Les Jeux olympiques approchent à grands pas dans la capitale, rimant avec sueurs froides pour les libraires, qui ne savent plus sur quel pied danser... Devant l’afflux de touristes attendu, certains se retirent de la compétition — une solution qui implique d’avoir une trésorerie solide. Pour les autres, l’option est de croiser les doigts et patienter. Métros fermés, livraisons retardées, clientèle volatilisée... La promesse d’un été pas comme les autres.
Du 26 juillet au 8 septembre, date de la cérémonie de clôture des paralympiques, Paris sera une fête pour le sport. Pour les commerces de la capitale, un autre compte à rebours a commencé. Et en librairie, auprès d'ActuaLitté, on commente ainsi l’ambiance avec un « c’est compliqué... » peu enthousiaste.
Pass Jeux, QR codes, zones rouges et grises : la préfecture de police de Paris a multiplié les consignes pour faire face aux 15,3 millions de visiteurs que prévoit l’Office du tourisme, rebaptisé à cette occasion Paris Je T’aime.
Ce dernier a récemment quitté la rue de Rivoli pour s’installer dans un quartier plus excentré, dans le XVe arrondissement, quai Jacques-Chirac. Un endroit éloigné, mal répertorié et difficile à localiser : la faute à une ouverture retardée « et pas à la bonne période », admettait sa directrice Corinne Ménégaux, ex-directrice du Festival du Livre de Paris, au Monde, le 10 juillet dernier.
Or, ces mesures conduisent parfois à des contorsions éprouvant la souplesse des commerces de proximité. Certains se retrouvent ainsi piégés entre deux stations de métro fermées, ce qui rend leur accès difficile pour une clientèle hors quartier.
C’est le cas de la librairie Galignani, ancrée au 224 rue de Rivoli, qui fermera ses portes du 25 juillet au 16 août — soit quinze jours de plus que sa traditionnelle semaine de repos. « La station Tuileries, située juste devant notre librairie, sera interdite d’accès, tout comme Concorde. Nous nous retrouvons entre les deux, complètement enclavés », déplore Antoine Carrière, responsable marketing de la librairie.
Même constat au nord, à Saint-Denis, où le Stade de France et le Centre Aquatique Olympique accueilleront des épreuves phares. Au menu : rugby, athlétisme, natation artistique ainsi que l’incontournable Village des Athlètes. Un flux significatif de sportifs, supporters et organisateurs, auquel s’ajoutent les travaux d’aménagement, qui devraient s’achever avant le début des Jeux.
Cette course d’obstacles a littéralement démotivé Laure-Marie Leguay, coresponsable de La P’tite Denise, face à l’Hôtel de Ville de Saint-Denis. Ici, outre les problèmes de transport, la libraire est échaudée par les avanies liées à la récente Coupe du monde de rugby, et n’entend certainement pas les revivre.
En effet, les matchs furent diffusés sur un écran géant en face de la mairie. « Notre librairie a servi de parking aux forces de l'ordre... Des fourgons étaient garés devant l'entrée, protégés par des agents armés : pas très accueillants... » Elle avance donc la fermeture annuelle au 13 juillet.
De quoi déclarer forfait, à l’instar d’autres confrères et consœurs, plus encore en tenant compte des difficultés liées au transport des clients, ainsi que des salariés. Le ministère des Transports annonce, sur le site anticiperlesjeux.gouv.fr, un réseau « très sollicité » mettant à mal le moindre déplacement. Parmi les voies « les plus impactées », on retrouve les lignes 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, la T3a, T3b. Pour se rendre hors des murs de Paris, les lignes J, L, N, P et U, de même que le RER B, C et D seront fortement touchés.
Plutôt que de frapper les trois coups, on baisse le rideau.
Sauf que fermer est un privilège, voire un luxe, souligne Laurent Bojgienman, codirecteur de la Librairie Nouvelle, à Asnières-sur-Seine, au nord-ouest de Paris. Il a estimé les pertes à 30.000 €, pour un chiffre d’affaires annuel de 1,845 million €. « Même si c’est une période creuse, il est certain que toutes les librairies ne peuvent pas se le permettre... », résume-t-il.
« Ces derniers mois, notre activité a plutôt bien marché », nuance-t-il. Sa boutique a enregistré une hausse de chiffre d'affaires, « notamment grâce à la vente d'articles de papeterie, et de produits dérivés des Jeux olympiques et paralympiques », poursuit-il, avec un léger sourire. « Cela compensera les deux semaines de fermeture. »
En mai 2024, en se basant sur les données d’Edistat, on constate qu’au cours du mois de mai, les ventes en librairie ont enregistré une baisse de 4,6 % en volume et 1,8 % en valeur (face à la même période de 2023). La tendance s’est poursuivie en juin, avec une diminution plus notable encore : 6,94 % en volume et 4,46 % en valeur.
Rappelons qu’en 2023, le CA éditeur a atteint 2,9 milliards €, soit une hausse de 1,1 % en valeur. Mais, en volume, ne se sont vendus que 439,7 millions d’exemplaires, soit un recul de 1,9 %. À ce titre, c’est grâce à la hausse unitaire du prix de vente, frappé par une inflation de 2,6 % selon l’Insee, que l’industrie reste dans le vert.
Si mai et juin furent, au niveau national, des périodes économiquement douloureuses, les librairies que nous avons sollicitées contredisent la tendance. Pour exemple, la Librairie Nouvelle a augmenté son CA de 6,5 %, exclusivement sur les livres : en volume, c’est une hausse de 19 % qui grimpe jusqu’à 22,5 % pour le format poche.
Le manque à gagner qui se profile — et pas uniquement pour le commerce du livre — n’a toutefois pas échappé aux pouvoirs publics. De fait, une commission a vu le jour à l’initiative de l’ex-Premier ministre, Gabriel Attal : elle sera chargée d’examiner les demandes d’indemnisation que présenteront les commerçants lésés au cours de toute la période.
D’ores et déjà, le propriétaire de Smith&Son, Patrick Moynot, a annoncé à ActuaLitté qu’il peaufinait sa demande de compensation pour sa librairie spécialisée dans les ouvrages en langue anglaise et située à proximité de la place de la Concorde. « Les enjeux financiers ne sont en effet pas négligeables, avec une baisse de l’activité d’environ 20 % en juin, qui risque fort de s’aggraver au fur et à mesure que la cérémonie d’ouverture approche et que les difficultés de fonctionnement se multiplient », nous précisait-il.
« Il faut fuir Paris pendant les Jeux olympiques », entend-on partout dans la capitale. Moins de Parisiens, moins de clients ? « Ils ont ajusté leurs vacances en fonction des Jeux », confirme Laure-Marie Leguay de La P'tite Denise. Prévenus de la fermeture de leurs librairies par les réseaux sociaux, une newsletter ou des panneaux d'affichage, les lecteurs auraient anticipé leurs déplacements et lectures.
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Le fondateur de la librairie BD et Compagnie, Raphaël Dayries, se montre plus optimiste : « Nous sommes certains d'avoir de la clientèle en juillet », assure-t-il après avoir discuté avec plusieurs habitués de son XVe arrondissement.
« Les distributeurs nous ont prévenus à l’avance des problèmes de livraison à venir, pour que nous anticipions les commandes et constituions un stock de fonds », détaille Raphaël Dayries, de la librairie BD et Compagnie.
Dans un mail du 16 juillet, Actes Sud partageait, auprès des librairies, les recommandations de son distributeur Union Distribution. Il incite à commander « le plus tôt possible », en prévision des « difficultés de livraison que les transporteurs rencontreront pendant les Jeux olympiques, entre le 17 juillet et le 15 septembre, sur toute la France ». De fait, les restrictions d'accès, couplées à l'engorgement du trafic routier vire au casse-tête : comment assurer l'approvisionnement en moins de 72 heures ? On relève les copies dans 4 heures.
« Interforum nous a fait parvenir un tableau Excel regroupant les meilleures ventes de l’année, pour nous guider dans nos choix de commandes, proposant également des échéances de paiements. Cela m'a été très utile », ajoute Raphaël Dayries. De même, il a privilégié chez d'autres fournisseurs des séries longues en quantité suffisante, comme Naruto, One Piece ou Demon Slayer, pour assurer le bon divertissement de ses lecteurs.
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D’autres options, plus farfelues, avaient été envisagées, comme de fournir en juin des volumes plus importants pour remplir les tables. Une méthode qui pêchait par ses bonnes intentions : comment stocker un surplus d’exemplaires et, plus encore, choisir les titres sans visibilité réelle ?
En dépit des multiples communications reçues des uns et des autres, les libraires gardent un sentiment de « manque d’information », conduisant à un flou global. Et pour cause : chaque opérateur a adopté un mode de fonctionnement propre, ce qui ne facilite pas l’harmonisation – mais la bibliodiversité est à ce prix.
Depuis l’automne 2023, le Syndicat de la Librairie Française (SLF) a ouvert une page relayant « les différentes mesures prises par la Préfecture de Paris et des recommandations ». Le syndicat patronal a donc « fortement recommandé » le recours à « la livraison silencieuse en horaire décalé ». Et d’inviter à profiter des circonstances pour « mettre en place ce dispositif vertueux et de le rendre pérenne après cette période de Jeux ».
Renny Aupetit, propriétaire de deux librairies sur Paris, Le Comptoir des Lettres (75005) et Le Comptoir des Mots (75020), également membre du SLF, a opté pour ce mode de livraison il y a déjà plusieurs années et ne « reviendrait pas en arrière ». Dans ses deux établissements, il a fait installer un sas où les transporteurs peuvent déposer les colis de livres sans pénétrer directement dans la librairie.
Lorsque l'installation d'un sas est impossible, les libraires peuvent remettre un double des clés au transporteur, leur permettant ainsi de bénéficier d'une livraison unique pendant la nuit, évitant ainsi les contraintes de deux livraisons en journée. « Mes livraisons sont certifiées par Certibruit, garantissant un niveau sonore maximal de 60 décibels, ce qui assure la tranquillité des riverains », précise-t-il.
À ce jour, une cinquantaine de librairies situées à Paris intra-muros et dans la proche couronne, ont adopté ce mode de livraison, dont trois nouvelles en prévision des Jeux olympiques. « Je suis serein quant à la situation de mes deux librairies. Ceux qui sont livrés de nuit pourront dormir paisiblement. Nous ne devrions pas être pénalisés pendant les Jeux », reprend-t-il.
À noter que le SLF encourage vivement les librairies à adopter la livraison de nuit : « Je suis convaincu qu’il n’y a que des avantages : il faut regarder au-delà des Jeux olympiques. Mais, à ce titre, les autres librairies ne semblent pas sensibles à nos arguments ».
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Si certains s'y sont conformés, d'autres n'en ont pas eu la force : « Je viens d'essuyer une démission, je suis seule. Ce n'était pas possible pour seulement deux semaines », souligne Charlotte Philippon, directrice de la librairie La Nouvelle Page, dans le 7e arrondissement.
D’autres, enfin, ont préféré une approche plus souriante, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, espérant peut-être remporter une médaille d’or de la bonne humeur :
Crédits image : ActuaLitté / CC-BY-SA 2.0
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