#MontmorillonLivre23 – Le toujours jeune auteur, malgré ses 10 ans de carrière, Clément Bénech, a publié son cinquième roman cette année, Un vrai dépaysement. Un fils de la bourgeoisie bordelaise décide de quitter son cocon pour la Guyane. Sa soif d’exotisme, il l’étanchera finalement en Auvergne… Un sujet et un traitement qui entrent parfaitement en résonance avec la ligne des Rencontres de Montmorillon : littérature et territoires.
Le 08/06/2023 à 14:56 par Hocine Bouhadjera
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Pour Clément Bénech, ce séjour à Montmorillon constitue un quasi retour aux sources : « J’ai des ancêtres qui sont nés dans les parages, à Lussac-les-Châteaux », confie-t-il à ActuaLitté. Et de continuer : « C’est émouvant pour moi, car quand j’étais tout petit, je venais chez une arrière-grand-mère installée dans la Vienne. Ça faisait très longtemps que je n’étais pas revenu dans la région. »
Une histoire personnelle et l’intérêt sans cesse renouvelé de participer à tous ces festivals littéraires hexagonaux qui animent les territoires, comme on dit aujourd’hui : « Rencontrer des gens, des lecteurs parfois, créer des bons souvenirs et découvrir ou redécouvrir mon pays. » Selon l’auteur de l’Été slovène, « ils font partie du livre » : « Publier, ce n’est pas seulement faire un texte dans son coin, puis l’abandonner. Il faut l’accompagner, lui apprendre à marcher… Et après il se démerde. C’est un aspect non négligeable, surtout quand on mange bien… »
L’auteur de Lève-toi et charme a vu dans l’Auvergne la possibilité d’une liberté dans l’expression, « parce que c’est un territoire qui n’est pas encore saturé de littérature, comme peut l’être par exemple Paris, ou Bordeaux et ses 3M : Montaigne, Montesquieu, Mauriac ». Plus encore, Clément Bénech, sa taille de basketteur et son flegmatisme robuste ont toujours mis en scène des histoires d’ailleurs, souvent à l’étranger, « en tout cas pas dans ma ville de Paris ».
Le personnage principal d’Un vrai dépaysement est un idéaliste qui entend imposer une nouvelle pédagogie dans un village de la diagonale du vide : « C’est une figure qui se définit d’abord par ce qu’il a envie de quitter », résume l’écrivain, et de développer : « Il veut quitter sa famille, sa ville et un enseignement qu’il considère comme traditionnel, sclérosé. C’est un rêveur. La Guyane, on sent qu’elle est plus fantasmée qu’autre chose. Il est certainement plus heureux en ratant la Guyane qu’en étant réellement sur place. Sa chimère qu’une quelconque révélation adviendrait là-bas est sauve. »
Nul Guyane autre part que sur des cartes et dans des rêvasseries, mais l’Auvergne de Jules Vallès, Teilhard de Chardin et Alexandre Vialatte : « Cette région, en tant que territoire avec ses problèmes spécifiques, c’est quelque chose que j’ai voulu aborder dans une première version du livre », confie l’auteur, avant d’enchaîner : « Au fur et à mesure des versions se succédant, la question de l’Auvergne a pris moins d’importance. De sujet, elle est devenue seulement le théâtre du texte, un cadre. Finalement, le sujet du roman, c’est l’altérité. »
L’altérité que l’on trouve en allant chez l’autre, vers l’autre : « Ce qui m’intéresse, c’est cette ambiguïté de notre attente de dépaysement. On s’attend à voir autre chose que ce qu’on connaît chez soi. On a une exigence envers l’autre : qu’il soit autre. Sinon, ça ne sert à rien de bouger son cul. Mais cette attente est étrange, car on souhaite qu’elle soit consommable, et l’autre ne peut demeurer absolument autre dans la mesure où il reste totalement fermé. C’est le paradoxe de l’ethnologue qui, entrant dans une communauté, la transforme nécessairement. »
Ce 5e ouvrage de celui qui publia son premier roman à 21 ans est une comédie, ce qui n’empêcha qu’il naisse dans la douleur : « C’est un livre qui m’a beaucoup coûté en énergie », confie Clément Bénech. Il développe : « Je pense que j’ai écrit deux romans et demi. J’ai réalisé une première version de 300 pages Word, avec 40 photos. C’était un livre qui n’était pas abouti parce que les choix n’avaient pas été faits. Quand on veut finir quelque chose, comme un livre, c’est beaucoup de deuils. Si tu refuses de prendre les décisions nécessaires, tu rends une œuvre très composite. »
Un premier texte qui « porte toutes les idées inachevées qui l’ont conçu », avec une partie narrative et une autre réflexive : « Je n’ai pas l’impression qu’on peut mêler ces deux modes d’écriture. Cette volonté d’être un peu à l’intérieur et un peu dehors, dans la narration et dans le commentaire, l’analyse. »
Un an de travail à reprendre, sur les conseils de proches et de son éditrice chez Flammarion, puis une deuxième version, à nouveau jugée inaboutie… Le projet repart presque à zéro : 4 ou 5 mois de pause, le choc est rude, mais il y retourne, « faire le tri entre ce qui est essentiel et ce qui relève de l’accidentel ». « Quand on fait un livre, on peut venir avec une idée initiale qui est comme la pierre angulaire, et il nous semble que tout tourne autour de celle-ci. Au bout d’un an, l’ouvrage a avancé, on enlève la pierre et ça tient quand même. C’était une fausse pierre angulaire. »
Finalement, une grande partie a disparu dans les limbes, avec un changement majeur de ton, de narrateur et de préséance dans l’ordre des personnages. Un des rôles secondaires est devenu le personnage principal, et inversement. D’abord, les difficultés et transformations du village d’Auvergne constituaient le sujet central du roman : « La poste qui ferme, l’école, aussi. Le PMU qui se renouvelle en réceptionnant les colis, le maire qui fait du pain… Un contexte où tout le monde se réinvente. » Une approche quasi journalistique qui ne le sied pas, lui qui préfère parler de la réalité de manière oblique, en puisant dans l’imagination.
Ce dernier roman ne contient plus les 40 photos prévues, ce qui n’empêche pas d’affirmer que Clément Bénech est l’écrivain du dialogue entre texte et image, dès son deuxième ouvrage. Une approche qui l’a suffisamment préoccupé pour qu’il lui consacre en 2019 un essai, Une essentielle fragilité : « Une réflexion sur la vulnérabilité de la littérature face à l’omniprésence du visuel. » Sa problématique : comment s’appuyer sur cet océan d’image dans lequel on baigne au quotidien en tant que romancier ?
Chez l’auteur de 32 ans, les images sont assujetties au texte. Le langage prime et l’image « est incrustée dedans » : « Le roman que je défends, je l’ai appelé, un peu pour rire, le roman bicaméral, avec ses deux chambres. La chambre noire de la photographie et la chambre de l’écrivain. » Clément Bénech cherche à ce que le mot ne répète jamais l’information contenue dans l’image. Ne décrive jamais ce qui s’y trouve. Apport esthétique, testimonial, « dans la mesure où l’image, à notre époque, possède une valeur de preuve », et intérêt du caractère direct du visuel : « Face à l’éloignement que procure les mots à certains moments, j’aime cet aspect frontal de l’image. »
L’occasion de partager ses réflexions sur l’avenir de l’écriture : « On dit parfois qu’une image vaut mille mots, c’est une phrase qui me turlupine. Je me demande : si c’est vrai, on n’a pas besoin du langage ni des écrivains. Mais ça n’est vrai que lorsqu’on explique une chose technique. Quand on fait un plan de bataille. Le roman a par ailleurs besoin, justement, de cette technicité. » Parfois, laisser le choix au lecteur de son interprétation, parfois, ambitionner qu’il comprenne une chose précise, « comme je l’ai pensé ».
Un dialogue entre texte et image, et une écriture distinguée, spirituelle et sans looping : « Le style sec traverse le temps comme une momie incorruptible », reprend-il à Paul Valéry, et d’évoquer des plumes comme celle de Marc-Aurèle. Clément Bénech, c’est enfin de chers ainés, tous de la seconde moitié du XXe siècle : Patrick Modiano, « grande passion de mes dix-sept ans, qui m’a poursuivi ensuite longtemps », Jean-Philippe Toussaint et son approche résolument personnelle « qui a énormément compté pour moi et m’a débloqué sur beaucoup de choses ».
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Mais aussi Éric Chevillard et sa forme fragmentaire, Milan Kundera, W. G. Sebald, Emmanuelle Pireyre… « Quand j’ai su, tôt, que je voulais écrire, ils ont été comme des grands frères et sœurs. Ils m’ont autorisé à arpenter de nouveaux chemins, à prendre des voies inédites. » Toujours ce désir d’exil à l’intérieur d’un cadre.
Crédits photo : Clément Bénech
DOSSIER - La littérature à Montmorillon, sous la présidence de Franck Bouysse
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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