Les cliffhangers s’enchaînent à un rythme endiablé, dans ce qui est un des feuilletons les plus suivis dans l’histoire de l’édition. Retoqué par la Commission européenne, le projet de Vivendi concernant Editis aurait été totalement revu. Finies la distribution de parts aux actionnaires et la cotation : désormais, le groupe serait en vente dans sa totalité.
Le 13/03/2023 à 14:25 par Nicolas Gary
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13/03/2023 à 14:25
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La Commissaire européenne et vice-présidente de la Commission l’avait indiqué dans un document dévoilé voilà quelques jours, « l’opération n’est pas compatible avec le marché intérieur et le bon fonctionnement de l’accord sur l’espace économique européen ». Pour Margrethe Vestager, l’idée d’une cession accompagnée de la distribution-cotation n’obtiendra pas l’accord de l’autorité de la concurrence européenne.
Ce montage financier n’était pas sans risque pour l’avenir du groupe éditorial, comme l’assurait une analyse du cabinet Secafi, mandaté pour accompagner les Instances représentatives du personnel. Dommage : Vivendi se félicitait dans ses résultats annuels 2022 d’avoir reçu trois offres sérieuses et solides. On parlait également « des échanges constructifs avec la Commission européenne » ainsi que de « toutes les alternatives possibles ». De quoi aboutir à ce que la CE valide le projet.
À LIRE : Vente d’Editis : les risques du projet de Vivendi
Sauf que non. BFM-TV assure que la vente est relancée, mais cette fois pour 100 % du capital — tout en excluant tous les repreneurs trop proches de l’univers Bolloré. Ainsi, seul Daniel Kretinsky resterait en lice — quid de Reworld et de Quebecor, attendu que Mondadori aurait quitté le jeu ?
Fait notable : les documents financiers qu’a communiqués Vivendi font état d’une dévaluation d’Editis, opérée à partir des offres déjà formulées. « Sur cette base, Vivendi a conclu que la valeur recouvrable d’Editis était inférieure à sa valeur comptable au 31 décembre 2022, ce qui a conduit à comptabiliser une dépréciation de l’écart d’acquisition de 300 millions d’euros », indiquait le groupe ce 8 mars.
Le groupe éditorial ne vaudrait alors plus que 500 millions €, estime BFM-TV, contre près de 900 millions € lors de l'acquisition en 2019. Les candidats toujours intéressés devraient déposer une nouvelle offre cette semaine, pour que Bruxelles dispose d’un dossier à examiner conforme aux attentes.
Si, en France, huit parlementaires avaient interpellé la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, l’Élysée avait de son côté reçu plusieurs représentants de l’interprofession. En parallèle, des députés européens emboîtent le pas à la protestation : David Cormand (Les Verts/ALE) salue « le travail effectué par l’autorité de la concurrence européenne ». Et souligne que la communication des griefs parvenue à Vivendi ne laissait planer aucun doute quant à la viabilité du modèle.
« Actuellement, la proposition de Vivendi n’est tout simplement pas compatible avec les règles de concurrence qui gouvernent le marché européen. La désinvolture de M. Vincent Bolloré et son groupe à l’égard de ces dernières — rappelons ici les allégations de gun-jumping — n’a que trop duré », attaque le parlementaire européen.
Notons que ce matin, une réunion extraordinaire du Comité Editis avait lieu pour évoquer « le projet de distribution ». Un ordre du jour qui « n’était plus d’actualité en regard des éléments diffusés dans la presse », nous assurent les IRP. « Pourquoi évoquer la cotation, quand cette perspective est rendue caduque et que Vivendi aborde maintenant une autre piste ? »
La CGT Editis estime pour sa part que c’est « le processus de cession tout entier pour lequel une consultation est urgente, et que nous exigeons ». Et de dénoncer que « le traitement jusqu’ici réservé aux salarié(e)s d’Editis et aux représentants du personnel n’est pas acceptable ». Inutile de préciser que les instances rejettent le système de cotation-distribution, depuis sa présentation.
D’autres paramètres seraient à prendre en considération, à commencer… par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Avant toute introduction en bourse, une entreprise doit déposer son projet auprès de l’AMF, qui donnera ou non son approbation. Cette dernière vérifie alors la conformité du “prospectus” — document réunissant les informations d’analyse essentielles pour les futurs investisseurs.
Dans le cas d’Editis, mêmes causes, mêmes effets. Sauf que l'AMF aurait rejeté le projet de Vivendi, nous assure-t-on. Sollicitée par ActuaLitté, l'Autorité n’a pas encore apporté de précisions, mais, sans validation, point de bourse ni de cotation possible. [Mise à jour 14/03 - 11h30 : « L’AMF ne commente pas les sociétés en particulier », nous indique l'organisme]
« Il faut, en outre, relever que la cotation de valeurs liées à l’édition présente, plus que jamais, un intérêt relatif — comme l’a souligné la Commission européenne », commente un observateur. « Le cashflow qu’attendent les investisseurs n’est pas au rendez-vous. »
Quant aux repreneurs… eh bien, les banques impliquées dans le processus s’impatienteraient légèrement. Au point qu’elles aient décidé d’approcher d’autres entreprises pour le rachat d’Editis — y compris dans le secteur du livre. Un point majeur, puisqu’en dévoilant la cession d’Editis fin juillet 2022, le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, affirmait : « Il faut que le repreneur soit un acteur industriel de long terme et qui ne bouscule pas l’équilibre concurrentiel du marché. Ce qui exclut donc les acteurs de l’édition en France. »
Un tel revirement montre combien le dossier traîne… et agace. Jusqu’à envisager des efforts financiers pour rendre la vente plus attirante. « Une telle opportunité ne manque pas d’attraits. Mais à ce niveau, chacun attend de voir quels sont les propositions et aménagements avant de prendre le moindre engagement », assure un observateur.
Reste alors ce refrain qui régulièrement revient, prêtant à Vincent Bolloré une opiniâtreté sans égale. « Si la Commission s’oppose à la reprise de Lagardère, dans les conditions actuelles, cela tient aussi aux positions exprimées en France. Le Bolloré-bashing a encore de beaux jours devant lui, sans forcément s’apercevoir que cela sert aussi les intérêts du milliardaire », analyse un proche du dossier.
Depuis quelque temps, l’idée d’un Vincent Bolloré défenseur du rayonnement culturel français au niveau européen, victime de la technocratie et des fonctionnaires de Bruxelles revient. « Nul ne contestera qu’il apprécie les rapports de force… et aime en sortir victorieux », poursuit-on.
Vivendi contrecarré par l’appareil administratif de la Commission disposerait alors d’une voie royale. « Après tout, dans une économie réglementée, un industriel a toujours à cœur de défendre aux mieux ses actifs », sourit notre interlocuteur.
À ce titre, un récent exemple apporterait de l’eau au moulin breton, s’il décidait d’incarner l’irréductible Gaulois résistant à l’envahissante Commission. En effet, en décembre dernier, la CE a passé un accord avec Amazon, soupçonné de distorsion de concurrence dans sept États de l’Union.
Contre un engagement ferme à appliquer des mesures correctives, la firme a ainsi évité une procédure judiciaire, qui aurait pu conduire à une lourde amende — 10 % du chiffre d’affaires mondial HT. Soit plus de 45 milliards $, si l’on prend l’année 2022 pour dernière référence.
« Le discours tient en deux arguments simples », nous précise un avocat en droit de la concurrence. « D’un côté, s’appuyer sur ce type d’accord, pour tenter de montrer une forme de laxisme de la Commission. De l’autre, dénoncer la différence de traitement — ou l’acharnement, si l’on aime l’emphase — que vit une entreprise française. »
Cela reviendrait donc à inverser le paradigme d’une Commission traquant les traitements préférentiels que s’octroient les GAFAM, pour mettre Bruxelles en accusation. « En sanctionnant le projet de cotation-distribution, quel est le bien que défend la CE ? Devant la Cour de l’Union, où ni la Commission ni les États n’ont de présence, Bolloré aurait une fenêtre de tir », estime un juriste.
De toute évidence, une telle action mobiliserait des ressources, du temps, mais « la victimisation contre les pratiques d’Amazon, rectifiées, mais non condamnées, cela se plaide. Et deviendrait un combat digne d’Astérix auprès de l’opinion publique ». Une sortie par le haut, qui rejoindrait les déclarations de l’intéressé devant le Sénat, en janvier 2022.
Accusé d’être un géant, Vincent Bolloré rétorquait à la Commission d’enquête : « Ce n’est pas la réalité des faits que l’on est tout puissant. Nous sommes tout petits. » Et d’ajouter :
«À côté du soft power américain, et de ses contenus qui se ressemblent, à côté des contenus asiatiques, de plus en plus présents, les contenus européens apportent une certaine fraîcheur, sans doute très intéressante à conserver pour le respect de notre passé, mais surtout à exporter. Nous souhaitions créer un champion de la culture européenne et française. »
– Vincent Bolloré, audition au Sénat, 17 janvier 2022
Panoramix accorderait-il une gourde de potion magique pour défendre ces aspirations ?
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Elu
13/03/2023 à 18:46
Toutes les organisations syndicales ont opté, et non la cgt seule qui a quitté la réunion, pour qu’aucun avis ne soit rendu en comité Editis car celui-ci n’a aucun pouvoir. Seuls les CSE des entités du groupe s’exprimeront durant cette semaine. Sur conseil du cabinet Secafi, les secrétaires des CSE déclareront ne pas être en mesure de rendre des avis sur le projet de cotation distribution et demanderont une suspension de la procédure dans l’attente du projet du repreneur et de l’ouverture d’une information consultation sur ce projet, de l’avis définitif de la DG concurrence sur le schéma de cession d’Editis. Toutes les organisations syndicales estiment que la procédure d’information en cours sur le projet de cotation distribution n’a pas lieu d’être. Toutes les organisations sans exception !!!
CGT EDITIS
13/03/2023 à 21:25
Envoyé à la Direction Editis et presse
Communiqué CGT EDITIS FILPAC-CGT UFICT-LC
Le processus d’information consultation des CSE ou CSEC sur le projet de cotation distribution d’Editis est un non-sens, dont la CGT d’Editis demande l’annulation pure et simple.
En l’absence de toute indication quant aux principales étapes du processus de cotation (disponibilité du prospectus de cotation, démarrage de la cotation sur Euronext Growth, démarrage de la cotation d’Editis), et alors que les réticences de la Commission européenne sont fortes, organiser une consultation revient à remuer du vent.
C’est le processus de cession tout entier pour lequel une consultation est urgente, et que nous exigeons. Pour les raisons déjà citées, et parce que le traitement jusqu’ici réservé aux salarié(e)s d’Editis et aux représentants du personnel n’est pas acceptable : on les a maintenus dans le brouillard quant au nom du repreneur, et on prétend organiser une consultation sans élément nouveau sur ce point essentiel.
Tout ceci est une mauvaise caricature de dialogue social.
Nous le rejetons fermement.
Le 13 mars 2023
Deszeluis
14/03/2023 à 06:46
commentaire vide , creux , inutile , ne sert en rien la cause des salariés-es !
Croire en une intelligence humaine et syndicale .
Croire ....
Minor
14/03/2023 à 09:34
Il faut bien faire voir qu’il existe ce monsieur de la cgt !!!
La rigolade
14/03/2023 à 09:16
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