MementoMori – Chris Vuklisevic a commencé par être le Coup de coeur des Imaginales 2024 dès février, avant de remporter le prestigieux Grand Prix de l'Imaginaire, et enfin Le Prix des Imaginales, à chaque fois pour son roman, Du thé pour les fantômes, paru dans la collection Lunes d'encre de Denoël en mai dernier. Un an après, la jeune autrice confirme sa place de pépite du genre.
Le 25/05/2024 à 15:42 par Hocine Bouhadjera
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25/05/2024 à 15:42
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« Une grande pépite de l'imaginaire, et même de la littérature », surenchérit son éditeur Pascal Godbillon. Tout commence pour Chris Vuklisevic en littérature avec le concours Folio SF en 2020, à l'occasion des 20 ans de la collection poche, qu'elle a remporté. La récompense ? Publier son premier roman, Derniers jours d'un monde oublié.
L'éditeur raconte : « Ce qui est intéressant, c'est que nous avions reçu environ 300 manuscrits, parmi lesquels cinq avaient été sélectionnés comme finalistes, dont le sien. L'annonce, prévue initialement pour juillet 2020, avait été repoussée à septembre en raison de la pandémie de Covid. Elle n'était pas au courant de ce report et pensait donc avoir perdu. Quand je l'ai contactée pour lui annoncer sa victoire, d'abord elle n'y croyait pas. Entre-temps, elle avait commencé à retravailler son texte, quand de mon côté j'avais déjà commencé à travailler sur l'ancien manuscrit. Là j’ai vu que j’avais à faire à quelqu'un qui savait ce qu’elle faisait et où elle voulait aller, parce que plein de choses avait changé, pour le mieux à chaque fois. »
Plus de trois siècles après la Grande Nuit, l'île de Sheltel, au cœur du monde, se pense comme l'unique survivante de la catastrophe. Cependant, un jour, la Main, une sorcière chargée de donner et reprendre la vie, découvre un navire approchant à l'horizon. À son bord, une pirate redoutable, étonnée de tomber sur une île au beau milieu du Désert Mouillé.
Alors que la Main perçoit ces nouveaux venus comme une menace pour ses secrets, Arthur Pozar, un commerçant impitoyable, voit en eux des clients potentiels pour accroître sa déjà immense fortune. Ainsi débute une nouvelle ère qui, conduisant à la gloire ou à la ruine, verra la sorcière, la pirate, et le vieux marchand en devenir les acteurs clés, malgré eux.
- Présentation de Derniers jours d'un monde oublié
Lorsque Chris Vuklisevic lui a proposé le manuscrit de son second roman, « bien sûr », il a adoré, mais a-t-il perçu à quel point il allait rencontrer le succès critique ? « Immédiatement. Il y a très peu de retouches à faire sur ce que Chris propose, c’est très propre. On discute de détails, mais pas plus. »
« J'étais complètement bouleversé et intimidé quand j'ai appris que j'étais la lauréate du Prix les Imaginales, ayant en tête la liste des noms qui me précèdent dans ce palmarès », nous confie Chris Vuklisevic, et de continuer : « Ce festival a toujours eu une saveur particulière pour moi, presque comme un sentiment de rentrer à la maison à chaque fois, mais son prix du roman francophone me semblait peu accessible, tout en étant assez envisageable pour piquer ma curiosité. Je suis en résumé sous le choc. »
Du thé pour les fantômes met en scène deux soeurs : Agonie, une sorcière, et Félicité, une passeuse de fantômes, toutes deux sœurs élevées par un berger. Après trente ans sans se voir, la mort soudaine de leur mère force les retrouvailles. Elles décident d'élucider le mystère planant autour de la disparition de la génitrice : « Mon roman explore la transmission générationnelle inconsciente, tous ces schémas que l'on reproduit malgré soi », nous partage Chris Vuklisevic, qui développe : « En cherchant ce "fantôme", elles déterrent des secrets de famille et confrontent les non-dits qui ont façonné leur existence. »
Dans leur recherche de la vérité, les sœurs voyagent des ruelles de Nice aux étendues arides du désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages désertés de Provence, trouvant refuge dans un salon de thé qui les protège de la pluie...
Le fantastique chez l'autrice est une toile de fond du quotidien, à l'instar du réalisme magique d'une certaine Amérique du Sud : « Mon histoire, comme mon écriture, part de vers du poète brésilien Mario Quintana ("Avant, toutes les routes passaient. / Maintenant toutes les routes arrivent. / La maison est accueillante, les livres peu nombreux. / Et je prépare moi-même le thé pour les fantômes.") Alors un objet aussi banal qu'une tasse de thé se charge de surnaturel. Chaque gorgée devient une phrase, une voix, une musique qui s'élève et me transporte, me connecte aux esprits et aux mystères qui dansent autour de moi. C'est ainsi que, dans le quotidien le plus simple, je trouve un lien avec l'enchantement. »
Un Prix du Roman Francophone des Imaginales pour une oeuvre qui s'inscrit parfaitement dans la thématique de cette année, Memento Mori (Souviens-toi que tu vas mourir) : « Dans mon roman j'ai cherché à confronter les lecteurs avec leur propre mortalité, un sujet souvent éludé car terrifiant pour beaucoup. On se divertit, dans l'acception du philosophe Pascal, pour fuir la réalité de notre finitude, cette inéluctable vérité que la mort est le seul événement certain de notre vie. Souviens-toi que tu es mortel, comment souhaites-tu mourir sont des questions centrales dans ma réflexion. »
Quant à ses fantômes, elle les utilise comme des métaphores de tout ce qui continue de nous hanter, ce qui pèse sur nous même après leur disparition.
Du thé pour les fantômes n'est d'ailleurs pas, en réalité, son dernier roman en date : une certaine Ada Vivalda a publié en janvier dernier, Porcelaine sous les ruines, chez Olympe, label de romantasy lancé par Madrigall en 2023, porté par... Pascal Godbillon son éditeur : « En plus de Lunes d'encre, j’ai en effet lancé ce label, et je savais que Chris aimait la romance. Je lui ai dit, si un jour, tu as l’idée d'écrire une romantasy, sache que dans un an je vais lancer Olympe. Et elle de me répondre, "j’ai un projet de fantasy/romance, que je voulais faire, une espèce de fan-fiction à la Chronique des Bridgerton. Je vais retravailler ça pour voir ce que ça donne". Elle a écrit ce roman, et comme c’est de la romance, elle a choisi de prendre un autre nom pour porter cette facette de son œuvre. » Donc Ada Vivalda, on l'aura compris, c'est bien Chris Vuklisevic.
Mais pourquoi ce choix ? Et surtout, pas de regrets après l'importance qu'a pris son nom quand il est inscrit sur une couverture ? : « Oui, et non, parce qu'elle a jugé que ce n'était pas le même public entre les deux types d'œuvres, que les lecteurs ne retrouveraient pas la même patte. Et en même temps, elle se disait que les plus curieux remonteraient à elle », répond l'éditeur.
Et de conclure : « Finalement, on a des cas de lectrices qui ont acheté les deux, lu les deux, et découvert seulement après que c’était la même autrice. Il y a quand même une intersection. »
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Memento mori : pour 2024, les Imaginales invoquent la vie et la mort
Paru le 03/05/2023
448 pages
Editions Denoël
21,00 €
Paru le 04/05/2023
345 pages
Editions Gallimard
9,40 €
Paru le 01/02/2024
395 pages
Editions Gallimard
23,00 €
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Will I am
25/05/2024 à 15:59
On dirait du Rousseau (Sandrine) :
- Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR.
La sorcière est vraiment devenue une figure de référence dans l'imaginaire (éco)féministe anticapitaliste.
jujube
27/05/2024 à 07:24
On dirait que la joie d'aujourd'hui est de récupérer, du dessous des moquettes, les morts et êtres de pouvoir (tels vampires, sorciers, sorcières, loups-garous, resuscités et demi, zombis, vénérables esprits assez souvent pervers, etcetera). Espère-t-on qu'ils vous feront peur, vous séduiront ou vous emporteront dans leur antre? Cet imaginaire-ci risque-t-il d'éclipser les autres? Ou c'est, tout simplement, l'imagination du siècle qui flanche?