LeLivreaMetz23 — « Le pouvoir rend fou, et le pouvoir absolu rend absolument fou. » Une citation plus célèbre que son auteur, John Emerich Dalberg-Acton, qui rend bien compte du vertige de la puissance. Le pouvoir peut s’appuyer sur des moyens financiers, le patriarcat ou une position dans l'appareil d'État. Les dictateurs, le journaliste Pierre Haski s’y est beaucoup intéressé, que ce soit en tant que correspondant en Chine, ou par son activité quotidienne d’observateur de la géopolitique mondiale.
Le 15/04/2023 à 19:12 par Hocine Bouhadjera
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15/04/2023 à 19:12
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Avec son ouvrage, Liu Xiaobo l’homme qui a défié Pékin (Hikari), le chroniqueur de France Inter rend hommage à un écrivain chinois qui se leva contre la tyrannie. Il termina ses jours en 2017, incarcéré par le pouvoir féroce dirigé par Xi Jinping.
ActuaLitté : Le thème de cette édition du Livre à Metz est « le vertige ». Quelle est votre définition de cette notion, et en quoi rend-elle compte d’une dimension du pouvoir ?
Pierre Haski : Je pense que le terme de vertige fonctionne parfaitement pour décrire la dynamique d'un pouvoir qui cherche son absolu. Vertige du jamais assez dans une escalade permanente. Une logique qui provient de ce sentiment que si la puissance n’est pas augmentée, elle diminue. Il y a aussi l’idée que l'approche du tyran est la meilleure, et qu'elle doit être défendue. Toute une spirale qui s’auto-alimente, jusqu'à dépasser la simple rationalité ou le calcul politique, pour atteindre, dans les cas les plus extrêmes, une dimension mythologique.
La dynastie des Kim de Corée du Nord illustre votre propos...
Pierre Haski : Cet OVNI sur terre qu’est la Corée du Nord est un exemple de pouvoir qui se veut absolu. J’ai réalisé pour Arte un documentaire autour de la sœur du leader nord-coréen, Kim Yo-jong. Il faut savoir que la Corée du Nord est le seul pays du monde à présenter la même famille à sa tête sur trois générations, hors monarchie. Il existe un certain nombre de cas de pouvoir transmis sur deux générations, comme au Tchad avec les Déby, et même les Bush qui ont placé père et fils aux manettes aux États-Unis, mais pas trois.
Pour ce faire, les Kim ont élaboré une véritable mythologie, où le premier à prendre le pouvoir, Kim Il-sung, a résisté de façon héroïque sur le mont Paektu face aux forces japonaises jusqu'en 1943. Kim Jong Un et Kim Yo-jong, ses petits-enfants, tirent cette légitimité du fait d’être du sang du mont Paektu, comme le père avant, qui y serait né le 16 février 1942.
Considéré comme le berceau du peuple coréen, un parallèle a été réalisé par le pouvoir entre cette naissance et celle de Tangun, fondateur légendaire de Gojoseon, le premier royaume coréen.
L’exemple Kim Yo-jong révèle un autre aspect d'une dictature : la disparition de la vision personnelle pour le parti ou l’État. Elle a commencé sur la scène internationale avec un visage souriant, incarnant un signe d’ouverture. Elle participa par exemple à l'organisation des rencontres entre son frère Kim Jong Un et Donald Trump. Aujourd’hui, elle promet l’apocalypse nucléaire aux ennemis de la Corée du Nord, à la surprise de tous ces anciens interlocuteurs sud-coréens ou occidentaux.
Quelle est la part d’adhésion des participants d’un tel régime ?
Pierre Haski : Un exemple de quand j’étais correspondant en Chine : Xi jinping, dès qu’il entrait dans une pièce, les chinois étaient électrisés par la peur de faire un faux pas. Cependant, il ne faut pas s’imaginer que cette dynamique est réservée aux régimes autoritaires. En régime présidentiel, comme en France, peu diront ce qu’ils pensent vraiment au chef de l'État. Dans les grandes entreprises, c’est la même chose.
De Mao en passant par Vladimir Poutine ou Xi Jinping, peut-on identifier des types psychologiques qui expliqueraient ces destins ?
Pierre Haski : On ne peut pas savoir à l’avance que Mao ferait tuer des millions de personnes à travers sa Révolution culturelle, sinon aurait-il été autant soutenu ? Il reste quelque chose de l’ordre du mystérieux. Il est impossible d’établir quelle est la part de transformation par la pratique du pouvoir, et les prédispositions à la tyrannie.
Donc rien n’est prévisible ?
Pierre Haski : Prenons l’exemple de Nelson Mandela : 26 ans de prison. Il y a un mythe qui se crée dans le monde pendant qu’il est incarcéré, mais en vérité, très peu le connaissent, notamment son engagement dans la lutte armée. Il sort finalement de prison et se révèle à la hauteur du mythe : un démocrate, qui impose une constitution qui respecte les droits humains, et qui ne fait qu’un seul mandat !
En comparaison, il y a son antithèse, le Zimbabwéen Robert Mugabe. Lui aussi fait 10 ans d’incarcération avant d’être porté au pouvoir. Les deux ont baigné dans la même matrice idéologique communiste, ont été tous les deux étudiants à l’Université pour noirs d’Afrique du Sud, Fort Hare. Malgré tout, quand Mandela choisit la démocratie, Robert Mugabe se tourne vers la tyrannie et la ruine.
Il y a le dictateur avant qu'il le devienne, et la même personne sur le déclin…
Pierre Haski : Paradoxalement, l’entourage de l’homme de pouvoir absolu le craint plus quand il est déclinant. Il est souvent plus paranoïaque, féroce, imprévisible que précédemment.
Le vieux Mao avait décidé, à la fin de sa vie, de changer l’interprétation traditionnelle d’un poème qui voyait dans les arbres décrits une métaphore du vieillissement. Le poème racontait à présent la destruction de ses ennemis… Moribond, la femme de Mao ne souhaitait se retrouver face à lui quand il se réveillera, car elle pouvait devenir la première fautive de cette maladie…
Comment le tyran maltraitant son entourage peut-il se maintenir au pouvoir des décennies ? Il reste finalement qu’un être humain entouré de comploteurs en puissance.
Pierre Haski : Une étape importante vers le pouvoir absolu est de faire le vide autour de soi, et de remplacer les anciens par des affiliés. Cet entourage lui sera redevable. Xi Jinping a par exemple changé toute l’administration, les cadres, afin de façonner une structure à sa botte. Suivront toujours des purges plus ou moins importantes et régulières.
À Livre à Metz, vous venez aussi présenter votre ouvrage de 2019, Liu Xiaobo l’homme qui a défié Pékin. Un travail journalistique sur un écrivain ; à propos pour un festival qui allie les deux activités.
Pierre Haski : J'ai été correspondant en Afrique du Sud, au Moyen-Orient et en Chine, et j’ai toujours respecté un précepte pour mieux appréhender ces contrées : lire la littérature du pays, et pas seulement des essais et autres biographies. Le roman permet de capter la sensibilité d’une société, ses traumatismes historiques, son indicible.
Pourquoi la figure martyr de Liu Xiaobo ?
Pierre Haski : Quand j’ai été correspondant pour Libération en Chine jusqu'en 2006, j’ai rencontré Liu Xiaobo. J’ai découvert un intellectuel plein de courage et très actif. Il est décédé en 2017 d’un cancer en prison. Il était incarcéré depuis 2008, deux ans avant de recevoir le Prix Nobel. Sa peine courait jusqu’en 2020. Le système chinois efface les individus rejetés par le pouvoir, comme les événements qui lui font du tort : essayer de taper Tian’anmen (qui débuta un 15 avril, il y a 24 ans) sur le Google chinois, vous verrez…
Je me suis alors dit qu’il fallait maintenir la mémoire de ce chef de file de toute une génération. Je suis parti à la recherche de ses compagnons de combat en 2018, exilés en Allemagne, Taiwan, Hong-Kong... Je me suis aussi appuyé sur un entretien que j’avais réalisé avec lui en 2008. C'est le portrait d’un homme debout à un moment de l’Histoire de la Chine.
Crédits photo : Myriam Levain (CC BY-SA 4.0)
DOSSIER - Le Livre à Metz 2023 : une 36e édition à donner des “Vertiges”
Paru le 10/05/2019
211 pages
Hikari Editions
19,00 €
Paru le 20/09/2018
183 pages
Eyrolles
16,90 €
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