RNL24 — Les 7es Rencontres nationales de la librairie se sont ouvertes ce 16 juin au matin, à Strasbourg, dans un contexte particulier. Déjà préoccupée par la réduction des marges et la hausse des charges, la profession n'ignore pas non plus la prochaine échéance électorale et le risque d'une extrême droite au pouvoir.
Le 16/06/2024 à 14:26 par Antoine Oury
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16/06/2024 à 14:26
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1200 participants, pour quelque 700 libraires, cette édition aura vu Strasbourg battre les précédents records. Ce dimanche 16 juin, le Syndicat de la librairie française (SLF) ouvrait son rendez-vous bisannuel, suite aux législatives européennes et la nouvelle échéance électorale nationale.
Comme le rappelle Anne Martelle, présidente du SLF, le titre de Capitale mondiale du livre accordé à Strasbourg participe néanmoins à un enthousiasme général et à une envie de partage intact. Cet événement 2024, centré sur l'écologie de la librairie, témoigne de la montée en puissance des réflexions autour du souci environnemental.
Mais l'écologie de la librairie vient aussi souligner « l'ouverture au monde de la librairie, qui ne fonctionne pas en vase clos, mais participe à des écosystèmes », détaille Anne Martelle. Celui du livre, bien évidemment, mais également des territoires, de l'organisation sociale ou encore de la nature et du vivant. « Quand ils défendent la bibliodiversité, les libraires dénoncent aussi la domination économique, la surproduction ou la concentration, et s'inscrivent ainsi dans une relation écologique au vivant », affirme-t-elle.
En tant qu'organisation professionnelle, le SLF n'affiche que rarement des positions politiques, préférant un travail de lobbying auprès de l'ensemble des représentants publics. Malgré la possibilité d'un Premier ministre encarté au Rassemblement national qui s'envisage désormais, le SLF n'ira pas jusqu'à donner des consignes de vote. Cependant les craintes de la profession s'entendent dans le discours de la présidente.
« La librairie est un art de vivre, l'inverse de l'extrémisme, qui repose sur des solutions simplistes et démagogiques. C'est ce que nous avons voulu signifier en élaborant une charte des valeurs du syndicat, que la profession défendra, coûte que coûte », souligne-t-elle. « Un syndicat n’est pas un parti politique, mais son rôle est de défendre l’identité et les valeurs du métier qu’il représente », poursuit Anne Martelle devant un auditoire qui acquiesce.
La charte des valeurs du SLF, accessible à cette adresse, liste différents engagements pour la profession : « Des lieux ouverts, respectueux de toutes et tous, sans distinction d'âge, d'origine ethnique, sociale ou culturelle, de religion ou d'orientation sexuelle », y figure notamment. Sans que l'extrême droite ne soit citée dans le document, difficile, tenant compte de la temporalité de cette publication, de ne pas y lire un barrage à ce camp politique.
Parce qu'un libraire « ne peut pas vivre seulement d'amour et d'eau fraîche », reprend la présidente du syndicat professionnel, elle réoriente son discours sur les problématiques identifiées. Présentées quelques jours avant les RNL, elles s'inscrivent dans des revendications de longue date pour le secteur : lutte contre la surproduction et la multiplication des offices, alors que l'inflation et la crise économique ont un peu plus tendu la situation des points de vente.
« Hormis la Loi Darcos, peu de choses ont avancé sur le plan des tensions économiques, depuis les RNL d'Angers en 2022 », déplore la présidente du SLF. Parmi les demandes du syndicat, la limitation à 5 % du taux de remise accordé aux collectivités pour leurs achats de livres (contre 9 % actuellement), ainsi qu'une amélioration du taux de remise concédé par la diffusion.
Une généralisation à 36 % pour toutes et tous est attendue, ainsi qu'un dépassement du taux de 40 %, véritable « plafond de verre » pour les moyennes et grandes librairies.
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Le syndicat professionnel met en avant l'expertise très forte des libraires, trop largement ignorée par certains des plus grands groupes d'édition, pointant notamment Hachette et Media Participations. Bien qu'effectuant un travail particulièrement qualitatif, pointe le SLF, les librairies se retrouvent moins bien traitées que les grandes surfaces, spécialisées ou non, et les acteurs qui opèrent sur internet.
« Sur le plan commercial, la librairie est évaluée uniquement sur son chiffre d'affaires et reste moins rémunérée », avance Anne Martelle. « Elle fait dans la dentelle, mais reste évaluée au mètre », résume-t-elle avec un sens de la formule calqué sur la Lettre sur le commerce de la librairie (1763) de Diderot, qui déplorait que certains tentent d'appliquer les règles de la manufacture d'étoffe au commerce du livre.
L'article 2 de la Loi Lang est mis en avant par le SLF : s'il donne à l'éditeur le pouvoir de fixer le prix unique du livre, « c'est aussi de sa responsabilité de fixer la rémunération de l'auteur et du libraire, de travailler à ce qu'ils puissent vivre ». La question du partage de la valeur, portée ces derniers temps par des auteurs en voie de paupérisation, est brandie avec force par les libraires.
« Beaucoup de jeunes éditeurs ou de cost-killers [gestionnaires chargés de réaliser des économies conséquentes sur un court laps de temps, NdR], dans les grands groupes, n'ont plus du tout conscience de cette responsabilité. La Loi sur le prix unique du livre a 40 ans : ils ne la connaissent pas, ne savent pas qu'elle engage. »
La librairie reste un commerce attractif, malgré des salaires notoirement faibles. Pascal Perrault, le directeur du Centre national du livre, rapporte que 415 ouvertures ont été dénombrées ces trois dernières années. En 2023, 147 librairies indépendantes ont ouvert leurs portes, pour 52 fermetures, soit un solde de 95 créations nettes.
80 % des créations sont généralistes, détaille Pascal Perrault, et 75 % s'installent dans des villes de moins de 100.000 habitants, avant tout dans les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Bretagne. Depuis le début de l'année 2024, ce rythme des créations tend à ralentir, à mesure que les problématiques habituelles, que la crise Covid avait paradoxalement éloignées, reviennent au galop.
L'étude du cabinet Xerfi sur les impacts de l'inflation et la santé économique de la librairie a confirmé la situation critique qui se profile à l'horizon 2025 pour les librairies, en particulier les plus petites. « N'attendez pas les fermetures et les licenciements pour agir », répète Anne Martelle à l'attention des pouvoirs publics et des éditeurs.
Difficile d'affirmer que cet appel, déjà lancé il y a quelques jours, sera entendu. « Comme à chaque RNL, nous avons invité la ministre de la Culture. Cette fois, nous n'avons eu aucun retour. Je suppose que le contexte ne s'y prêtait pas non plus », constate Anne Martelle, interrogée. Les candidats aux élections législatives ne seront pas sollicités sur les sujets liés à la librairie, en raison de la durée « extrêmement courte » de la campagne.
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Si de nombreux éditeurs indépendants sont invités aux Rencontres, « ce ne sont pas eux qui nous posent le plus grand nombre de problèmes », mais Hachette et Média Participations, pointés du doigt pour des remises trop ingrates envers les libraires. « Pour l'instant, ils font la sourde oreille », déplore Anne Martelle, qui espère que le choc de l'étude Xerfi changera les termes du dialogue, « plutôt un monologue, d'ailleurs ».
L'interlocuteur naturel du SLF pour l'édition, le Syndicat national de l'édition (SNE), n'a pas répondu à l'invitation aux RNL, ni à ses revendications sur les remises. À l'inverse du Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), qui entend porter une autre voix de la profession au sein de la chaine et du public... CQFD ?
Photographie : Anne Martelle, au micro, à l'ouverture des Rencontres nationales de la librairie 2024, à Strasbourg (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Une écologie de la librairie au coeur des RNL 2024
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
3 Commentaires
Necroko
17/06/2024 à 00:18
nous ne voulons plus de TA loi darcos qui est liberticide
Zenzen
17/06/2024 à 10:08
Et l'arrivée de l'extrême gauche ne poserait pas de problème ? Ce serait la catastrophe absolue pour n'importe quel entrepreneur et pour nous libraires d'autant plus au regard de notre fragilité. Je sais bien que le petit milieu parisien de l'édition adore se prendre pour de grands résistants mais je ne crois pas que le Venezuela soit le meilleur endroit pour la librairie indépendante.
Fado
17/06/2024 à 14:19
Le programme que vous tentez de disqualifier est social-démocrate. Relance de l'économie par la demande. Pas très loin d'un Joe Biden. On peut ne pas être d'accord mais inutile d'inventer ce qui n'est pas.