RNL24 — À quelques jours des Rencontres nationales de la librairie, qui se déroulent cette année à Strasbourg, le Syndicat de la librairie française (SLF) a proposé une petite introduction, en forme de panorama de l'état du métier. L'horizon est considérablement assombri, entre surproduction, baisse des achats, hausse des charges et marge toujours réduite... La profession en appelle aux pouvoirs publics, mais pointe aussi la responsabilité des grandes maisons d'édition et de leurs filiales de diffusion-distribution.
Le 06/06/2024 à 13:02 par Antoine Oury
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06/06/2024 à 13:02
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1200 personnes, dont 700 libraires, se retrouveront les 16 et 17 juin prochains, à Strasbourg, pour les Rencontres nationales de la librairie. Organisées tous les deux ans, elles permettent aux professionnels de se retrouver, de mettre en lumière la situation des métiers de la librairie, mais aussi d'alerter les pouvoirs publics et les autres acteurs de l'écosystème sur les problématiques du moment.
Paradoxalement, les années Covid restent dans les mémoires de la profession comme une respiration : la reconnaissance du statut de commerce essentiel et le fort soutien public apporté aux librairies ont aidé les commerces indépendants à traverser ce moment sans encombre ou presque. À l'inverse, les années à venir s'annoncent plus complexes, alerte le SLF en pointant plusieurs causes.
Environ 600 librairies ont été créées sur les cinq dernières années, relève le SLF, dont la moitié dans des villes de moins de 20.000 habitants. Un véritable « librairie-boom » qui témoigne de l'attractivité du métier, entouré d'une aura — justifiée — de commerce générateur de lien social, à la forte valeur ajoutée. À ce titre, une moitié des créations est due à des personnes issues du monde du livre, l'autre à des individus en reconversion professionnelle.
Cependant, cette image positive ne doit pas masquer une réalité moins engageante : « Aujourd'hui, en librairie, on passe notre vie à remplir et vider des cartons, comme dans un film de Chaplin où la chaine s'emballe », résume crument Amanda Spiegel, de la librairie Folies d’encre de Montreuil, vice-présidente du SLF et présidente de sa commission commerciale.
En cause, la surproduction de livres, avec une hausse du nombre de livres édités estimée à 300 % par rapport aux années 1980 par la professionnelle. « Sur la même période, la population n'a augmenté que de 20 %, quand le lectorat s'est stabilisé, voire rétracté. Les conséquences ne sont pas vertueuses du tout. »
Paupérisation des auteurs, réduction des tirages, forte rotation des livres — et des titres qui disparaissent plus rapidement des tables —, emballement des flux de transport et donc de l'empreinte écologique... Les maux provoqués par cette fuite en avant de la production seraient nombreux.
« Nous avons besoin d'une prise de conscience de ces effets non vertueux par les éditeurs, les distributeurs et les diffuseurs : une baisse drastique de la production, collective, serait très saine », annonce Amanda Spiegel, « elle nous permettrait de faire notre métier d'une manière plus qualitative que quantitative ».
Autres menaces qui planent sur la profession, les hausses du coût de la vie et des charges des libraires qui, conjointement, exercent un « effet ciseaux » sur leurs finances. L'inflation qui s'est déployée ces derniers mois a eu un impact sur le panier moyen des acheteurs de livres, sur fond de recul de l'engouement pour la lecture.
Les chiffres d'affaires des librairies n'ont donc pas eu tendance à augmenter, quand la marge dégagée, elle, reste toujours de l'ordre de 1 %, voire de 0,4 % pour les librairies dont le CA annuel est inférieur à 500.000 €.
À LIRE - Inflation, ventes en baisse : la librairie indépendante en danger ?
Pour autant, les librairies ont besoin, pour fonctionner de libraires : très qualifiés (souvent à bac +5), engagés dans un « métier d'investissement total, physique et mental », ces professionnels sont généralement faiblement rémunérés. Les frais de personnel représentent malgré tout entre 18 et 20 % du chiffre d'affaires d'une librairie, pour 12 à 14 % du côté des grandes surfaces culturelles, 10 % pour les super et hypermarchés et plutôt 5 % chez les pur players, assure le SLF.
Alexandra Charroin-Spangenberg, de la Librairie de Paris (Saint-Étienne), vice-présidente du SLF et à la tête de la commission sociale, indique que « la réduction du nombre de salariés, dans les plus petites librairies », est déjà effective et qu'elle risque de s'étendre « aux moyennes et grandes structures si aucune mesure n'est prise ».
Même s'ils sont faibles, les salaires en librairie sont indexés sur les montants du SMIC : depuis 2021, l'augmentation des salaires, bien que « normale et justifiée », atteint + 10 %. Additionné aux hausses des coûts de l'énergie (+ 150 %) et des transports des livres (+ 13 %), l'ensemble devient complexe à régler pour ces points de vente du livre.
Une étude menée par le cabinet Xerfi, présentée au cours des RNL, assure que cet « effet ciseaux » pourrait conduire, à chiffre d'affaires et à marge constants, à un déficit dans la plupart des librairies, d'ici 2025. « Pour éviter cette situation, il faudrait de 5 à 8 % de chiffre d'affaires en plus, selon la taille des commerces, sur les deux prochaines années, ce qui parait hautement improbable », constate Amanda Spiegel.
« Notre priorité est de chercher des pistes » pour dégager cet horizon, reprend Anne Martelle (Librairie Martelle, à Amiens), présidente du Syndicat de la Librairie française. « Nous pouvons gagner en productivité et faire des économies en interne, mais nous sommes arrivés au bout de ces pistes aujourd'hui », estime-t-elle.
L'organisation se tourne à présent vers les maisons d'édition, et notamment celles qui dominent un secteur particulièrement concentré. « Les 12 premières maisons d'édition en France représentent 87 % du marché, les 4 premières maisons d'édition représentent 55 % du marché. Avec ces chiffres-là, on a presque déjà tout dit », rappelait dernièrement Régine Hatchondo, présidente du Centre national du livre, face à des sénateurs.
« La Loi Lang a donné une responsabilité très importante aux éditeurs [qui fixent le prix de vente du livre, NdR], qu'ils ont tendance à oublier », assure la présidente du SLF. La réclamation récurrente de l'organisation, portée depuis plusieurs années, tient donc toujours : elle prône la généralisation de la remise minimale de 36 % accordée aux libraires.
Un taux plancher, d'ores et déjà « pratiqué par Editis et Madrigall, mais pas par Hachette ni Média Participations. Pour eux, cela représente une goutte d'eau, mais une aide très importante pour les libraires. On se demande ce qu'ils attendent pour se joindre au mouvement », relève Anne Martelle.
Une exigence d'autant plus légitime, pour la profession, que les libraires s'investissent pour répondre à la clientèle, mettre les livres en avant, proposer des animations autour de certains titres... « Cet aspect-là n'est pas valorisé par la diffusion, et il est anormal que les remises accordées aux libraires soient inférieures à celles d'autres circuits de vente, où les ressources humaines sont moins nombreuses, moins compétentes », renchérit Amanda Spiegel.
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Parallèlement à ce taux plancher de remise, le SLF souhaite casser le « plafond » du taux de 40 % de remise, environ, accordé à de moyennes et grandes librairies, et obtenir un taux plus élevé, jusqu'à 45 %, « qui serait accordé à d'autres vendeurs de livres ». En outre, une « prise en charge des frais de livraison des offices [les nouveautés, NdR] » est demandé par le SLF, qui rappelle que « les libraires prennent en charge les transports aller et retour ».
Autre revendication persistante du Syndicat national de la librairie, qui prend des allures d'urgence vitale en 2024 : la limitation du rabais qu'il est possible d'accorder aux collectivités par les librairies, pour l'achat de livres des bibliothèques. Actuellement fixé à 9 %, ce taux de remise serait quasiment obligatoire pour qu'une librairie puisse espérer obtenir le marché.
« Il faut y ajouter les 6 % reversés au titre du droit de prêt [pour rémunérer auteurs et éditeurs, mais aussi financer la retraite complémentaire des auteurs], sur lesquels nous sommes totalement d'accord », précise Anne Martelle. « Mais la marge se trouve ainsi amputée de 15 %, sans compter les frais de transport et le temps passé par le libraire ou son salarié. »
L'organisation professionnelle réclame donc un abaissement du taux de remise possible à 5 %, « le niveau de rabais qu'il est possible de consentir aux particuliers ». Le coût pour les collectivités, universités incluses, serait de 6 millions € par an, d'après les estimations du SLF, mais le gain atteindrait 1 % de marge en moyenne pour les librairies : « On comprend l'importance du sujet pour nous », ajoute la présidente.
La ministre de la Culture Rachida Dati, qui devrait ouvrir les Rencontres nationales de la librairie de Strasbourg, sera sûrement amenée à s'exprimer sur le sujet, ou en tout cas à témoigner de l'attention portée par son ministère à la situation de la filière.
Photographie : La Librairie Nouvelle d'Orléans (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
DOSSIER - Une écologie de la librairie au coeur des RNL 2024
Par Antoine Oury
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27 Commentaires
Rémi Vincent
06/06/2024 à 18:28
Le porte-à-porte n'existe plus, pour la vente d'ouvrages en version papier.
Depuis la création de Wikipedia, totalement gratuit.
Rémi Vincent.
Alain
11/06/2024 à 10:02
Si , si , je fais du porte-à-porte pour promouvoir et vendre mon livre " L'injustice impensable en France !"
Alain Bozaric
Necroko
07/06/2024 à 00:20
Toujours a râler et a réclamer des avantages, comme si ils en avaient pas déjà et énormément en plus ; les petits bourgeois VEULENT...
Dans le Manga c'est à la fois très bien les nouveaux titres et un peu saoulant aussi mais je préfère avoir le plus de sorties possible.
Un libraire
08/06/2024 à 09:54
Les libraires n'ont pas tant d'avantages que tu crois et la plupart ne sont pas des "petits bourgeois".
Je suis moi même libraire et je ne gagne pas de quoi me payer un salaire (ni de quoi avoir des employés d'ailleurs ^^). Sur un livre vendu, on garde assez peu pour nous si on soustrait la TVA, les transports, les charges de l'entreprise, le prix initial que l'on a payé pour le livre...
Il est vrai qu'il y a des avantages, par exemple la TVA du livre est moins chère (5.5% plutôt que 20%) ou le prix fixe des livres qui limite une concurrence qui serait ruineuse, mais la plupart des libraires doivent aussi renvoyer d'important stocks d'invendus (à leurs frais) ce qui baisse de beaucoup leurs marges par rapport à d'autres commerces. (Je suis spécialisé, donc j'ai moins de difficultés que les généralistes sur ce point là)
Les grandes maisons de distribution (qui se font des bénéfices très importants et sont souvent moins correctes que les plus petites dans leur traitement des libraires, notamment la plus grande : Hachette) devraient effectivement accorder de meilleures marges (et elles en ont les moyens).
Par contre, je suis d'accord avec vous que le fait de baisser le nombre de sorties n'est pas forcément une solution souhaitée. S'il y a plus de livres, il suffit de faire le tri, des choix, et on peut toujours commander ceux que l'on a pas à la demande des clients. (Après, certains libraires prennent des offices choisies par les fournisseurs plutôt que par eux même et c'est probablement aussi pour cela qu'une trop grande abondance de livres leur est nuisible).
Tresin
10/06/2024 à 09:44
Petits bourgeois... c'est amusant !
Et les acheteurs de mangas à la pelle, on les nomme comment ?
Des jeunes oisifs déconnectés, des jeunes bourgeois friqués, des fils et filles de grands ou moyens bourgeois, des glandeurs financés ?
Témoignage
07/06/2024 à 01:57
Je leur souhaite bien du courage. 2 librairies sans intérêt et un 1 bouquiniste passable dans la petite ville à côté de chez moi. Sur internet j'achète d'occasion pour 5 à 7 fois moins cher (livraison comprise). Et le choix éditorial est incomparable. Sans compter les livres anciens ou rares. En librairie, sauf exceptions, j'ai l'impression d'avoir un "digest" d'Ouest-France ou Télérama. Je ne critique pas, chacun ses goûts... mais moi je vais voir ailleurs. Et je ne parle pas d'auteurs "infréquentables", mais simplement de classiques de l'histoire, de l'économie, de la philosophie, des mémoires, des critiques d'art, etc.
Tresin
10/06/2024 à 09:39
Sans doute de très petite librairies ou bien des "Maisons de la presse" avec une table de nouveautés et une étagère de poches ?
Manque des classiques dont vous parlez : il suffit de les commander et ça ne prend pas plus ou guère plus que par Internet.
Quant à l'occasion, ce nest pas toujours moins cher (pour le récent en bon état comme pour le moins récent un peu rare). Moins ça s'est vendu neuf, moins il y en a doccasion !
Rainer GOCKSCH
07/06/2024 à 09:07
Je note l’absence d’un mot sur le marché non-papier dans cet article. Et pourtant, rien que l’influence d’Amazon exerce une pression énorme sur les libraires. Une idée à creuser pourra venir des auteurs. Leur marge me paraît anormalement élevé pour les auteurs à succès. Eux aussi ont un intérêt à maintenir les librairies en bon ordre de marché. A trouver le comment.
Le Houelleur Yann
09/06/2024 à 02:45
Vous avez raison, Monsieur Gocksch. Et je me demande si le nom d'Amazon a été sciemment banni de cet article. Un oubli d'autant plus troublant qu'Amazon représenterait de nos jours la moitié des ventes de livres en France. Personnellement, Amazon me laisse froid en la matière car j'aime l'atmosphère feutrée et recueillie, presque religieuse, qui règne dans ces commerces si particuliers que sont les libraires. Les clients peuvent feuilleter une bonne partie des livres s'étalant le long des "gondoles" et repérer, si nécessaires, des bouquins correspondant à leurs goûts et attentes.
FredEx
07/06/2024 à 09:52
Mais comment les éditeurs vont-ils payer les profiteroles du déjeuner d'affaires s'ils ne font plus de cavalerie ?
Mickitos
07/06/2024 à 11:15
Aucune demande de remise ou de gratuité pour les services de la Poste ?
4,80€ le kilo en France, 1,35€ pour l’étranger (tarif livres et brochures). Un peu paradoxal !
Segueni
07/06/2024 à 19:57
Le prix de l'envoi au de 500 Gr à 1 kg est plus cher, il est de 8,80 € , le tarif livre et brochure est un tarif d'exception très bas uniquement pour l'envoi à l'étranger. Il faudrait vraiment baisser le prix des envois de la poste en France. L'envoi jusqu'à 250 gr est à 4,30 € en France pour les pros !! C'est vraiment pas rentable pour les bouquinistes ou libraires. Et je ne peux répercuter mes charges d'envoi sur le client..
Un libraire
08/06/2024 à 09:58
Il n'y a pas de paradoxe. La raison pour laquelle les libraires ne demandent pas des remises de la poste, c'est qu'ils passent majoritairement par d'autres transporteurs (mais ça reste assez cher, surtout avec toutes les taxes sur les routiers ou l'essence qui se répercutent dans la facture).
Tresin
10/06/2024 à 09:48
1,35 le kilo livres et brochures vers l'étranger ?
Pour Monaco alors ?
Mes derniers envois livres et brochures vers le Canada m'ont coûté nettement plus cher. Vraiment plus.
GF Spencer
13/06/2024 à 09:49
Bonjour Tresin, c'est une question de zonage (et bien sûr de poids) ;-)
https://www.laposte.fr/tarifs-livres-brochures
D. L.
07/06/2024 à 14:51
Je croyais qu'ils étaient… "indépendants"
L'État ne peut rien, les éditeurs industriels font ce qu'ils veulent, que les librairies redeviennent maîtres chez eux, c'est aussi simple.
Le jour où ils diront NON ensemble, l'affaire sera close. C'est juste une histoire de contre-pouvoir.
Pousser les cartons de l'industrie en entretenant le romantisme du libraire, voilà où ça mène. Qu'ils ne viennent pas pleurer.
Thierry Reboud
07/06/2024 à 15:44
Ce genre d'article me tape sur les nerfs, et pas qu'un peu.
Déjà, une remarque de simple bon sens : l'éventuelle surproduction, ça n'est pas le problème des librairies. Les librairies définissent les critères de leur approvisionnement (le budget, la qualité qu'on prête à tel ou tel titre, la disponibilité de lecture, la surface d'exposition et de vente, etc : ce qu'elles veulent) et, qu'on les approuve ou non, ce sont les leurs. Si les librairies sont victimes de la surproduction, c'est qu'elles commandent trop par rapport à leurs propres critères. Bref, si Amanda Spiegel veut « faire [son] métier d'une manière plus qualitative que quantitative », ça ne dépend que d'elle (et du reste il se murmure qu'elle ne s'en prive pas, ce qui est tout à son honneur).
Deuxième remarque, à supposer que les vœux pieux des librairies soient exaucés et que la prétendue surproduction cesse miraculeusement, qui croient-elles qu'on publiera moins ? Eh bien justement les livres sur lesquels les librairies pourraient (à condition qu'elles s'en donnent la peine) apporter une réelle plus-value culturelle ou commerciale ou les deux.
Ce genre de pleurnicherie commence à bien faire, et d'autant plus qu'elles reviennent tous les deux ans à la même saison. Bon dieu, les librairies ne commandent déjà pas toute la production ! Au passage, c'est tout à fait normal : aucune librairie , de quelque taille qu'elle soit, ne peut commander la totalité de la production, et personne de sensé n'attend cela d'aucune. Mais tout de même, devinez qui sont les premières victimes de leur sélection : bingo, les livres de l'édition indépendant et les écrivain·es qui n'ont pas encore été sanctifié·es par la loi du marché (ce qui, soit dit en passant, est un peu risqué: même Marc Lévy et Guillaume Musso ont commencé par un premier roman... sans même parler d'En attendant Bojangles chez Finitude qui, à la mode d'aujourd'hui, serait sans doute passé à l'as).
C'est-à-dire que, quand les librairies chouinent contre la prétendue surproduction (qui n'est en fait que leur mauvaise politique d'achat), elles annoncent poliment qu'elles vont sabrer encore plus. Et sabrer encore plus dans la production des maisons indépendantes et des écrivain·es non confirmé·es.
Ne serait-ce que du point de vue des intérêt de la librairie, une telle politique comporte des risques non négligeables.
D'abord, parce que les livres qui se vendent le mieux sont, justement, les livres qui se vendent. Pas tout seuls, mais presque. C'est-à-dire les livres dont l'essentiel de la puissance commerciale n'est pas le fait de la librairie, mais du fait de la maison d'édition (notamment par son impact médiatique) ou de la largeur de la distribution (commercialisés notamment en grandes et moyennes surfaces non culturelles). Autant dire que, dans cette configuration commerciale, les librairies indépendantes sont un peu la cinquième roue du carrosse.
Ensuite, parce que ces livres sont disponibles partout, absolument partout, et que ce n'est pas de cette manière que les librairies indépendantes vont réussir à se distinguer commercialement. Il faudrait qu'à un moment ou à un autre les librairies prennent le temps de réfléchir un peu sérieusement à la la dialectique commerce/culture qui est le cœur de leur activité. S'il n'est pas question de négliger le caractère essentiel d'une saine comptabilité et d'une caisse bien remplie, il est tout aussi essentiel de ne pas perdre de vue qu'une librairie tourne bien en affichant une véritable identité.
L'avenir pour les librairies indépendantes me paraît bien plus résider dans des choix véritablement assumés, et des choix qui les distinguent des autres librairies. Or, comme les choses sont bien faites, c'est justement dans l'édition indépendante que les librairies trouveront le plus de titres qui échappent à la dimension calibrée et prévisible du métier. Pas par vertu, par nécessité : les maisons indépendantes ne sont pas assez riches pour concurrencer les grosses à coup de chéquier. Une maison comme Allia s'est justement construite sur les interstices que laissaient les grandes maisons : Gérard Berréby, qui a publié avec succès Lipstick Traces ou le Zibaldone de Leopardi, a souvent remarqué qu'il ne prospérait que sur les insuffisances des grandes maisons. C'est vrai d'à peu près toutes les maisons d'édition indépendantes : si elles tournent bien, c'est qu'elles font quelque chose que les autres ne font pas.
Et puis alors, la cerise sur le gâteau ! La surproduction participerait à la paupérisation des écrivain·es : alors celle-là, c'est carrément la meilleure. J'aimerais assez qu'on m'explique (si possible avec des mots pas trop compliqués) en quoi le fait de ne pas publier certains libres enrichira les écrivain·es. Cet argument-là, c'est tout de même le plus faux-cul de la collection.
Bon, je m'arrête là parce que je crains d'avoir déjà été trop long. Heureusement qu'il y a aussi un paquet de librairies qui font bien leur boulot sans pleurnicher, ce serait désespérant sinon.
Tresin
10/06/2024 à 10:08
Long texte effectivement et qui soulève quelques lièvres connus ou moins connus.
Mais aussi qui généralise.
Etre librairie indépendant, ce n'est pas faire ce que l'on veut comme on veut.
Le libraire est en bout de chaîne et il le subit. Il peut lancer des alertes (ce que vous nommez chouineries) mais ne sera pas décisif.
Le libraire de grande ville peut personnaliser son offre.
Le libraire isolé en face d'une "Maison de presse" a le choix de lui laisser les nouveautés et de trouver sa niche.
Le libraire sans concurrence apparente sait bien que ce qu'il ne propose pas sera livré après commande Internet.
Il est des secteurs où on ne peut compter ni sur une concentration d'étudiants ni sur une concentration d'intellectuels ni sur une concentration de lecteurs compulsifs de BD.
Sur les petits éditeurs (éditeurs indépendants ?), pas avares en chouineries non plus..., combien seraient capables de fournir si les libraires indépendants (et même seulement les vrais) se mettaient tous à les vouloir en vitrine ?
Thierry Reboud
11/06/2024 à 02:29
Bien sûr que j'ai généralisé : ce n'est évidemment pas dans un espace de commentaires, si généreux soit-il, que je vais pondre une thèse de troisième cycle sur les particularismes de chaque librairie face à l'édition.
Bien qu'être libraire indépendant, ça n'est pas faire ce qu'on veut comme on veut : ça tombe bien , je n'ai rien prétendu de tel. En revanche, être librairie indépendant, c'est décider de sa politique d'achat : c'est un tout petit peu le b-a, ba du métier. Si une librairie croule sous les nouveautés, c'est qu'elle en achète trop au regard de ses critères : les siens, pas les critères des maisons d'édition, pas les critères des diffuseurs-distributeurs, pas les critères des représentants.
Pour avoir été jusqu'à très récemment représentant pour un diffuseur-distributeur spécialisé dans les petites et moyennes maisons d'édition indépendantes, j'ai travaillé avec pas mal de librairies de villes moyennes ou petites (voire très petites) qui parvenaient très bien et très intelligemment à proposer un assortiment choisi à sa clientèle. Vous me surprendriez grandement en soutenant que ce type de librairie n'existe que sur ce qui a été mon secteur d'activité.
La concurrence des sites marchands en ligne existe également pour les libraires des grandes villes, et pour cause : aucune librairie d'aucune ville d'aucune taille n'a les moyens financiers et linéaires pour proposer la totalité de la production.
Comme n'importe quel commerce, les librairies doivent exercer leur activité en fonction de leur environnement, notamment concurrentiel. Les sites en ligne, la présence ou pas d'une Maison de la Presse, la densité de l'offre de livres, le bassin de population et sa nature, autant de paramètres qui doivent déterminer la politique d'offre (et par conséquent d'achat) que mettra en oeuvre une librairie donnée à un endroit donné dans des conditions données.
Mais dans tous les cas, absolument tous les cas, l'hypothétique surproduction au sujet de laquelle récriminent un peu vainement trop de libraires n'est pas et ne sera jamais le problème des librairies. Ce qui (le cas échéant) est leur problème, c'est le "sur-achat" et il n'y a que les libraires qui puissent le résoudre (même si, comme je l'écrivais dans mon commentaire initial, on se doute assez que les arbitrages seront probablement faits au détriment de ce qui pourrait assurer leur singularité, mais c'est une autre question).
Laurence
07/06/2024 à 16:57
La surproduction est effectivement impressionnante. Le circuit du livre n'a rien à envier à la "fast fashion"...
Tant que les libraires mettent en rayon, les éditeurs produisent. Ca génère du CA. Ca paye les actionnaires....
Les livres restent très peu de temps un rayon, car l'autre vague de nouveauté arrive... le libraire envoie en retour, ce qui lui permet de se refaire une santé financière. Et côté éditeur, tout part au pilon à 100%
le système est pourri !!!
Avcesar
08/06/2024 à 10:34
Entrée chez limmmonn libraire favori c'est être confrobé a des monceaux d'ouvrages. Lequel choisir ? Trop de choix tue le choix !
Hampe Jacques
08/06/2024 à 13:18
Bonjour,
1) effectivement trop de nouveautés paraissent chaque année.
2) le livre a une durée de vie trop courte due à cette surproduction.
3) les gens lisent de moins en moins.
Ce qui engendre moins de vente.
4) le prix de la fabrication a augmenté de 30% comment maintenir un prix bas seules les grandes maisons d'édition y arrivent.
5) sans l'Aide du ministère de la culture ni les auteurs poètes romanciers historiens photographes libraires et petites maisons d édition peuvent s' en sortir.
Cureuil Pourpre
08/06/2024 à 13:41
Tout le monde écrit et veut être édité; plus personne ne lit... Cherchez l'erreur!
GF Spencer
13/06/2024 à 10:14
Bonjour, Cureuil Pourpre. En toute humilité, voici mon avis en tant que "petit" éditeur indépendant. Vous touchez du doigt la source de nos malheurs... L'envie de créer s'est imposée dans beaucoup de domaines. Le consommateur veut devenir acteur et "marquer cette vie de son passage". Avez-vous remarqué la présence depuis quelques années de matériel de peinture dans les rayons de la plupart des grandes surfaces ? Regardez le nombre de propositions de formations ou coaching poussant les amateurs de littérature à s'initier à l'expérience de la plume. Le lecteur d'hier est donc devenu l'auteur d'aujourd'hui, et (elle) il n'a pas été remplacé(e), et ne le sera pas de sitôt si l'on considère le niveau littéraire des bacheliers des dernières années. Si je devais pousser un peu plus en avant mon analyse, je dirais que tout cela n'est qu'une vague, laquelle, par la force des choses, ne pourra que s'apaiser. Les "apprentis auteurs" finiront par se décourager faute d'avoir été lus en nombre. Leur passion pour la lecture restera sans doute (je l'espère), et la roue se remettra à tourner - peut-être à travers les versions électroniques, peut-être toujours à travers le traditionnel "broché". Un adage à retenir : les civilisations, les systèmes, les pays... tout finit par passer un jour, mais l'art ne peut disparaître, car il est une raison de vivre, et pas une façon de prospérer.
Ne survivrons donc que les plus passionnés, et c'est une bonne chose, en définitive.
Tito
09/06/2024 à 15:16
Pourquoi les librairies se prostituent auprès des éditeurs majeurs, ne vendent que des auteurs majeurs ou à la mode( bluettes erotiques ou asiatiques) et méprisent les auteurs locaux qui ne leur coutent rien(livres en dépôt)?
Qu'ils fassent leur travail!
Nanou
12/06/2024 à 13:17
La limitation du rabais des bibliothèques ne changera rien au problème. Nous achèterons moins de livre c'est tout. ET ceux qui en pâtiront au final c'est les lecteurs....
Renseignez-vous sur le projet Européen #ChatControl
14/06/2024 à 06:18
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