Cela fait déjà 15 ans qu’ActuaLitté se met au service des Ensablés, cet ensemble d’œuvres oubliées exhumées par l'équipe. Alors, pour fêter cet anniversaire si particulier, les chroniqueurs anonymes sont passés de l’autre côté des lignes. Interview.
Le 16/05/2024 à 17:35 par Les ensablés
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Publié le :
16/05/2024 à 17:35
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ActuaLitté : Voilà bientôt 15 ans que vous avez créé Les Ensablés : comment a évolué cette chronique ?
Hervé Bel : D’abord, merci à Actualitté.com d’avoir permis à ce vaste projet d’exister. 15 ans déjà, c’est incroyable ! Mais, malgré cette longue durée, je peux vous affirmer qu’il n’y a pas eu d’évolution. Dès le départ, il a toujours été très clair pour moi que nous n’étions ni critiques, ni universitaires, mais des amateurs éclairés comme on dit, des gens curieux, ayant une aisance pour écrire, avec un peu de fantaisie pour aller s’aventurer dans les contrées inconnues de la littérature.
Nos articles ne sont jamais négatifs. Écrire sur des œuvres oubliées d’écrivains oubliés, pour conclure qu’il faut justement les oublier, ce serait quand même un peu absurde ! Par ailleurs, dès le début, il a été décidé que nos articles porteraient sur les œuvres et non sur les auteurs, si bien que, pour un même auteur, il peut y avoir plusieurs articles. L’exemple type est Jean Forton, magnifique écrivain, enseveli injustement.
Ce que nous voulons, c’est partager nos coups de cœur avec nos lecteurs, toujours fidèles, en piquant leur curiosité. Il s’agit de raconter succinctement l’intrigue du texte, en donnant les éléments biographiques essentiels de l’auteur, avec des références si nécessaires.
Le champ d’exploration est également resté le même : littérature francophone de 1900 à, on va dire, 1970, ce qui est déjà considérable. À ce jour, nous avons publié plus de 600 articles. Il est à noter que nos contributions font de plus en plus référence, et sont même citées dans des thèses.
Combien de personnes collaborent avec vous aujourd’hui ? Quels sont leurs profils ?
Hervé Bel : Nous comptons environ une dizaine de contributeurs plus ou moins réguliers, le principe étant que chacun se fait plaisir. Le profil des personnes est variable. Il y a des auteurs. Un professeur d’université, grand spécialiste de la littérature des années 30, et puis des personnes de milieux professionnels qui n’ont rien à voir avec le milieu littéraire, mais qui sont de grands lecteurs, voire des spécialistes.
Exhumer des Ensablés, n’est-ce pas un tonneau des Danaïdes ? Le temps passe, et enterre nécessairement des auteurs et autrices ?
Hervé Bel : Exhumer les Ensablés ? C’est vouloir vider la mer avec une petite cuillère. Vous avez beau faire, il en apparaît toujours. Comme je le disais il y a quelques années, l’ensablé est forcément un oublié, mais un auteur oublié n’est pas forcément un ensablé, c’est-à-dire un auteur ayant écrit une œuvre qui a une qualité littéraire indéniable.
Or, là réside le cœur du problème : avant de savoir si vous avez devant vous un ensablé, il faut l’avoir lu. Cela conduit à lire beaucoup de livres qu’il faut parfois… oublier, car mauvais.
Pour gagner du temps, en ce qui me concerne, je travaille par capillarité. Par exemple, je découvre un auteur qui me plaît. Je me penche sur sa biographie, je fouille Gallica, je note avec quels autres auteurs il a pu être en rapport, souvent des inconnus, et je fais des recherches sur eux, dégotte une de leurs œuvres en me disant qu’il y a des chances que ce ne soit pas si mauvais, et de fait, c’est rarement mauvais en procédant ainsi. Même si le texte a vieilli, ne nous le cachons pas.
Oui, le temps enterre presque toujours les écrivains et les œuvres. Trop de livres paraissent depuis tellement d’années ! C’est une masse infinie face à un nombre de plus en plus limité de vrais lecteurs, donc, fatalement, il y a oubli, et je pense même qu’on oubliera de plus en plus d’auteurs et d’œuvres en raison de la diminution des lecteurs.
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Par ailleurs, qu’entendons-nous par oubli ? S’il s’agit simplement du nom de l’auteur, l’oubli est moins certain. Prenons Gide, Proust, on connaît ces noms. Mais qui les lit encore ? Soyons lucides, plus beaucoup de monde. Leurs noms surnagent, certes, mais leurs œuvres sont en voie d’oubli, trois fois hélas. Alors, je ne vous parle pas des auteurs dits mineurs. Emile Clermont ? Paule Régnier ? Raymond Vincent ? Céard ? Je continue ?...
Il est vrai qu’il existe des cas où des Ensablés ressurgissent, et ont du succès. On parle alors de « revie » littéraire. Il y a le cas de Némirovsky, romancière oubliée, obtenant post mortem le Goncourt avec Suite française. Mais ne nous voilons pas la face, c’est exceptionnel !
Personne n’est à l’abri de l’oubli en littérature, même les plus célèbres de leur temps. Qui lit encore Roger de Beauvoir, fort connu au dix-neuvième siècle ? Cesbron, au vingtième siècle ? Je ne m’avance pas beaucoup en affirmant que Musso, Levy, Angot, et autres seront des inconnus dès qu’ils auront disparu de cette terre…
Observez-vous un regain d’intérêt de la part d’éditeurs pour ces auteurs « enfouis » que vous mettez à l’honneur ?
Hervé Bel : Je ne parlerai pas de regain d’intérêt, car il y a toujours eu des éditeurs qui rééditent des œuvres ensablées. Gallimard, pour ne citer qu’eux, ont une collection qui s’appelle l’Imaginaire, dans laquelle sont rééditées les œuvres de son fonds qu’ils ne jugent pas dignes de figurer dans la Collection Folio. Entrer dans l’Imaginaire, c’est pour un auteur (généralement mort physiquement) mourir une deuxième fois...
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Il y a bien sûr des éditeurs comme l’Arbre vengeur, Finitude, Dilettante, nous en avons beaucoup parlé dans nos colonnes, qui réservent une partie de leur activité éditoriale à faire revivre des romans. Et, fait plus marquant encore, il y a même de nouvelles maisons qui se créent et rééditent immédiatement les oubliés, ce qui est chaque fois un risque financier, il faut quand même le rappeler !
RENDEZ-VOUS - Les Ensablés vous convient au Merle Moqueur
Cette question que vous posez, elle sera abordée lors de notre rencontre du 22 mai au Merle Moqueur, car deux éditeurs courageux seront là : il s’agit de Finitude qui ressort deux textes de Guérin Retour de barbarie et Du côté de chez Malaparte, des Éditions de la Grange-Batelière avec ce formidable roman de Bernard WallerDubalu. Les spectateurs auront tout loisir de les interroger.
Comment a évolué votre approche des Ensablés depuis 15 ans ?
Hervé Bel : Sur le principe, comme je vous le disais, notre approche n’a pas changé, mais avec le nombre de contributeurs, nous avons pu étendre notre champ d’investigation.
Ainsi, nous avons désormais une chronique régulière sur les œuvres des critiques d’art de la première moitié du XXème siècle. Ces critiques étaient de véritables littérateurs (je pense par exemple à Huysmans) et ont donc toute leur place dans nos colonnes. Récemment, un contributeur belge nous a rejoints et s’est spécialisé dans Les Ensablés belges.
Et je note également qu’au fil des années, nous avons pu découvrir un nombre important et croissant de romancières.
Nous espérons vivement que nos lecteurs se déplaceront nombreux pour venir nous rencontrer le 22 mai. Carl Aderhold vous présentera Bernard Waller, Denis Gombert le récent inédit de Huguenin, et j’aurai personnellement le plaisir de parler de Raymond Guérin.
Crédits photo : Philippe Le Moine, CC BY SA 2.0
Par Les ensablés
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 12/03/2015
573 pages
Editions Gallimard
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Paru le 02/02/2024
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Paru le 02/02/2024
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2 Commentaires
florence mothe
17/05/2024 à 10:07
C'est une excellente idée qu'il faudrait peut-être étendre aux manuscrits impubliés des auteurs récemment décédés. J'ai connaissance d'un recueil de nouvelles de Michel Suffran . Sa veuve peine à y intéresser un éditeur, car la réponse qui lui est faite ne concerne pas la qualité de l'ouvrage qui est indéniable mais "on aura plus personne pour faire la promotion". Or, une oeuvre de cette qualité, vous le démontrez, vit d'elle-même. C'est d'ailleurs une assez bonne définition de la littérature...
Les Ensablés
21/05/2024 à 13:01
Bonjour, votre idée est très intéressante. Merci de nous l'avoir fait partager. C'est une source de réflexion qui doit être approfondie. Bien à vous.