#Presidentielle2022 — En vue de l'élection présidentielle, ActuaLitté a fait parvenir à un maximum de candidats et candidates déclarés un questionnaire pour expliciter leur projet dans le domaine du livre et de la lecture. Yannick Jadot, candidat écologiste, disposait de loin du programme le plus détaillé en la matière, et a répondu le premier à nos questions.
Le 21/02/2022 à 10:27 par Antoine Oury
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21/02/2022 à 10:27
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ActuaLitté : Quelles sont vos propositions pour améliorer la situation sociale et les rémunérations des auteurs de l'écrit ?
Yannick Jadot : Nous devons soutenir les artistes qui n’entrent pas dans le champ de l’intermittence : scénaristes, plasticiens ou encore photographes et bien sûr, les auteurs de l’écrit.
Les artistes-auteurs, dont les créations nourrissent des domaines aussi vastes que la littérature, la musique, le cinéma ou la bande dessinée, sont insuffisamment soutenus par l’État. Certains vivent dans une grande précarité, c’est inadmissible.
Les revenus annuels perçus par les auteurs-artistes restent faibles, de l’ordre de 23.450 euros en moyenne. Le revenu moyen a baissé de 2,6 % entre 2001 et 2017 pendant que le revenu perçu par l’ensemble des artistes a augmenté de 50 %.
Je mettrai en place un revenu garanti pour les artistes-auteurs qui ont vocation à vivre de leur création, dans le prolongement des conclusions du rapport Racine. Je prévois également un processus de compagnonnage pour les artistes-auteurs émergents, pour permettre notamment de mettre en lien de jeunes auteurs de l’écrit avec des auteurs expérimentés et faciliter les débuts de carrières.
Quels seraient les principaux axes de votre politique en matière de lutte contre les infractions au droit d'auteur, notamment sur internet ?
Yannick Jadot : Je défendrai le droit d’auteur avec une attention particulière aux nouveaux usages numériques. La logique de diffusion de la culture ne doit pas se limiter à celle de la consommation, mais bien à la défense des créateurs et de leurs droits moraux et patrimoniaux. La création d’une mission « Culture & Numérique » permettra de relancer le projet d’une « taxe Google » destinée à augmenter la contribution des grands groupes internet au financement de la création de contenus en ligne.
Quelle serait votre politique en matière d'accueil des écrivains exilés car menacés dans leur pays ?
Yannick Jadot : Comme toute personne dont la vie est menacée à cause de ses idées, les écrivains menacés dans leurs pays sont éligibles au droit d’asile. Je veux prendre en compte les situations spécifiques de certaines personnes exilées telles que artistes.
À l’instar de la Maison des journalistes qui accueille les journalistes demandeurs d’asile venus du monde entier, je veux une Maison des écrivains qui donnera refuge aux auteurs exilés.
Je soutiendrai les initiatives du type le PEN club français (acronyme de Poets, Essayists, Novelists), qui crée des événements autour de la liberté d’expression et de la protection des écrivains. L’association ne vit que grâce à ses bénévoles. Son activité en France est confidentielle en comparaison du PEN américain.
Comment proposez-vous de défendre le réseau des librairies françaises face à la concurrence de la vente en ligne et à la hausse des charges dans les villes, notamment ?
Yannick Jadot : Je veux inciter les citoyens à pousser la porte des librairies plutôt que de commander sur internet. Je lutterai contre l’étalement périurbain et la multiplication des plateformes géantes de distribution. J’agirai pour dynamiser les centres des petites et moyennes villes. C’est l’une des conditions pour rendre les lieux de culture plus attractifs. Pour cela, je garantirai par la loi l’égalité d’accès aux services de proximité : santé, école, administration publique, à moins de 15 minutes.
La nouvelle loi d’initiative sénatoriale qui permet aux municipalités de soutenir directement les librairies indépendantes est une avancée. J’encouragerai les programmations innovantes — accueil d’auteurs, cycles d’interventions thématiques — ou le Groupement GIP Cafés-Cultures, né de la démarche convergente d’institutions publiques, d’organisations professionnelles, artistes et lieux de diffusions.
Librairie Lilosimages, à Angoulême (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Maintiendrez-vous le prix unique du livre ? Quelles mesures de régulation introduiriez-vous ?
Yannick Jadot : Je maintiendrai le prix unique, bien évidemment. Il permet l'égalité des citoyens devant le livre, le maintien d'un réseau dense de distribution et le soutien à la diversité de création et d’édition. Ce bien culturel ne peut être soumis aux seules exigences de rentabilité.
Une autre mesure de régulation devra concerner la livraison pour éviter que les petites librairies soient désavantagées par rapport aux grandes enseignes et à des plateformes comme Amazon.
Quels seront les moyens mobilisés pour que les bibliothèques assurent leurs missions, notamment en matière de budgets et d'effectifs ?
Yannick Jadot : Les bibliothèques publiques sont des lieux de culture incontournables. Nous avons la chance d’avoir en France une bonne couverture territoriale, grâce notamment aux collectivités locales, malgré des zones encore trop désertes.
Mais pour garantir au mieux la gratuité du prêt de livre, l’accès à la littérature à toutes et tous, la transmission du savoir et autres actions culturelles que proposent les bibliothèques, il faut des moyens. Je compte accompagner et renforcer les moyens pour les collectivités locales porteuses de projets pour les bibliothèques.
Quelles seront vos mesures en matière de lecture publique et de promotion de la lecture ?
Yannick Jadot : La lecture publique joue un rôle majeur dans la promotion du livre et de la lecture. C’est pourquoi nous devons poursuivre l’élargissement des horaires d’ouverture des bibliothèques publiques. Je suis pour l’ouverture des bibliothèques le soir et le week-end.
Nous soutiendrons les collectivités locales qui mettent en place des lieux où les citoyens peuvent déposer leurs livres et d’autres les prendre gratuitement, ainsi que des bus de lecture qui sillonnent les quartiers et les zones rurales.
Comment comptez-vous défendre la diversité éditoriale et lutter contre la concentration, au moment où une possible fusion entre Hachette et Editis laisse craindre la création d'un monopole dans l'édition ? D'une manière plus générale, quelle serait votre défense de la bibliodiversité ?
Yannick Jadot : Je suis très inquiet. De véritables conglomérats abusent d’une position dominante dans le secteur de l’édition et font peser des risques sur la diversité éditoriale. Cette possible fusion entre Hachette et Editis vient rappeler que la question de la concentration touche aussi bien les médias que l’édition. Ce phénomène n’est pas nouveau, il arrive à son paroxysme. La Commission européenne doit agir pour empêcher cette fusion. Et s’il le faut, nous légifèrerons pour créer des plafonds de concentration dans le domaine de l’édition, comme cela existe dans le secteur de la presse et des médias audiovisuels — avec un dispositif obsolète qu’il faudra aussi que le législateur revoie.
Ce qui pose avant tout problème dans l’immense concentration, c’est que les auteurs n’ont aucune capacité de négociation, leur situation ne cesse de se dégrader. Les petites maisons d’édition et leurs auteurs ont peu de chances d’émerger. Ce système encourage leur précarité.
Je souhaite lutter contre la concentration, défendre les espaces de liberté et aider les petites structures à travers le Centre national du livre qui ne dispose que d’un petit budget. Contrairement à l’audiovisuel, l’édition est un secteur peu subventionné, l'État n’y joue pas un rôle d’arbitre et d’aide. Soutenir les petites et moyennes structures est le meilleur moyen de maintenir la diversité.
Nous commencerons par amener un débat sur la question de la concentration éditoriale, entre les professionnels du secteur et le ministère. Se pose aussi la question de la diffusion et de la distribution. Pour que la diversité soit garantie, l’activité de diffusion doit être réformée, les services d’édition et de distribution séparés. Pour redonner aux libraires toute leur indépendance face aux distributeurs et un vrai rôle de prescripteurs, les remises quantitatives doivent être encadrées et des dispositifs de soutien mis en place pour l’édition indépendante.
Envisagez-vous la mise en place de certaines obligations, notamment environnementales, en matière de fabrication et de distribution des livres ?
Yannick Jadot : Quarante ans après la loi Lang, de nouveaux enjeux sont apparus dans l’édition. Une économie de l’offre s’est installée, entraînant une production de livres à grand renfort de marketing, la réduction du revenu des auteurs, l’augmentation de l’empreinte carbone due au développement des flux de transport et au retour d’invendus dans de fortes proportions, et finalement la mise au pilon de millions de livres.
Pour impulser un fonctionnement éco-responsable, plusieurs pistes sont à explorer comme la mise en place d’une écotaxe sur tous les livres imprimés et sur la mise au pilon. En parallèle, une véritable économie circulaire du livre intégrant les libraires d’occasion et solidaires doit être développée.
(illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Quelles seront vos propositions pour garantir la liberté d'expression ?
Yannick Jadot : En France, pays des Lumières et des droits culturels, exprimer son avis ou créer ne peut être l'objet de concessions. Dans l’édition c’est d’abord la diversité qui garantit la liberté d’expression. La protéger revient à remettre en question l’hyper-concentration à l'œuvre.
Je serai également vigilant face aux procès-bâillons. Il est inacceptable que de petites structures soient menacées dans leur indépendance par un débordement de procès coûteux pour diffamation. Cette pratique, lorsqu’il n’y a pas diffamation, est un détournement du droit qui fragilise la liberté d'expression.
À LIRE: les mesures concernant le livre dans le programme écologiste
Comment faciliterez-vous l'accès des citoyens aux livres ?
Yannick Jadot : La politique en faveur de la lecture et du livre ne peut pas être décorrélée d’une ambition culturelle générale qui serve l’émancipation citoyenne. D’une manière générale, le livre est une porte d’entrée vers les arts et d’autres disciplines, la lecture est surtout une pratique qui demande de prendre du temps pour soi alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de s’extraire des écrans, il y a donc urgence à agir.
La généralisation de la gratuité des bibliothèques ne saurait suffire, donner le goût de la lecture se joue dès le plus jeune âge. Il faut que nos politiques soient parfaitement articulées avec l’Éducation nationale et que les bibliothèques municipales et universitaires puissent recevoir des programmations culturelles très larges pour favoriser le brassage et la découverte des lieux dédiés à la lecture. Cela demandera de reconfigurer certains lieux, à l’instar du programme BiblioRemix, pour qu’ils soient adaptés aux usages contemporains, des tiers-lieux aux ateliers d’écriture.
Quelles sont vos propositions en matière d'enseignement de la lecture et de lutte contre l'illettrisme ?
Yannick Jadot : L'illettrisme en France est un fléau, qui prend racine dès l’enfance. Les temps périscolaires seront mis à profit dès le plus jeune âge. Des activités d’éducation populaire pourront regrouper l’enseignement et la pratique de la lecture à voix haute. L’accès des enfants à un réseau de lecture publique, et leur accompagnement physique au sein des bibliothèques, est également fondamental. Les enfants doivent pouvoir découvrir tôt que la lecture est accessible librement et qu’elle est un plaisir. C’est aussi une exigence démocratique. Les bibliothèques sont des lieux de réalisation des droits culturels. Elles accueillent tous les publics de tout âge et les familles modestes comme aisées.
Dossier - Présidentielle 2022 : les propositions des candidats pour le livre
Photographie : Yannick Jadot en août 2020 (Parti socialiste, CC BY-NC-ND 2.0)
5 Commentaires
tatou
22/02/2022 à 07:40
Voilà que Polochon concourt pour le premier prix de l'eau tiède ! Une idée nouvelle ?? non.
Flo
22/02/2022 à 11:56
Je trouve son programme culturel très intéressant mais bon c'est sur papier évidemment
SamSam
22/02/2022 à 15:07
Très vague, mis à part le revenu minimum garanti aux auteurs... Combien ? Qui le financerait ?...
Pour le reste on est entre le risible : "La Commission européenne doit agir pour empêcher cette fusion." et le voeux pieux "Je souhaite lutter...à travers le Centre national du livre". Mais y ferait quoi, le CNL, à part distribuer des aides à la tête du client, avec des "experts" cooptés aux décisions jamais alignées sur des règles concrètes et communes ?
Aucun chiffre, aucune réforme structurelle comme l'entrée de l'Etat dans le capital des gros éditeurs, l'introduction d'un pourcentage conséquent d'auteur, d'artistes, etc, dans les C.A. des grands groupes éditoriaux, audiovisuels...
Jujube
22/02/2022 à 17:29
Aux belles idées, nécessairement bel avenir?
Prions, mes frères, les dieux, demi-dieux, nymphes et autres chrysalides pour que si-ça-soit. Et n'oublions pas l'offrande réglementaire de notre foi (j'ai pas dit "foie", n'exagérons pas)!
Eulenspiegel
22/02/2022 à 22:55
Beaucoup de voeux pieux bien gentils et une vraie incongruité sortie du chapeau: revenu garanti pour les artistes-auteurs ! Qui seront les rentiers exceptionnels ? Qui les définit ? Qui paie ? Au nom de quoi ? Pourquoi cette prise en charge de ce groupe. ça peut donner des idées ! A qui le tour après ? Les agriculteurs ? Les procréatrices ? les végétariens ?
Faudrait peut-être analyser et réfléchir (collectivement, en interne et en consultant ) avant de parler, c'est pas comme si les élections arrivaient par surprise.