathédrale, c’est une révélation : dans le Nouveau Monde, ses visions d’un passé lointain relevaient plus de l’imaginaire que d’une réalité ancienne inscrite dans les villes, comme c’est le cas sur le vieux continent. John Howe trouve une histoire gravée dans la pierre et sur de lourdes armures, c’est décidé, il restera en Europe. Des études à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, et aujourd’hui, c’est en Suisse qu’il est installé.
Si J.R.R Tolkien fut lui-même un dessinateur, peintre et aquarelliste, il dépeint dans ses œuvres la plupart du temps, non pas l’environnement avec force de descriptions et détails, mais les émotions des personnages devant une situation ou la découverte d’un nouveau lieu, telle la majestueuse capitale du Gondor, Minas Tirith. De quoi faire chauffer la boîte à imaginaire.
L’exploit d’avoir construit ce monde, dans un prolongement pictural de l’esprit du maître, n’en est que plus saisissant : « On a l’impression que ça devrait être, ça s’impose un moment grâce au lâcher-prise qui permet aux images d’advenir d’elle même », nous confie John Howe, avant d’adjoindre : « Pour ce faire, il y a toute une expérience, une connaissance à avoir ». Car John Howe, c’est enfin une immense bibliothèque qui nourrit un imaginaire personnel, et donne cette « authenticité dans le merveilleux », résume le co-commissaire de l’exposition, Jean-Jacques Launier.
Avec John Howe, on n’est pas dans le « Retro-design », soit la reprise exacte de ce qui a été, mais une tentative, en retournant aux sources originelles, « de retrouver l’étincelle qui a donné ses représentations, et les transposer pour notre période ».
Dans un espace de près de 1000 m2, s’exposent des originaux du Canadien, dont une grande partie provient de la collection de l’artiste : pour la trilogie du Seigneur des anneaux, qui raconte l’avènement des hommes, 10 ans plus tard, pour celle du Hobbit, mais aussi des œuvres plus personnelles. Et des « inédits », qui ont servi à la série tirée de l’univers de Tolkien, Les Anneaux de Pouvoir : « Amazon a dit oui tout de suite », rapporte Jean-Jacques Launier. Pour en définir la direction artistique, John Howe a réalisé plus de 1500 dessins...
Quand l’exposition de la BnF dédiée à Tolkien de 2019 se concentrait sur les manuscrits et les sources de l’écrivain, celle-ci a été pensée pour toucher un large public : « La plupart des jeunes ont connu Tolkien à travers le film, et on a envie que ce soit des portes d’entrée, comme peut être la série, les jeux vidéo tirés de son univers, pour ensuite poursuivre l’aventure Tolkien si le désir se réveille », décrit le co-commissaire.
En découvrant l’exposition, la mise en espace peut déconcerter : l’approche n’est ni chronologique ni didactique, mais thématique et sans continuité : « Ce n’est pas une expo sur Tolkien, mais sur les traces de l’auteur anglais et de l’imaginaire médiéval », explique la Directrice générale du Musée Art Ludique et co-commissaire, Diane Launier. Dans cette optique, « on souhaitait que le visiteur profite d’une liberté de parcours, de s’attacher à des espaces distincts, ou les œuvres sont mélangées », ajoute-t-elle : « Sortir et entrer dans un monde à chaque fois. »
En résumé, pas de circuit type, mais la nature entre merveilleux et questions écologiques, les cartes, les contes et légendes, les adaptations au cinéma, Les Anneaux de Pouvoir… Des salles qui unissent l’univers de Tolkien avec des dessins plus personnels de l’artiste. Dans la salle des dragons, Smaug joue des coudes avec le dragon chinois, des drakkars ou Fáfnir, tué par Siegfried dans le cycle de Sigurd de la mythologie scandinave.
Chaque espace est séparé par de larges panneaux peints de plusieurs mètres de haut, « rendant hommage à la finesse du trait, au travail sur la perspective ou la lumière », représentant certains des plus impressionnants dessins de John Howe. Au bout de ce chemin-tronc, où chaque ouverture est une branche de l’arbre, les portes de la grande salle de Meduseld, demeure de Theoden du Rohan…
« Le but est d’apporter de la contextualisation », analyse Jean-Jacques Launier. Car oui, une des principales ambitions de l’exposition est de mettre en lumière les sources de l’auteur du Hobbit : « Un pied dans le réel et un dans l’imaginaire », résume ce dernier. Cet « effet de réel » passe par la création de cartes, de familles, d’arbres généalogiques, de langues…
D’ailleurs, J.R. Tolkien est formel dans le début du Seigneur des anneaux : il s’agit d’un texte issu d’un manuscrit authentique qui nous est parvenu et qui raconte le monde il y a des milliers d’années… Ici, il reprend une tradition ancienne, que l’on retrouve par exemple dans le Beowulf, qui fait toujours remonter le texte d’un précédent.
La réalité, c’est l’emprunt à des sources historiques : la notion de Terre du milieu qui provient d’un poème du VIIe siècle et de l’Œkoumène grec, l’anneau de pouvoir, autant inspiré de l’anneau de Gygès de Platon que du Nibelungen, tiré d’une épopée médiévale du XIIIᵉ siècle qui inspira Wagner. Et plus généralement, une influence de la légende arthurienne, des Eddas, de la Völsunga Saga qui en est issue, ou du Kalevala du XIXᵉ siècle. Des récits largement oraux pour les plus anciens, avant la démocratisation de l’imprimerie au XVIIe siècle.
Enfin, pour construire son monde, Tolkien a puisé dans le mouvement préraphaélite, majoritairement inspiré de l’imaginaire du Moyen-Âge — ou le courant Arts and Crafts porté par les fascinants William Morris ou John Ruskin, réformateur dans les domaines de l’architecture, des arts décoratifs, de la peinture et de la sculpture. Des pièces historiques provenant du Musée de Cluny, du Louvre… sont présentées.
Pour John Howe, « si on explore les motivations de Tolkien, on aperçoit qu’il n’avait pas d’agenda caché. Ce n’est pas un propagandiste ou prosélyte quelconque. Il est saisi par la richesse de ces matières, ses sources, lui donnant envie de raconter à son tour. C’est comme si ça débordait chez lui sous forme d’histoire ».
Il y a deux visages de Tolkien : le professeur érudit de littérature anglaise à Oxford, plongé dans les textes anciens du monde germanique et scandinave en linguiste et philologue, et dont certains travaux restent des références, et le créateur d’un univers extraordinaire : « Ses collègues, qui étaient des universitaires très sérieux, trouvaient ses activités annexes très drôles, légères, non sans condescendance », continue le Canadien.
Avant de rappeler, puis de questionner : « Il a touché quelque chose de presque universel. Je crois qu’il n’y a pas un pays où il y a des enthousiastes de Tolkien. Il y a quelque chose de presque mystérieux dans cette résonance : qu’est ce qu’il y a dans son œuvre qui nous saisit si profondément ? »
La vitalité toujours renouvelée des mythes et leur symbolique ? Pour le dessinateur, Tolkien enrobe son matériau « d’un récit qui nous offre une place au premier rang, ce que ne font pas les textes anciens devenus plus difficiles à la lecture. Si on souligne les préoccupations et les thèmes chez Tolkien, elles sont plus que jamais actuelles : l’amitié, quelle réaction avoir face à des situations nous dépasse, ou la tension entre l’individu et le groupe. Des sujets poignants. »
C’est aussi un rapport à la nature face à la folle industrie représentée par Sarouman et Isangard, à la mémoire, et paradoxalement, par le merveilleux, le conte, faire advenir le réel. Pour Jean-Jacques Launier, face « à l’industrialisation qu’il détestait, l’anglais né en Afrique du Sud en appelait au retour du travail de l’artisan, du fabricant et de l’artiste, ensemble ». Là encore, le fascinant William Morris n’est pas loin.
Les œuvres principales de Tolkien, John Howe les a lues « 3 ou 4 fois pas plus », bien suffisant pour dresser un constat : « Dans le fantastique, il y a un pré-Tolkien et un post-Tolkien. Il est incontournable, que l’on aime ou pas. Tout seul, il a changé l’approche de la fantasy. » Il nous confie : « C’est un univers où tout me plaît, ce qui est rare. Normalement avec un auteur, il y a ce qu’on trouve formidable et le reste, car ce que vous avez vécu ne correspond pas totalement à son expérience. Là, il y a concordance que je considère absolue. Je me sens à l’aise, en territoire non pas familier, mais que je crois comprendre. »
Une parenté de sensibilité, mais de rappeler : « Il faut toujours se garder de dire, et c’est le défaut des enthousiastes : Tolkien aurait aimé faire ça, on n’en sait rien ! On ne peut pas se mettre dans la peau du bonhomme. Il faut aller dans ses récits, dans les sources de ces récits, et s’appuyer sur les chercheurs et les passionnés. » Il définira plus son travail comme du « néo-Tolkien » : « Dans les courants architecturaux, le néo, c’est la revisitation du passé dans un autre contexte. J’ai une grande affection pour le néo-gothique par exemple. »
Du néo-gothique au numérique, entre ses premiers dessins, la trilogie du début des années 2000 au Hobbit, jusqu’aux Anneaux de Pouvoir : « On produit plus vite et plus, mais le fond reste le même », selon le directeur artistique de chacun de ces projets sur plus de 20 ans. Pour Diane Launier, » derrière le pinceau numérique, l’artiste est resté. »
Nulle nostalgie dans cette exposition, qui s’arrêterait par exemple à la première trilogie de Peter Jackson, ou de manière plus puriste, au texte de Tolkien, bien au contraire : « En interprétant les contes et légendes, Tolkien a été le créateur d’une nouvelle mythologie, et John Howe à l’a transmise à travers les arts ludiques, du divertissement : le cinéma, l’animation, le jeu vidéo », développe Jean-Jacques Launier. À Landerneau, les tableaux de Gandalf côtoient les modélisations de l’adaptation vidéoludique des films de Peter Jackson ou de la série d’Amazon.
Jean-Jacques Launier est catégorique : « C’est le véritable art contemporain d’aujourd’hui, qui permet de transmettre aux générations futures ce que l’on est, de quoi on a peur, à quoi on rêve... » Et de continuer : « Les artistes des arts ludiques sont minorés alors qu’ils fédèrent les gens. C’est ce qui va rester. Pour nous divertir, il crée les images les plus marquantes de notre époque. »
Cette notion d’ « art ludique » a été initiée par la couple Diane et Jean-Jacques Launier dès le lancement de leur première galerie, une des premières parisiennes à proposer à la vente des planches de bande dessinée : « Depuis les peintures rupestres des hommes de caverne, les hiéroglyphes, la tapisserie de Bayeux, les rouleaux japonais… à présent le concept-art de cinéma, l’animation, les jeux vidéo… Ces artistes façonnent les œuvres les plus iconiques de leur siècle. On veut mettre en avant ces acteurs des industries créatives. » Et d’assimiler ses équipes artistiques aux ateliers de la Renaissance.
Après avoir lancé leur galerie, en 2014, les deux passionnés du « figuratif narratif » créent le Musée d’art ludique à la Cité de la mode de la capitale : jeux vidéo, bande dessinée, dessin, animation, manga, les séries… Une exposition Disney en 2016, qui rappela, entre autres, que le studio proposa le premier film avec un son synchronisé : « Alliage de l’artistique et du technologique », résume Jean-Jacques Launier. Mais aussi comment on étudia les faons, jusqu’à en amener dans les studios, afin de réussir la scène sur la glace de Bambi…
Miyazaki-Moebius dès 2005 au musée de la Monnaie de Paris, Pixar, Marvel, DC, DreamWorks, Chicken Run, Giger, Otomo, Assassin’s Creed, Tomb Raider, Aleksi Briclot, Hideo Kojima… S’il faut le plus souvent le recul du temps pour que le grand art d’une époque reçoive l’hommage qu’il mérite, comme précédemment Beowulf, Shakespeare, Balzac, Led Zeppelin et un jour les meilleurs rappeurs, le couple Launier entend être pionniers : « On se bat depuis 20 ans. »
Cette fois, il s’agit de J.R Tolkien et John Howe, et la fantasy, passée de genre mineur à art à part entière : « On a rencontré John il y a presque 20 ans à l’époque de la galerie Art ludique. On passa un week-end incroyable chez lui à découvrir ses œuvres, son travail. Il accepta d’exposer au sein de notre tout petit endroit. C’est un artiste qu’on rêvait de mettre encore mieux en avant. »
Le couple Launier rencontre à la même époque Michel-Edouard Leclerc qui venait voir les expositions, « autant intéressé par l’art contemporain que la bande dessinée » : « Ça faisait longtemps qu’on avait envie de faire quelque chose ensemble, alors quand on nous a demandé si on avait des idées d’expo, on a proposé ce projet qui nous tient énormément à cœur. C’était un peu un rêve. »
Les deux co-commissaires et créateurs du Musée Art ludique, qui déménagent dans un espace plus grand au centre de Paris, ont eu carte blanche pour cet événement hors les murs : 7 mois de travail et une mise à disposition des ressources nécessaires : « Ce rêve a pris vie ».
Jean-Jacques Launier, à travers ce type d’exposition, porte également un message à destination des plus jeunes : « Cet art du divertissement qu’ils aiment, c’est aussi des métiers auxquels il faut s’intéresser. La France est un des trois pays les plus importants des industries culturelles avec les États-Unis et le Japon. L’animation à l’exportation est colossale, et d’ailleurs toujours pas de musée dédié… »
Le couple donne depuis 2020 des cours sur l’Art ludique et les industries créatives à l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle, où sont formés les dirigeants des institutions culturelles de demain.
Entre les oeuvres qui donnent vie à la Terre du milieu et des écrans vidéo qui projettent une longue interview du dessinateur canadien, dans une salle, une série de tableaux datés des années 2010 interpellent : les formes, entre Moebius et Druillet, détonnent face aux autres représentations d’un Moyen-Âge sublimé : « C’est une suite qui n’a rien à voir avec le reste », explique John Howe. « C’est une histoire que je dois illustrer. Un gros bouquin sur lequel je travaille. » On n’en saura pas plus sur ce futur projet, « il me reste simplement à le faire ».
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Une impressionnante exposition pour célébrer les dix ans du Fonds Hélène & Édouard Leclerc, installé dans le premier magasin E.Leclerc, dans cette région de légendes et ce département où la terre se finit.
Crédits photo : ActuaLitté
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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1 Commentaire
Jeanne
21/07/2023 à 11:46
Grande félicitations !!!
J'adorerais pouvoir traverser la France et passer un grand temps dans ces lieux pour cette incroyable exposition !
Grand Merci pour votre bel écrit ici !