Beaucoup de dynamisme se dégage de cette jeune équipe de Zebra Comics. Cette startup basée à Douala, la capitale économique du Cameroun, est en train de s’illustrer internationalement. Njoka Suyru, l’un de ses fondateurs, est curieux, réactif et porteur d’une belle énergie. Nous avons discuté une bonne heure en visio. Propos recueillis par Agnès Debiage, fondatrice d’ADCF Arica.
Le 30/05/2024 à 11:05 par Agnès Debiage
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Publié le :
30/05/2024 à 11:05
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Lorsque j’ai lu que Zebra Comics avait signé un accord avec DC Comics aux États-Unis, cela m’a intriguée. J’ai cherché à les contacter pour en savoir plus sur cette maison d’édition. On aurait pu se rencontrer en vrai en mars dernier lorsque j’étais à Douala, mais on ne se connaissait pas encore. Du coup, c’est parti remise avec encore plus enthousiasme à vouloir découvrir cette belle équipe. Ravie aussi de savoir que Njoka Suyru a été sélectionné pour venir en France en octobre prochain à l’occasion du Programme Focus BD Webtoon organisé par l’Institut français.
Agnès Debiage : Racontez-moi la belle aventure de Zebra Comics ? Comment tout a démarré ?
Njoka Suyru : Fin 2016 alors que j’étais étudiant à l’Université de Buea (région du sud-ouest du Cameroun), mon ami d’enfance Ejob Nathanael m’a contacté en me demandant si je serais partant pour participer à la création d’un studio de bandes dessinées. Je lisais beaucoup de romans à l’époque. Nous faisions tous nos études et le seul qui travaillait a démissionné pour rejoindre à temps plein l’aventure. En 2017, on a sorti un magazine comprenant 3 BD (Aliya, Totem et Tumbu), uniquement en anglais. À la suite de cela, nous avons été repérés lors du Festival MboaBD qui était notre première sortie officielle en zone francophone. Les éditions Akoma Mba nous ont remarqués et nous ont proposé un partenariat qui a duré 2 années. Ils ont édité nos 3 BD mais en 3 livres séparés (version bilingue).
Dans ce cadre, nous avons participé à plusieurs salons nationaux et programmes internationaux. Cela a permis d’élargir notre réseau vers l’étranger. En 2019, nous avons lancé une levée de fonds qui a été essentiellement alimentée par des Américains et qui nous a permis de financer une nouvelle BD (Anaki) puis, la même année, notre première application sous Android. On a alors pris conscience que nos contenus afro-centriques intéressaient un lectorat outre-Atlantique. Dans notre pays, il n’y a pas de politique du livre ni d’accompagnement des éditeurs. C’est vraiment grâce au financement participatif que nous avons pu amorcer ces développements.
Ma BD, Njoku, a gagné le Prix de la BD numérique dans le cadre du programme IFC en Création au Cameroun. Ceci nous a ouvert les portes d’un partenariat avec l’Institut français du Cameroun qui s’est clôturé par la Zebra Comics Expo (2022) qui présentait des teasers de nos prochaines bandes dessinées. Zebra Comics s’est structuré et a embauché plus de dessinateurs pour produire des contenus de qualité car on a rapidement compris qu’il en fallait toujours plus.
Nos BD sont écrites d’abord en anglais, puis traduites en français. Le Cameroun a l’anglais et le français comme langues officielles et cela nous permet de toucher un marché très vaste à l’international. Nous voulons d’ailleurs traduire nos histoires dans d’autres langues, notamment le chinois, l’espagnol, l’allemand, le portugais. Zebra Comics, c’est beaucoup de passion, de travail, de nuits blanches… Ce n’était pas facile au début car nos parents ne voulaient pas nous voir nous orienter vers ce qui ne semblait pas être un métier. Devenir un dessinateur ne permet pas de faire vivre une famille selon eux. On a dû se battre pour les convaincre.
Comment se compose votre catalogue ?
Njoka Suyru : Actuellement, sur la plateforme Zebra Comics, nous avons 71 titres de BD en format webtoon et quelques histoires pour enfants. On a mis de côté la version papier car la production coûte très cher et la diffusion est compliquée. Ici, au Cameroun, on vend plus facilement les manuels scolaires. Donc nous avons préféré miser sur le numérique via notre application. La majorité de nos lecteurs lisent sur leur téléphone portable ou sur tablette. Les impressions papier des meilleures BD se feront plus tard sur commande, sauf si on trouve un partenaire qui peut nous accompagner sur ce volet.
Nos histoires pour enfants ciblent les 5-10 ans et les webtoons sont destinés aux 14 ans et plus. Tout est disponible en anglais et au moins 80 % des titres sont traduits en français. Chacun de nous, dans l’équipe, a plusieurs casquettes, car nous restons une petite boîte à faire tourner. Une bonne vingtaine de dessinateurs de 19 à 30 ans se concentre à produire des contenus. Depuis 2023, tous nos contenus sont créés originellement en format webtoon. Les BD éditées avant cela ont toutes été adaptées en webtoon pour répondre aux exigences du lectorat. On ne produit plus que du numérique. La version papier se fera sur commande pour nos meilleures ventes. À ce jour, il n’y a toujours pas eu d’adaptation transmedia de nos BD mais nous y pensons.
Comment Zebra Comics développe-t-il son offre en ligne ?
Njoka Suyru : Nous avons fait une nouvelle version de notre application (Android et IOS) pour qu’elle soit plus performante. Le principe est un abonnement mensuel qui donne accès à tout notre catalogue. Autre formule possible, le lecteur peut acheter des crédits ou coins qui permettent de débloquer des chapitres des webtoons. Nos contenus sont exclusivement disponibles sur l’application Zebra Comics. Le paiement se fait par mobile money ou par carte de crédit. Nous sommes constamment à la recherche de meilleures options pour toucher plus de monde en Afrique. Nous avons des relations avec plusieurs plateformes, mais, pour l’instant, nous conservons l’exclusivité de nos contenus.
Notre objectif est d’avoir plus d’abonnés payants, bien qu’on soit en concurrence avec de grosses plateformes spécialisées. Notre point fort est qu’il y avait un sérieux manque de contenus africains même si trop d’Africains continuent à penser que ce qui vient de l’étranger est meilleur que ce qui est produit localement. C’est un défi qu’on va surmonter petit à petit. Si l’on fait un petit bilan, Zebra Comics c’est environ 10.000 abonnés ayant fait des transactions depuis la création de la plateforme et qui reviennent acheter du contenu ponctuellement.
En tant qu’éditeur, quelles sont les problématiques auxquelles vous faites face aujourd’hui ?
Njoka Suyru : Les ressources humaines ne sont pas évidentes à gérer, nos illustrateurs ont plus l’habitude de dessiner de chez eux que de se mettre dans un contexte d’entreprise. Certains doivent encore s’améliorer. Côté finances, nous pouvons faire tourner l’entreprise au Cameroun mais nous n’avons pas la capacité financière pour rivaliser avec les géants à l’international. Mais petit à petit, on va atteindre nos objectifs, on y croit. Avec le numérique, on a résolu la question de la diffusion car n’importe qui dans le monde peut lire nos BD.
On a des lecteurs en Corée, Japon, Chine, Maroc, États-Unis, France… Un peu partout. Côté livres imprimés, la diffusion est problématique car les libraires sont persuadés que les BD ne se vendent pas, pourtant moi je pense qu’elles ont un marché. Ils craignent juste de ne pas vendre ce qu’ils achèteraient mais heureusement on a Carrefour, Casino et la Fnac ainsi que quelques grandes librairies.
En l’absence de politique du livre au Cameroun, auteurs et éditeurs sont abandonnés à eux-mêmes. On a eu des propositions d’éditeurs pour des cessions de droits mais on a vu que l’offre n’était pas intéressante pour nous. On cherche à conquérir le monde et on préfère négocier avec des grosses entités. Comme tout le contenu appartient à Zebra Comics, on peut sans souci en céder des droits si des propositions nous intéressent.
Vous venez de signer un accord avec DC Comics (WarnerMedia) ? Sur quoi porte-t-il ?
Njoka Suyru : Sans vouloir tout dévoiler, le projet porte sur une anthologie de Joker racontée par des artistes de 13 pays différents parmi lesquels Argentine, Brésil, Mexique, République Tchèque, Espagne, Allemagne, Italie, Pologne, Turquie, Corée, Japon et bien sûr Cameroun. DC Comics avait déjà fait cela avec Batman, mais il n’y avait pas d’artiste africain. L’idée est que chaque artiste présente le Joker dans sa culture. Ce partenariat n’est qu’un premier pas et il y a d’autres pistes à explorer. Cette anthologie devrait voir le jour un mois avant la sortie de la deuxième partie du film Joker réalisé par Todd Phillips.
S’il y avait un Festival de BD où vous aimeriez aller, quel serait-il ?
Njoka Suyru : Le Festival international de la BD à Angoulême doit être une belle expérience, car on voudrait étendre notre réseau et vendre notre label Zebra Comics. En Belgique aussi, il y a d’importants rendez-vous. Et bien sûr aux États-Unis, les Comic Con dans plusieurs villes. En Afrique, le Salon international du livre d’Abidjan (SILA) m’intéresse car je ne connais pas vraiment ce contexte ivoirien et le programme m’a interpellé, j’aurais aimé pouvoir suivre les tables rondes professionnelles en visio.
Pour conclure, quel serait votre rêve pour Zebra Comics ?
Njoka Suyru : Dans 5 ans, j’espère qu’on aura déjà des adaptations en dessins animés et jeux vidéo. On espère devenir la première plateforme de divertissement qui propose du contenu africain. On travaille d’arrache-pied pour construire cela. Et on veut aussi gagner de l’argent, car j’aurai bientôt 30 ans et je ne pourrai pas encore prendre ma retraite comme prévu (rires).
Crédits : Zebra Comics
2 Commentaires
Gaius
30/05/2024 à 14:05
Africa's story potential is so huge and not even a fraction of it has been exploited. The years to come will be glorious.
Mengot
30/05/2024 à 14:47
Magnifique