#Imaginales23 – Parmi les invités étrangers mis en avant cette année par le festival, quel plaisir que de découvrir le visage souriant de Brian Evenson. Avec déjà de nombreux romans à son actif, dont La Confrérie des mutilés (Le Cherche-Midi, trad. Françoise Smith), il se présente ce week-end avec deux récits post-apocalyptiques époustouflants : Immobilité (Payot et Rivage, trad. Jonathan Baillehache) et L’Antre (Quidam Éditeur, trad. Stéphane Vanderhaeghe). Petite discussion dans la Bulle du livre.
Le 27/05/2023 à 10:29 par Valentine Costantini
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Publié le :
27/05/2023 à 10:29
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ActuaLitté : Est-ce votre première fois aux Imaginales ? Si oui, comment abordez-vous ce festival ?
Brian Evenson : C’est ma première fois ici, oui. Et c’est très intéressant ! Curieux aussi, puisque certaines personnes font du cosplay par exemple. Mais ça me plaît beaucoup, c’est un festival très chouette. C’est évident en regardant les gens présents qu’ils sont enthousiastes. Il y a un réel intérêt, une passion pour la fantasy et la science-fiction. Cela me donne beaucoup d’espoir pour les futurs lecteurs.
En quoi ce festival en France diffère de ceux dans lesquels vous vous êtes rendus aux États-Unis ?
Brian Evenson : Il y a une énergie très différente, mais qui doit principalement avoir quelque chose à voir avec le genre de littérature dont on discute ici. Une seconde notion serait une certaine sophistication dans la manière dont on traite des différents sujets. Par rapport à d’autres évènements, il y a un certain professionnalisme en France. Et, d’après mon expérience, les Français aiment discuter. Les discussions sont d’ailleurs conviviales et passionnées !
Quelle est la réception de votre travail en France, et comment diffère-t-elle de celle de votre lectorat américain ?
Brian Evenson : Les gens ici ont tendance à penser que mon travail est une façon d’aborder l’écriture qui serait plus philosophique. Et que mes écrits sont très américains, ce qui est plutôt amusant d’après moi. Même s’il y a bien sûr des éléments identifiables comme faisant partie de cette culture, les lecteurs aux États-Unis pensent, eux, que mon travail est très européen. À mon sens, c’est surtout une question de style ; il y a une certaine abstraction dans ce que je fais, ou disons une qualité philosophique qui, pour une raison quelconque, ne peut pas être considérée comme américaine par nature.
Avec Immobilité, vous présentez un protagoniste particulier, qui ne peut pas se mouvoir à cause de ses jambes qui ne lui répondent plus, et qui ne peut pas non plus se reposer sur son esprit puisqu’il a perdu la mémoire. Pourquoi cette exploration précise du corps et du mental ?
Brian Evenson : Mon intérêt était d’explorer ce que signifie faire partie d’une communauté, d’un groupe, mais aussi comment exister en tant qu’individu : comment créer une connexion avec les autres ? Avec un protagoniste immobilisé, forcément, sa dépendance augmente, il a besoin des autres pour exister. Ça change aussi sa perception du monde, sa relation avec cet univers.
CHRONIQUE - Immobilité, plongée en apocalypse
Comme il ne sait rien, n’a pas tous les codes, il ne sait pas comment agir, ni quoi faire, ni comment comprendre ce qui se déroule. Il est obligé d’accepter comme la vérité tout ce qui lui est dit, sans être parfaitement capable d’un œil critique. Immobilité est un roman qui se demande comment un homme fait face à une communauté qui pourrait potentiellement le dévorer ou user de lui d’une manière ou d’une autre. Bien sûr, ce sont des questions, mais je n’ai pas forcément toutes les réponses…
L’Antre fait une connexion avec Immobilité, en explorant un univers similaire. Avez-vous d’autres projets à l’esprit ?
Brian Evenson : Eh bien, Immobilité a permis une première chose. L’Antre en est une autre facette. C’est un récit qui explore plutôt ce que quelqu’un fait lorsque la communauté à laquelle il a appartenu est intériorisée, tant et si bien qu’il ne peut pas y échapper. Elle pose alors problème, elle aussi, mais de façon différente. Comment cesser d’intérioriser cette culture, comment s’en détacher ?
Jusqu’ici, cet univers est majoritairement masculin au niveau du casting. Mais il y a la possibilité — j’ai quelques idées pour une suite, par exemple — de faire de la place à des figures féminines. Il y a des détails, des choses qui pourraient avoir lieu… Il y a clairement du potentiel pour plus.
Dans vos récentes publications, on remarque beaucoup de questionnements, d’interrogations psychologiques et métaphysiques. Quelles sont vos inspirations ? Ou vos références ?
Brian Evenson : C’est un tout. Je suis intéressé par un questionnement philosophique plus large. Par exemple, dans quelle mesure le savoir est-il une notion sur laquelle on peut se reposer ? De ce point de vue, le travail de Samuel Beckett avec Le Dépeupleur peut être considéré comme une inspiration. Mais je n’ai pas réellement une source précise qui aurait aiguillé ce raisonnement.
En réalité, Immobilité a une histoire un peu particulière. Un designer graphique s’amusait à imaginer des couvertures pour des romans qui n’avaient jamais été écrits. Il m’a contacté un jour en me demandant « Est-ce que tu as une idée d’un livre que tu n’écriras pas ? » et j’ai dit oui. Alors j’ai imaginé un petit quelque chose, et un ami a travaillé sur un synopsis.
Et en se basant sur ces éléments, cet artiste a proposé une couverture. Sauf que cette couverture a fait beaucoup d’effet, si bien que mon éditeur m’a finalement encouragé à me lancer dans l’écriture de ce roman imaginaire. Bien entendu, le rendu final a évolué en devenant quelque chose d’un peu différent du pitch d’origine…
Quels sujets souhaitez-vous explorer pour la suite de votre carrière, et pourquoi ?
Brian Evenson : Une grande partie des courtes histoires que j’écris en ce moment est maintenant plus axée sur les problèmes écologiques et l’horreur. Comme la fin potentielle de l’humanité, ce qui est un sujet plutôt pertinent en ce moment. Et c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Une grande partie de mon travail consiste à lire quelque chose, ce qui va susciter un intérêt, et je vais ensuite trouver une idée spécifique à explorer, à développer. En ayant tendance à faire partir ces idées dans des directions bien différentes.
Avant de vous lancer dans la science-fiction, vous avez écrit d’autres romans — plutôt des enquêtes policières, avec une touche d’horreur et d’humour noir… Pourquoi ce changement de direction ?
Brian Evenson : Mon travail, mon approche de la fiction consiste souvent à croiser et mélanger les genres. Donc ce que je fais dans le cadre d’une histoire policière, ou d’un roman noir, ou de science-fiction revient un peu au même : le tout est de créer une combinaison intéressante, peut-être même un peu horrifique. Mais la science-fiction a été mon premier amour en matière de genre littéraire et de lecture — j’allais forcément y revenir à un moment donné.
En plus de votre casquette d’auteur, vous traduisez du français à l’anglais : quelle est votre relation avec la langue française ?
Brian Evenson : J’ai appris le français au lycée, avec un très bon professeur, qui était aussi très exigeant. Par la suite, j’ai été missionné à Marseille et encore ailleurs en France, ce qui a vraiment amélioré ma compréhension du français. J’ai d’ailleurs énormément d’appréciation pour cette langue et pour ce pays.
Vous lisez en français, donc… et l’écriture ?
Brian Evenson : J’ai écrit une petite histoire, il y a des années de ça. Mais je ne l’ai jamais publiée. C’est une question de nuance. Je ne peux pas prétendre pouvoir écrire aussi bien en français qu’en anglais, puisque ce n’est pas ma langue maternelle !
Vous avez récemment traduit vers l’anglais les Variations Volodine (Édition La Volte). Que retenez-vous de cette expérience ?
Brian Evenson : J’ai déjà traduit cinq des œuvres d’Antoine Volodine, dont ce qu’il décrit comme des histoires pour des enfants très étranges… Ce n’est donc pas un plongeon dans l’inconnu en termes de traduction. J’adore les écrits des Variations : c’est une façon très intéressante d’explorer jusqu’où le langage peut aller.
C’était pour moi une traduction très difficile : déjà, les textes sont très intenses. Ensuite, Volodine s’appuie sur du vieux français, avec une utilisation de mots qui sont très rares — donc difficile à traduire en anglais. J’ai donc travaillé là-dessus, notamment directement avec Volodine. On échangeait beaucoup, je lui écrivais souvent avec des questions ou des tentatives et il prenait le temps de commenter ce que j’avais fait.
Il m’expliquait ce qu’il avait cherché à dire, ce qu’il avait souhaité faire, puis on trouvait des équivalences en anglais. Volodine étant très patient en prenant le temps de répondre à chaque fois. C’était un challenge, mais c’était aussi très amusant.
Et comment en êtes-vous arrivé à traduire ces textes ?
Brian Evenson : Pour les Variations Volodine, si je me souviens bien… Antoine Volodine m’a écrit un jour. Me demandant si je souhaitais m’occuper de la traduction, sans jamais m’obliger à le faire si je n’en avais pas envie. Bien entendu, j’ai dit oui. Pourtant, vu la brièveté du texte, cela m’a quand même pris beaucoup de temps. Au moins quatre fois plus que pour un texte de cette taille, en temps normal.
Crédits photo : Valentine Constantini / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Contact : valentine.costantini@gmail.com
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