Framabook, la maison d'édition de l’association Framasoft, tournée vers l’élaboration et la promotion du logiciel libre, change son nom en Des Livres en Commun, et par là-même de logique éditoriale. L’équipe qui conduit cette aventure a accepté de nous présenter les principes de la nouvelle structure associative, où l’ambition principale est « de rémunérer les auteurs à leur juste valeur », en dynamitant tous les principes du sacro-saint copyright.
Le 07/03/2022 à 11:34 par Hocine Bouhadjera
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07/03/2022 à 11:34
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ActuaLitté : Pouvez-vous nous présenter Framasoft, et son groupe de travail édition, Framabook, devenu Des Livres en Communs ?
Des Livres en Communs : Comme exposé dans ses statuts, Framasoft est une association qui a pour objet l’éducation populaire aux enjeux du numérique, comme la promotion et la proposition de communs culturels originaux. À l’origine, le projet Framabook est né d'un double constat.
Premièrement, l'offre éditoriale francophone portant sur l'emploi des logiciels libres était assez pauvre et surtout peu adaptée à un large public. Les logiciels libres les plus courants disposaient certes d'une multitude de tutoriels sur le web, mais un livre constitue l'occasion de traiter en profondeur de l'usage d'un logiciel. Tout comme il permet de prendre un parti subjectif au sujet des applications possibles du logiciel en question.
Deuxièmement, même dans l'offre existante, aucun livre n'était placé sous licence libre. C'est là le pari du livre libre que nous avons essayé de tenir. Des livres peuvent aussi être placés sous licence libre. De notre point de vue, cela ne contrevient pas au droit d'auteur, mais le complète.
Comment s'est lancée la maison d’édition Framabook, devenue Des Livres en Communs ?
Des Livres en Communs : En 2006, dans cette idée de livre libre, nous avons édité un premier ouvrage portant sur la version 2 du logiciel Thunderbird, écrit par Georges Silva et Vincent Meunier. Nous avancions alors en terrain inconnu, comme pour beaucoup de projets de Framasoft d’ailleurs. Nous avons donc cherché, en première intention, à coller au modèle éditorial classique en trouvant un éditeur-imprimeur capable de mettre en catalogue des livres sous licence libre. Il fallait aussi avoir un contrat d'auteur qui justifie la rémunération et qui soit non exclusif.
Pour le dire différemment, le contrat devait laisser entière liberté à l'auteur de pouvoir publier son livre sous licence libre chez un autre éditeur. Devant cette difficulté, notre premier réflexe a été d'exporter le contrat, l'impression et la distribution chez un éditeur-imprimeur. Il s'agissait en l'occurrence des éditions In Libro Veritas.
Framasoft, par son groupe de travail édition, Framabook, ne faisait donc que solliciter les auteurs et aider à l'écriture de manière collaborative, mais cela ne nous satisfaisait pas. Nous n'avions finalement atteint qu'un seul but : la non exclusivité de l'édition et de la distribution, plus ou moins d’ailleurs, car le contrat d'édition n'était pas le nôtre.
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Le fait de ne pas avoir la main, ni sur le contrat, ni sur la distribution, impliquait de composer avec un éditeur tiers tout en assumant la responsabilité, au moins morale, du contenu et du travail de l'auteur. Or Framasoft avait en son sein des personnes capables de mener à bien une tâche éditoriale et, sur le marché, apparaissaient des plateformes permettant l'impression à la demande. Nous avons donc entrepris de créer notre propre maison d'édition complètement intégrée à Framasoft et avec un niveau d'exigence beaucoup plus élevé.
Une ambition d’éditer des manuels, des romans, des bandes dessinées et même des essais, le tout en créant un vrai contrat non exclusif, négocié entre l'auteur et l'éditeur, et non plus par l'entremise d'un tiers. Cela permettait à l'auteur de pouvoir être rémunéré sur la base des ventes de livres papier et à l'éditeur, en l'occurrence nous, de diffuser les livres, tant sur une plateforme lucrative, Lulu et même d'Amazon, que sur une plateforme associative sans but lucratif comme Enventelibre.org. Le tout en essayant de maîtriser le stock.
Quel bilan faites-vous de l’aventure Framabook ?
Des Livres en Communs : Dans l'ensemble, jusqu'en 2020, ce sont pas moins d'une trentaine d'ouvrages qui ont ainsi été édités. Pour les contrats d'auteur, on a poussé jusqu'à 15 % la rémunération au prorata de la vente des livres papier. Pour les versions numériques, nous avons toujours fait le pari de les laisser en accès libre. Durant les dernières années, nous avons aussi tâché d'encourager les auteurs qui le voulaient à ouvrir des comptes sur des plateformes de don, de manière à encourager les lecteurs à donner en échange d'un contenu qu'ils n'étaient pas obligés d'acheter.
Le projet Framabook a néanmoins connu de multiples micro-variations au fil du temps. D'abord : pourquoi n'avons nous pas eu de pillage organisé de nos ouvrages par d'autres canaux de distribution ? Bien sûr on ne pouvait que difficilement lutter contre des personnes qui s'emparaient des versions PDF pour les publier à leur compte sur Amazon. Cela s'est très peu produit pour la simple raison que, même non exclusif, il existe un contrat avec l'auteur qui reste obligatoire (article L132-1 du CPI). En vertu de ce contrat, la liberté est laissée à l'auteur d'aller vers d'autres maisons d'édition, dans notre optique de produire des communs culturels autant que de promouvoir un type de modèle économique.
Tout au long de ces années, nous avons surtout appris à être éditeur. Et là... c'est un métier qui ne s'improvise pas. Même si nous n'avons pas à rougir de la qualité finale des ouvrages, elle reste néanmoins assez inégale. Cela tient aussi au fait que nous avons perpétuellement cherché à créer une chaîne éditoriale en essayant de multiples outils et formats (toujours libres, bien sûr), LaTeX, markdown, LibreOffice, chaîne automatisée pour créer des PDF, etc. Un très grand nombre de solutions ont été explorées... pour finalement décider que c'est en fonction du contenu et de la liberté de l'auteur qu'il faut savoir adapter la chaîne. Tous ces essais et erreurs, nous pouvions les faire parce que nous sommes des bénévoles.
Vous expliquez que le passage de Framabook à Des Livres en Communs implique une refonte de la chaîne éditoriale. Que voulez-vous dire ?
Des Livres en Communs : D’abord, nous procéderons désormais très majoritairement à des appels à projets. Il n’est pas totalement exclu que nous continuions à publier d’autres ouvrages, mais l’appel à projets sera le fonctionnement normal de la maison d’édition. Cela nous permettra de rechercher des personnes travaillant les sujets qui nous intéressent tout particulièrement et sur lesquels nous avons envie de nourrir la réflexion commune.
Humainement, nous allons continuer à fonctionner comme auparavant, c'est-à-dire qu’un éditeur ou une éditrice sera l’interlocuteur privilégié de chaque personne, ou collectif, dont le projet sera retenu afin de faciliter les échanges. La seule chose qui changera sera que la décision finale pour retenir un projet sera prise au niveau du comité directeur de l’association, car chaque choix engagera à chaque fois un montant assez conséquent.
Enfin, techniquement, nous avons bâti ces derniers mois un système de publication qui se base uniquement sur des outils libres : cela devrait nous permettre de générer tous les fichiers dont nous avons besoin de façon assez automatisée. Là encore, il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais c’est un exemple qui peut donner des idées à d’autres et leur permettre de créer l’outil qui conviendra à leurs usages. Une manière de maîtriser la chaîne de l’édition par une adaptation à leurs besoins propres, tout en garantissant un contrôle de toutes ces étapes.
À travers Des Livres en Communs, vous souhaitez améliorer la rémunération des auteurs. Vous trouvez donc que la rémunération qui se pratique dans les maisons d’édition est injuste ?
Des Livres en Communs : La question ne se pose pas forcément en termes de justice ou d’injustice. Nous relevons juste le fait que le système actuel exclut de plus en plus les auteurs et autrices des revenus liés aux livres publiés à partir de leur travail. C’est une situation connue et documentée : l’universitaire Olivia Guillon en a fait une excellente synthèse voilà déjà deux ans lors des états généraux du livre :
Constatant que le droit d’auteur ne leur octroie plus qu’une part moins que congrue, ajouté au fait que leur statut n’est aucunement reconnu, certains éditeurs estimant même que l’activité d’écrivain n’avait nullement vocation à être professionnelle, nous avons souhaité proposer un projet qui nous semble plus en adéquation avec nos valeurs. Nous mettons en évidence un véritable travail et souhaitons donc le faire reconnaître en tant que tel. Rappelons que c’est là une idée fort ancienne, vu que Jean Zay avait proposé en son temps une loi qui allait en ce sens, et donc à l’encontre du droit d’auteur tel qu’il fonctionne aujourd’hui.
En outre, le fait de placer son travail sous licence libre permet à l’auteur ou l’autrice de conserver l’intégralité de ses droits pour des projets annexes ou collatéraux à son œuvre pour peu que l’envie ou les opportunités le permettent. Traductions, adaptations ou déclinaisons lui deviennent possibles à loisir, offrant autant de sources de revenus possibles.
Avec Des Livres en Communs, Framasoft souhaite rémunérer directement par une allocation forfaitaire les auteurs, avant toute vente. Quel modèle économique employez-vous pour soutenir cette alternative au modèle standard de l’édition basé sur le pourcentage ?
Des Livres en Communs : En tant qu’association loi 1901, nous avons décidé d’attribuer une part de notre budget annuel au financement de cette activité. Une somme qui sera actualisée chaque année en fonction du montant du budget global.
Sur la construction d’un modèle économique alternatif à ce qui existe, Des Livres en Commun, comme pour toutes les initiatives liées à Framasoft, est avant tout une expérimentation. Nous ne pensons pas révolutionner le monde de l’édition avec nos bien modestes moyens. Il s’agit avant tout de faire prendre conscience qu’il n’y a pas fatalité à se résoudre à l’existant, souvent peu satisfaisant pour les auteurs et autrices, mais beaucoup plus pour les libraires et pas mal d’éditeurs et d’éditrices. La tendance de plus en plus accrue à l’industrialisation du monde de l’édition ne risque pas d’arranger les choses.
Nous espérons donc montrer qu’il y a d’autres façons de penser l’édition, le livre et la culture. Nous ne cherchons pas à faire école ou à démontrer que nous avons la panacée. Nous espérons simplement alimenter une réflexion et proposer un dialogue à celles et ceux qui sont, comme nous, en quête d’alternatives crédibles et viables.
Pour Des Livres en Communs, quelle sera la ligne éditoriale ?
Des Livres en Communs : Pour l'instant nous ne sommes pas au terme du processus de sélection. Et la ligne éditoriale n’est pas précise, justement. Comme c'est le cas depuis le début de Framabook, elle va progressivement se consolider. Par contre, nos principes, précédemment exposés, ne changent pas.
Proposerez-vous, chez Des Livres en Communs, avant tout des livres physiques, numériques, ou les deux ? Quel sera votre système de distribution ?
Des Livres en Communs : Nous allons nous consacrer à la réalisation d’un format numérique de qualité, et à une mise en avant des sources plus nettes, afin d’en faciliter la réutilisation. Nous avons décidé d’arrêter de produire une version papier nous-mêmes car nous n’avons pas les moyens humains et techniques de le faire d’une façon efficace. Les outils que nous utilisons permettront néanmoins de facilement arriver à un PDF imprimable de qualité correcte, à charge pour la personne souhaitant s’y atteler d’améliorer le résultat final. L’idée sera de permettre plus largement la déclinaison sur différents supports.
Dans cette proposition, le versement d'un paiement intéressé sur les ventes est-il conservé ?
Des Livres en Communs : Non, pas de notre part, car nous ne ferons pas de ventes. Le livre sera en téléchargement libre sur notre site. En revanche, cela n'exclut pas pour l’auteur ou l’autrice une possible rémunération de ce type avec d’autres partenaires que Des Livres en Communs.
Vous souhaitez également placer le résultat du travail éditorial sous une licence dite de copyleft. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ? Quel intérêt ?
Des Livres en Communs : Nous avons depuis toujours mis en avant la culture dite libre, par l’usage de licences de ce type, et nous avons souhaité pousser plus loin en allant plus nettement sur le terrain des communs. Il s’agit de créer un espace où les biens culturels sont protégés contre les enclosures, comme les copyrights. En d’autres termes, cela empêche de considérer ces biens culturels comme des biens privés dont l’accès serait restreint. Ils appartiennent à toutes et tous, pour peu qu’on ait le désir de s’en emparer ou de s’y intéresser. C’est le rapport spontané des enfants, qui s’approprient leurs découvertes dans leurs jeux, dans leurs récits, dans leurs dessins… Et qui n’imaginent pas que se déguiser en leur héros favori pour un événement public tombe sous le coup de la loi pour contrefaçon.
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C’est donc l’usage qui est placé au cœur du rapport à la culture et non plus la propriété. Comme la culture façonne notre rapport au monde, aux autres, nous pensons crucial de défendre une approche autre qu’industrielle et capitaliste à celle-ci. On peut y voir une vision divergente de celle que Vincent Bolloré défendait devant le Sénat voilà quelques semaines, mais nous croyons à l’importance et la valeur de la diversité.
Crédits : openDemocracy (CC BY-SA 2.0)
2 Commentaires
SamSam
08/03/2022 à 19:47
L'idée en soi est intéressante. La culture ouverte dans sa diffusion et mieux rémunérée dans sa création. Mais des choses obscures.
Si j'ai bien compris, la version numérique des opus n'est pas rémunérée, à charge pour l'auteur de se débrouiller ailleurs, autrement pour gagner quelques sous. Mais les versions papier le sont. Pourquoi pas les deux, rémunérées ?
Je lis, aussi : "le fait de placer son travail sous licence libre permet à l’auteur ou l’autrice de conserver l’intégralité de ses droits pour des projets annexes ou collatéraux à son œuvre pour peu que l’envie ou les opportunités le permettent". C'est une bonne idée a priori, qui remet l'auteur en possession de ses droits "confisqués" par l'éditeur ordinaire. Mais pourquoi je sens comme une dérive possible vers une ubérisation de l'auteur...?
Bref, c'est une avancée, dans l'esprit, mais à améliorer en pratique.
Les responsables reconnaissent qu'ils n'ont pas la science infuse et surtout qu'ils sont ouverts à modifications. Amender, développer avec les auteurs, ce serait bien, carrément l'inverse de ce qui se passe aujourd'hui, où l'auteur est cantonné à un rôle d'ouvrier sans droits ou presque et avec rémunération dérisoire. Selon les sains principes du Medef qui considère le travail et le statut comme subordonnés au profit et à la verticalité associée au fait d'être patron ou actionnaire.
Yann Kervran
10/03/2022 à 13:42
Bonjour,
rien de ce qui sera produit par Des Livres en Communs ne sera vendu, donc aucune rémunération ne serait possible. Il n’y aura pas d’édition papier prise en charge par notre structure associative car nous ne savons pas le faire dans de bonnes conditions. Nous pourrons accompagner auteurs et autrices à formaliser un pdf correct, mais rien au-delà. Et nous préférons rémunérer en amont un travail, à mesure de nos moyens.
Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous évoquez par le terme d’uberisation des auteurs et autrices, car c’est justement l’idée de ne plus les contraindre à avoir un seul interlocuteur qui a la maîtrise sur leurs revenus.
Sur l’aspect pratique à améliorer, je suis bien d’accord, ce serait vraiment passionnant que plus d’alternatives soient proposées. Notre proposition est très certainement perfectible et nous échangerons avec plaisir avec toutes celles et tous ceux qui souhaiteraient travailler sur des projets similaires.
Yann, pour Des Livres en Communs