#LECfestival23 - La bande dessinée a pris ses quartiers à Cognac : le festival des littératures européennes accorde une place particulière au médium. Cette journée du vendredi, où les groupes scolaires s’ouvrent au Couvent des Récollets, édifice historique fondé au début du XVIIe siècle. En ces murs, où s’installa cet ordre mendiant, issu de la réforme franciscaine, on plonge dans les univers de plusieurs créateurs. Et à la clef, des ateliers pour apprendre à dessiner.
Construit grâce au soutien financier de la ville et de donateurs privés. Le bâtiment est un bel exemple de l'architecture religieuse de l'époque. Il se caractérise par sa simplicité et son austérité, conformément à l'idéal de pauvreté de l'ordre franciscain. Le couvent comprenait une église, un cloître, des cellules pour les moines, ainsi que diverses dépendances.
Deux espaces, deux ambiances : d’un côté Matteo Alemanno, de l’autre Lorenzo Chiavini. Et autour des tables, une soixantaine de lycéens, toutes et tous appliqués à dessiner… des strips.
Avec Matteo Alemanno, à qui l’on doit l’affiche de l’édition 2023, les quatre tables d’étudiants réalisent une histoire de monstres. Consciencieusement, ils suivent les démarches, pas à pas, à partir d’un dessin, introduisant progressivement des bulles. « Vous pouvez aussi écrire les textes en italien », plaisante leur enseignante, Agnès, du lycée Elie Vinet, à Barbezieux. « Pour de vrai ? », s’exclame, un peu paniquée, l’une des élèves.
Après tout, ils font italien en troisième langue… « Pensez que les mots doivent être écrits en lettres majuscules, pour qu’ils soient bien lisibles », recommande Matteo. Lilou nous autorise, aimablement, à photographier sa réalisation.
Tout autour d’eux sont accrochées des reproductions de planches, sous cadre. Inspirant dans un tel lieu. Aujourd’hui, le Couvent des Récollets est un site culturel important à Cognac, qui accueille des événements, des expositions. Il abrite aussi l’Office de Tourisme de Cognac ainsi que le Musée d’Art et d’Histoire. Au XXe siècle, une prise de conscience de la valeur historique et architecturale du couvent a mené à des efforts de préservation.
Professeure de français au collège Émile Roux, Juliette accompagne pour la seconde année sa classe au festival — arrivée de Paris voilà deux ans, elle en apprécie particulièrement l’ambiance. « Ces rencontres avec les auteurs insufflent un vent de créativité », souligne-t-elle. Les élèves, durant deux heures, profitent de cette pause, hors du cadre scolaire, et plongent dans une forme d’expression artistique connue, mais peu exploitée dans le cadre scolaire.
« Je ne maîtrise pas du tout ce médium, mais ici, avec l’aide d’auteurs expérimentés, ils explorent de nouveaux horizons », poursuit l’enseignante. L’année dernière, elle s’était même pliée à l’exercice… « Un supplice », plaisante-t-elle. Cet atelier BD se révèle un moment enrichissant : « Pas si difficile », répondent les élèves assez unanimes. Mais l’enseignante puise dans l’exercice de quoi raccrocher avec les notions pédagogiques.
Soulignant l’importance de l’aspect scénaristique et de l’implicite dans la création d’une bande dessinée — cet art de l’ellipse conduit les élèves à étudier, presque à leur insu, l’art délicat de l’énonciation, mêlant dessins et paroles. « Ils apprennent à raconter, autrement, avec des codes propres à la bande dessinée. C'est très stimulant. »
De l’autre côté, Lorenzo Chiavini, auteur d’origine italienne qui vit depuis une quinzaine d’années à Angoulême, aborde son atelier différemment. « Je leur propose un strip à compléter, soit en partant de la première soit de la dernière case déjà dessinée. Cette méthode permet de travailler sans la crainte de la feuille blanche et les encourage à se lancer », remarque-t-il.
Des feuilles distribuées à chacun, un dessin qui ouvre la voie au champ des possibles et tout roule. Pour la deuxième fois invité à Cognac, il savoure la réussite de sa technique, amplement éprouvée : « Elle invite à imaginer la fin d’une histoire, une chute à calculer, dans ce format inspiré des petits récits des journaux américains. » Et pour celles et ceux désireux de poursuivre leur récit, d’autres feuilles avec des cases vides sont disponibles.
« C’est comme cela que débute un gaufrier, qui constituera la planche finale. » Mais le dessinateur se régale surtout de l’imaginaire que déploient les élèves : « En leur mettant le dessin d’un message dans une bouteille, je leur ai demandé ce qu’il contenait. L’une d’elles m’a répondu qu'il renfermait une facture à payer ! Ils ont vraiment le cerveau qui va vite. »
Sur place, son conte médiéval, Corfino, est présenté. L’occasion de se réjouir : « Il fait partie des finalistes pour le Prix des lycéens 2024, dans le cadre du Festival de la BD d’Angoulême. Je n’y croyais pas ! »
Venue d’Angoulême, La Librairie de la Bande Dessinée et de l’Image, reste lieu emblématique pour les amateurs du neuvième art. Depuis des années, elle prend part à au LEC Festival : d’un côté, avec l’offre de livres jeunesse, pour l’espace dédié à la Fondation Martell, de l’autre, nouveauté à Cognac, une sélection de BD, déclinant le thème de cette année, axé sur les auteurs italiens et ceux inspirés par l’Italie.
Arrivé en 2019, Matthieu Maury a poursuivi le partenariat de longue date que la manifestation et la librairie entretiennent. Cette collaboration s’inscrit dans une volonté de rapprocher la littérature et le public scolaire, offrant aux jeunes une immersion dans le monde de la bande dessinée et de la culture italienne.
En plus de se concentrer sur le thème du festival, la librairie présente un autre volet captivant : une sélection de coups de cœur et de nouveautés, décorrélée de l’événement principal. « Cette initiative découle d’une demande des organisateurs, pour témoigner de la diversité de l’offre BD. Ce sont nos coups de cœur, avant tout choisis parce qu’avec ma collègue Tiphaine, nous pouvons en parler facilement. »
Cette excursion cognaçaise participe de la dynamique de la librairie : « La semaine prochaine, nous participerons aux Gastronomades, à Angoulême, pour la première fois. » Consacré aux plaisirs culinaires, l’événement fête ses 28 années d’existence. « Nous présenterons l'album Bouchées doubles co-edité avec les éditions Keribus et qui a été imaginé dans le cadre de l'exposition "Croquez, quand la bd met les pieds dans le plat" qui ouvrira lors du FIBD 2024 », nous assure Matthieu Maury. Une BD réunit 14 chefs et auteurs qui ont collaboré pour imaginer les nourritures du futur.
Mais revenons aux ateliers. La classe de Juliette retrouvera d'autres établissements, qui ont pris part au Prix Jean Monnet des Jeunes Européen·ne·s, fondé en 2006. « La sélection met en lumière une littérature exigeante, à travers les trois romans, par lesquels nous sortons du programme habituel — centré sur la littérature française, alors que nous avons ici des traductions », note-t-elle. « Cela pousse à se concentrer sur les compétences de lecture. » En somme, dirait-on, tout cela est très sympa.
Pour accompagner ses élèves dans cette expérience littéraire, elle a introduit un carnet de lecture, s’inspirant de l’ouvrage et de la démarche de Julien Gracq, dans En lisant en écrivant. « Cet outil, très en vogue, aide les élèves, comme un journal de bord qui suit leur progression dans les récits. Pour les enseignants, il se révèle précieux : en notant leur remarque, leurs questionnements, les réflexions que leur inspirent les ouvrages, ces notes nous aident à comprendre ce qui se joue au fil de leur lecture. »
Les contresens, et il s’en trouve, apparaissent de manière plus claire, et facilite le travail en classe. En recourant à ce carnet pour la sélection des trois romans retenus, Juliette ouvre ses élèves à des formes d’expression et de réflexion diversifiées. Et l'an prochain, en compagnie de sa collègue documentaliste, elle envisage de revenir avec deux classes...
Et pour le plaisir des yeux :
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Les littératures d'Italie se donnent rendez-vous à Cognac
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 19/10/2022
88 pages
Futuropolis Gallisol Editions
17,00 €
Paru le 13/09/2013
56 pages
Dargaud
15,95 €
Paru le 08/02/2023
74 pages
EP média
17,50 €
Paru le 08/11/2023
104 pages
Editions Keribus
22,50 €
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