RNL24 — Malgré les difficultés présentes et à venir, le métier de libraire reste attractif, à en croire plusieurs chiffres présentés pendant les Rencontres nationales de la librairie. Les ouvertures de commerces se maintiennent, année après année. Mais, passés l'enthousiasme et l'effervescence de l'inauguration, que reste-t-il ? Une étude du cabinet Axiales fait le point.
Les années Covid et post-Covid ont laissé le souvenir d'un « âge d'or » pour la librairie indépendante, avec des achats à la fois plus nombreux et plus facilement réalisés dans ces points de vente. Dans la foulée, le Centre national du Livre (CNL) avait sacré 2022 « année record » pour l'ouverture de librairies, avec 115 nouveaux établissements au total.
Lors des Rencontres nationales de la librairie, à Strasbourg, Pascal Perrault, directeur du CNL, a confirmé que la tendance se poursuivait, malgré un léger fléchissement. En 2023, 147 librairies indépendantes ont ainsi ouvert leurs portes, pour 52 fermetures, soit un solde de 95 créations nettes. Le nombre de fermetures est toutefois en hausse, par rapport au 27 de 2022.
En 2022, le Syndicat de la Librairie française (SLF) avait confié une étude au cabinet Axiales afin d'esquisser les profils de ces nouveaux libraires et de comprendre leurs motivations. Ce 17 juin, le même cabinet présentait, par la voix de Mathilde Rimaud, consultante au cabinet Axiales et professeur associée à l’université de Poitiers, le second volet de l'étude, centré sur l'« après ».
L'idée ? Se pencher à nouveau sur une situation « paradoxale, quand on se rappelle que ce métier a peu de marge de manœuvre », pointe Marion Baudoin, déléguée générale de l’association de libraires en Auvergne Rhône-Alpes Chez mon libraire, en citant la désormais fameuse et pessimiste étude Xerfi, qui prédit des années noires pour la librairie indépendante.
L'étude d'Axiales s'appuie sur une base de 574 librairies, créées entre 2019 et 2023. Un questionnaire quantitatif de 47 questions leur a été envoyé en mars 2024, lequel a débouché sur 251 répondants et, après retraitement, 203 réponses exploitables. « Le taux de réponse atteint ainsi 36,3 %, ce qui constitue une bonne base d’analyse », pour Mathilde Rimaud. La demande du SLF était désormais l'examen de la « validité et de la solidité économiques, sans oublier d'interroger l’impact de ces ouvertures sur les territoires ».
Par rapport à 2022, les profils des répondants n'ont pas sensiblement évolué : 66,7 % d'entre eux sont des femmes et plus de la moitié ont moins de 45 ans — 23 % ont même moins de 35 ans. 33,7 % des créateurs de librairies avaient une expérience préalable dans un commerce de ce type, ce qui signifie que près de 70 % entrent littéralement dans le métier, même si 75 % des répondants ont suivi une formation en amont.
Entre 2019 et 2023, toutes les régions, à l'exception de l'outre-mer et de la Corse, ont enregistré plus de 20 créations de librairies, avec l'Île-de-France (101), l'Auvergne-Rhône-Alpes (71) et la Nouvelle-Aquitaine (62) pour mener la danse.
Depuis 2022, « le maillage est plus dense, avec des ouvertures dans des villes plus petites et dans des zones qui ont une activité commerciale moins dynamique », se félicite Mathilde Rimaud. La moitié des répondants sont implantés dans des villes ou villages de moins de 20.000 habitants, et plus d'une librairie sur cinq se trouve dans une commune de moins de 5000 habitants.
En 2023, 87 % des répondants affirment être satisfaits de leur choix d'implantation, un sentiment dont témoignent les libraires interrogés dans le volet qualitatif de l'étude. « Globalement, l'ouverture d'une librairie créée de la valeur plutôt que ne redistribue, même s'il faut rester prudent en raison de l'aspect atypique de la période post-Covid », note la consultante du cabinet Axiales.
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Delphine Gratien, dont La Petite librairie, à Ars-sur-Moselle, non loin de Metz, a ouvert en mai 2021, apporte un témoignage dans le même sens : « Nos clients ne vont pas dans les librairies messines, ils se rendaient plutôt, avant l'ouverture de la librairie, chez Cultura. » A priori, donc, et sauf erreur dans l'étude de marché préalable, l'inauguration d'une librairie n'empiéterait pas sur l'activité d'une autre.
Une écrasante majorité des libraires nouvellement créées sont généralistes (75 %), même si une part non négligeable de spécialisées en bandes dessinées se distingue, dont un tiers axé sur le manga uniquement, et une petite part sur les littératures de l'imaginaire. Un quart propose un café en plus, et 38,4 % des créations sur la période 2019-2023 vendent d'autres articles que le livre, principalement des jeux, mais peuvent aussi prendre la forme d'une galerie d'art.
Sur la taille de la librairie, celle-ci ne dépasse pas les 65 m2 pour la moitié des 315 répondants (pour 2022 et 2024). Pour autant, le stock se situe en moyenne autour des 7000 volumes : « Il y a une tendance à ne pas lésiner sur les stocks, qui pourrait être problématique dans le contexte actuel et à venir. »
82 % des répondants ont bénéficié d'un accompagnement au montage de projet, et 80 % estiment que leur plan de financement était alors bien évalué.
Sans surprise, les librairies nouvellement créées sont petites : le chiffre d'affaires médian réalisé est de 170.000 €, quand 6 établissements seulement dépassent les 600.000 €. Globalement satisfaits de leurs chiffres d'affaires, les néo-libraires sont inquiétés par leur niveau de rentabilité et l'évolution des charges...
Parmi les répondants, « on trouve des personnes qui ne se rémunèrent pas ou peu, et qui bénéficient encore parfois d'aides, de la part de France Travail par exemple », relève Mathilde Rimaud. 16 % des répondants salarient plus d'un équivalent temps plein en 2024, établit l'étude. Avant deux ans d'existence, 80 % des libraires ne se rémunèrent pas du tout, ou avec un montant inférieur au SMIC. Au-delà, seuls 40 % des libraires ayant ouvert avant 2022 touchent plus d'un SMIC.
« Au bout de 3 ans, nous sommes pauvres, nous ne nous payons pas, et cela reste notre cheval de bataille », confirme Delphine Gratien, qui précise qu'elle travaille avec sa sœur. « Nous avons de quoi dégager un SMIC, mais pas deux, et il y a du travail pour trois », assure-t-elle en indiquant qu'une apprentie les rejoindra à la rentrée.
Pour améliorer la situation, La Petite Librairie travaillera sur un meilleur contrôle des commandes et des retours, mais reste contrainte par de faibles taux de remise chez certains fournisseurs, jusqu'à 33 %, qui limitent la marge commerciale. « Nous allons peut-être devoir reprendre un mi-temps chacune, à côté de la librairie », conclut-elle.
Les 3/4 des libraires interrogés ont des relations cordiales avec leurs collègues à proximité, « mais cela ne va pas tellement plus loin », relève Mathilde Rimaud.
Cela dit, 72 % d'entre eux sont membres d'une association ou d'un syndicat, ce qui dénote « d'une envie et d'une conscience d’avoir besoin d’être avec d’autres, de s’appuyer sur le collectif pour faire bouger les lignes, notamment sur les questions écologiques ou sur le transport, qui reste une préoccupation pour un certain nombre de libraires ».
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Delphine Gratien, trois ans après l'ouverture de sa librairie, est convaincue de l'importance de l'action collective : « La visite de l’association Libraires de l’Est a été une bouffée d’oxygène. On se sent immédiatement moins seul. Si je devais donner un conseil à ceux qui commencent, c'est celui-ci : rejoignez, mais tout de suite ! »
Photographie : des libraires réunis à l'occasion des Rencontres nationales de la librairie, à Strasbourg, le 17 juin 2024 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Une écologie de la librairie au coeur des RNL 2024
Par Antoine Oury
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