Annie Ernaux reçoit le Prix Nobel de littérature 2022
L'Académie suédoise a mis fin au suspense annuel, ce jeudi 6 octobre 2022, en décernant le Prix Nobel de littérature à Annie Ernaux. L'autrice française devient la 17e femme à recevoir la prestigieuse récompense. Largement célébrée pour son œuvre à tendance autobiographique, Ernaux voit sa reconnaissance s'étendre un peu plus.
Le 06/10/2022 à 12:30 par Antoine Oury
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06/10/2022 à 12:30
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Au moment de l'annonce du Prix Nobel de Littérature 2022, Annie Ernaux n'était pas joignable, a expliqué le secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, Mats Malm, « mais elle apprendra rapidement la nouvelle », s'est-il amusé. Et pour cause : le dernier Prix Nobel de littérature français remonte à 2014, avec Patrick Modiano.
L'Académie suédoise a salué « le courage et l'acuité chirurgicale avec laquelle elle dévoile les racines profondes, les détours et les contraintes collectives de la mémoire intime ».
Née Annie Duchesne en 1940, à Lillebonne, en Seine-Maritime, Annie Ernaux a construit son œuvre autour de sa propre vie, ethnologue et sociologue d'elle-même. Son premier roman, Les Armoires vides, parait en 1974 aux éditions Gallimard. Elle restera fidèle à l'éditeur pour la quasi-totalité de sa bibliographie.
Parmi ses œuvres, citons La Place (1983), consacré à la figure paternelle, et Une femme (1984), plutôt tourné vers sa mère, mais aussi Passion simple (1992), Les Années (2008) ou encore Mémoire de fille (2016). Elle a récemment publié Le jeune homme, en mai 2022, chez Gallimard.
Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma, notamment L’Événement, par Audrey Diwan en 2021, et Passion simple, de Danielle Arbid, en 2021 également. Annie Ernaux elle-même s'est récemment tournée vers l'audiovisuel, à des fins autobiographiques évidemment, pour Les Années Super-8, coréalisé avec David Ernaux-Briot.
Mine de rien, ce Prix Nobel 2022 est assez politique, puisque l'autrice elle-même se montre très présente sur la place publique. Elle prend régulièrement position, à l'occasion de débats sociétaux. En mars dernier, au moment de l'élection présidentielle, elle avait ainsi vivement critiqué Emmanuel Macron et son refus du débat face aux autres candidats, et avait déjà vivement attaqué sa politique. Elle avait d'ailleurs soutenu Jean-Luc Mélenchon, pour cette même élection.
Récemment, Annie Ernaux a appelé à la fin de l'« acharnement » judiciaire contre des réfugiés italiens, venus en France au moment des années de plomb, en Italie, pour fuir une justice alors particulièrement sévère et partiale.
Pronostics et paris en ligne
Cette année encore, l'attente du Prix Nobel de littérature aura fait les affaires des sites de paris en ligne, qui ont intégré la récompense littéraire aux divers événements sportifs sur lesquels il est possible de miser.
Les pronostics plaçaient en tête Michel Houellebecq, d'après plusieurs sites de paris en ligne, au coude-à-coude avec Salman Rushdie, remonté dans le classement après la tentative d'assassinat dont il a été victime en août dernier. L'attribution de la récompense à ce dernier semblait toutefois peu probable : l'Académie suédoise se tient souvent à distance de l'actualité.
Venaient ensuite l'écrivain kényan Ngũgĩ wa Thiong’o, Stephen King et Annie Ernaux, puis Garielle Lutz, Pierre Michon, Anne Carson, Hélène Cixous, Jon Fosse, Margaret Atwood ou encore Haruki Murakami, invariablement cité chaque année.
Les pronostics sont rarement les bons : l'année de son sacre, Louise Glück apparaissait assez loin dans le classement, et Abdulrazak Gurnah, Prix Nobel 2021, était aux abonnés absents. Depuis le Prix Nobel 2016 remis à Bob Dylan, dont certains ne se sont toujours pas remis, l'Académie suédoise sait surprendre son monde, indéniablement... Cette fois, certains parieurs en auront sans doute pour leur argent, avec la victoire d'Annie Ernaux.
Reste toutefois l'image publique de l'institution, sévèrement écornée par un scandale impliquant le mari d'une ancienne membre de l'Académie, accusé de viol, mais aussi par une tendance, au XXe siècle, à récompenser essentiellement des hommes, blancs et de préférence occidentaux...
Une médaille, 9 millions de couronnes
Le Prix Nobel de littérature récompense chaque année un auteur ou une autrice, depuis 1901. Comme l'a écrit dans son testament le chimiste Alfred Nobel, si un lauréat est choisi, c'est qu'il « a fait la preuve d'un puissant idéal », c'est-à-dire que son œuvre a su rendre de grands services à l'humanité.
La prestigieuse récompense s'intègre au sein des Prix Nobel, qui distinguent des personnalités dans différentes catégories (physique, chimie, physiologie ou médecine et paix). Le Prix Nobel de littérature est décerné par l'Académie suédoise, une des académies royales de Suède, qui peut être comparée à l'Académie française.
La médaille d’or et le diplôme du Nobel sont accompagnés de 9 millions de couronnes suédoises (environ 865.000 €).
Le Prix Nobel de littérature a récompensé, au cours de son histoire, une majorité d'auteurs anglophones, 31 au total, mais a salué des hommes et des femmes d'une quarantaine de nationalités. La France figure toutefois en tête des pays accueillant le plus de lauréats, 15, en tout, dont le premier de l'histoire de la récompense, Sully Prudhomme, en 1901.
Annie Ernaux succède à Abdulrazak Gurnah, lauréat en 2021 qui était devenu le premier Prix Nobel de littérature de la Tanzanie. Parmi les plus célèbres Prix Nobel de Littérature, signalons notamment Rudyard Kipling (1907), Selma Lagerlöf (1909), George Bernard Shaw (1925), Thomas Mann (1929), Hermann Hesse (1946), André Gide (1947), Albert Camus (1957), Gabriel García Márquez (1982), Wole Soyinka (1986), Toni Morrison (1993) ou encore J. M. G. Le Clézio (2008).
mise à jour 16h50 :
« Annie Ernaux est l’une de nos plus grandes écrivaines, qui a su inventer au cœur de son intimité une écriture faite pour chacun, puissante et pénétrante. Elle s’inscrit dans la longue histoire de ces auteurs qui, depuis Victor Hugo ont décidé de confier leurs archives à la Bibliothèque nationale de France. La BnF est fière de voir son œuvre ainsi honorée, fière d’avoir été choisie par Annie Ernaux pour être l’écrin protecteur de ses manuscrits », indique Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France, dans un communiqué.
Annie Ernaux a fait don de ses manuscrits à la Bibliothèque nationale de France en 2011. Le fonds, conservé au département des Manuscrits, lève le voile sur l’atelier de l’écrivaine et permet de découvrir l’élaboration d’une écriture qui mêle histoire personnelle et histoire collective.
Des Armoires vides, son premier roman paru en 1974 à Mémoire de fille en 2016, 22 boîtes de notes, de fragments, d’ébauches ou de brouillons constituent l’avant texte de chaque livre : projets de titres et d’exergues, débuts plusieurs fois réécrits, passages abandonnés ou réutilisés pour un autre livre, notes relatives au projet en cours...
mise à jour 18h :
« Les femmes de ma génération ont été portées par les écrits d’Annie Ernaux. Elle nous a accompagnées, donné du courage, rendues plus fortes » déclare Régine Hatchondo, présidente du Centre national du Livre.
Dossier : Le Prix Nobel de littérature, récompense ultime du monde des lettres
Photographie : Adam Baker, CC BY 2.0
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5 Commentaires
Philippe Bouet
06/10/2022 à 17:06
C'est une IMMENSE JOIE pour elle et toutes les petites personnes, qui comme elle, sont de la race d'en bas, lisent, transmettent, étudient son oeuvre. Un prix Nobel plus que mérité, qui va étendre sa portée et, pour ma part, me réconcilier avec l'académie suédoise. Et mouche l'édito minable pondu par... Transfuge... qui la qualifiait, en mai 2022, et à défaut d'être Roth, de "Proust amputé, qui cale" (à propos du Jeune homme). V. Jaury, en bon garant de ce qui doit et surtout ne doit pas être lu, bloquait notamment sur le "re", minuscule syllabe mais préfixe crucial qui traverse pratiquement toute l'oeuvre de l'auteure lorsqu'il est question de revenir sur ce qui a été et n'est plus. Car oui, "écrire c'est retrouver", c'est à dire trouver de nouveau, autrement. Bien sûr, il débinait, au passage, les auteurs qui s'en inspirent, Karine Tuil, Edouard Louis, Laurent Binet... Du coup j'ai choisi "le camp de la culture" et "oublié" de renouveler mon abonnement au magazine (qui avait, dans la foulée, dézingué Despentes, comme si le succès de Cher connard devait éclipser toutes les questions que pose le phénomène éditorial.
Charbit Alain
07/10/2022 à 07:45
Définition :Prix Nobel de littérature, récompense ultime du monde des lettres
Le Prix Nobel de littérature récompense chaque année un auteur ou une autrice, depuis 1901. Comme l'a écrit dans son testament le chimiste Alfred Nobel, si un lauréat est choisi, c'est qu'il « a fait la preuve d'un puissant idéal », c'est-à-dire que son œuvre a su rendre de grands services à l'humanité
Pour l’attribution de ce prix Nobel à Annie Ernaux, Le secrétaire permanent de l'académie suédoise salue un langage simple et nettoyé.... Quel expression faciste pour parler art ou littérature.... Nettoyé ? Pfff
la langue n'a pas à être propre, sans conotation, sans passé. Voilà tout.
hygiéniste, woke, cancel culture.... Pureté.... No coment
En 2017 madame signe une tribune en soutien à l’ indigéniste Houria Bouteldja, connue pour ses positions racistes et homophobes
En 2020 elle dénonce la participation de miss Provence au concours miss France à cause de l’ origine italo israélienne de son père .
Reshad Nazroo
07/10/2022 à 16:40
Le Petit Larousse Illustré de 2010 lui a utilisé le terme plus exact éthiquement et politiquement correct de "dépouillé" pour parler du style d'Annie Ernaux. Quant aux idéaux véhiculés, ça s'est une autre histoire, puisque dans son livre "L'usage de la photo", co-écrit avec Marc Marie, elle cite notamment en exergue George Bataille : "L'érotisme est l'approbation de la vie jusqu'à la mort". J'ai connu fortuitement les textes de l'écrivaine - puisqu'ils fuguraient au programme de la licence de lettres de mon épouse à l'Université York de Toronto au Canada, sous la direction d'un spécialiste, le professeur Villani - mais, personnellement, je n'aime pas son style rêche et plat.
Philippe Bouet
08/10/2022 à 03:38
C'est une immense joie pour tous ceux et celles, lecteurs, libraires, bibliothécaires, universitaires... qui lisent, diffusent, étudient son œuvre, courageuse et sincère. C'est aussi une belle revanche pour tous les gens de "sa race". E. Macron se trompe (encore) car ce n'est pas la victoire de notre pays mais celle de la France d'en bas - qu'il sait si bien mépriser. Ce Nobel mouche aussi le pitoyable édito de V. Jaury qui, en mai 2022, lui reprochait, à défaut d'être Roth (mais pourquoi pas, aussi, R. Millet ?), de n'être "qu'un Proust amputé, qui cale." Il bloquait notamment sur la minuscule syllabe -re, préfixe pourtant crucial qui traverse, en filigrane, toute l'œuvre d'Annie Ernaux. En effet, écrire c'est re-sentir, re-trouver pour "sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais". Il s'en prenait, au passage, aux écrivains qui revendiquent son influence, Karine Tuil, Edouard Louis et Laurent Binet... (mais la liste est en fait beaucoup plus longue).
Magnifiquement réédités en Folio et en quarto, ses livres, qu'on ne peut réduire au "roman de la mémoire collective", restituent sans clivage une mémoire complexe, "indigne", que l'Histoire ne retient pas et dont la France d'en haut ne veut toujours pas.
Heureux ceux qui s'apprêtent à découvrir son style humble et posé, dénué de jugement, situé hors des enjeux du champ romanesque. "C'est quoi le style ? C'est un accord entre sa voix à soi la plus profonde, indicible, et la langue, les ressources de la langue." (Le vrai lieu, p.76).
Pour ma part, c'est le contraste entre cet apparant dépouillement et la complexité de ce qu'elle remue qui me fascine le plus. Mais c'est aussi sa dignité de femme, son éthique d'auteur, et le courage de ses engagements. Un Nobel mérité et sensé.
Aleph
08/10/2022 à 12:05
Il est curieux qu'il ne soit pas question de Richard Millet ici.