EXCLUSIF – Curtis Brown est l’une des plus anciennes agences littéraires britanniques, fondée en 1899 par Albert Curtis Brown. Depuis, la structure a amplement dépassé le cadre de la représentation d’auteurs, pour déborder sur d’autres secteurs culturels. Francophones toutes deux, Roxane Edouard et Claire Nozieres, vont lancer un pont entre la perfide Albion et l’Hexagone.
Curtis Brown développe donc son activité en France, avec un savoir-faire et une expertise reconnus : l’entreprise a développé une activité globale, depuis les ateliers d’écriture en passant par la maison de production. « Nous sommes en mesure de proposer une large diversité de services aux auteurs que nous représentons, parce que le groupe offre lui-même un ensemble de synergies dans les différentes branches », indique Roxane Edouard.
Avec des romanciers comme Margaret Atwood, John Le Carre, Tracy Chevalier ou Jojo Moyes, pour évoquer les plus célèbres, le groupe revendique une originalité tant de son catalogue que de son action. « Nous investissons tous les champs : le département audiovisuel permet ce large spectre : nous avons des acteurs, des metteurs en scène, pour le cinéma, le théâtre, les comédies musicales », poursuit Claire Noziere. De quoi ouvrir plus facilement les portes dans la valorisation des œuvres.
Au niveau international, l’agence travaille avec une agence américaine seulement, ICM, qui représente un catalogue prestigieux d’auteurs où se retrouvent Toni Morrison, Cormac McCarthy ou encore un certain Haruki Murakami. « L’importance du catalogue et les noms illustres ouvrent des portes : tout cela a façonné notre réseau de contacts sur la scène internationale. » Et pour prolonger la liste, évoquons également Maria Semple, Ben Lerner, Hanya Yanagihara.
À l’exception de l’Asie et de la Russie, où des coagents interviennent, le groupe a des relations directes avec tous les territoires. « Murakami est traduit dans 56 pays, et même parfois très loin des langues traditionnelles. De même, notre collègue Kate Cooper, qui représente les ayants droit de Winnie l’ourson, a eu à traiter pour une cession en Scandinavie, dans une langue très, très autochtone. »
Parce qu’évidemment, aux auteurs contemporains s’ajoutent les héritiers : c’est le cas pour Dr Seuss, par exemple, ou E. B. White (Le petite monde de Charlotte, trad. Catherine Chaine, L’école des loisirs ou Stuart Little).
« Nos forces sont là : une représentation d’auteurs très divers, cette ouverture internationale et la réelle expertise des différents territoires », reprend Claire Nozieres. « Dans l’accompagnement, nous avons aussi appris la flexibilité », insiste Roxane Edouard. « Quand un auteur veut changer de segment, passer du roman au graphic novel, ou de la jeunesse au polar — oui, oui, ces grands écarts existent ! –, nous savons les accompagner. »
Pouvoir frapper à la porte du collègue en charge d’un acteur, qui serait idéal pour l’adaptation d’un roman dont les droits viennent d’être achetés… devient chose courante. « Pas à ce point, mais c’est arrivé », sourit Roxane Edouard. « La complémentarité, c’est aujourd’hui l’ADN de l’agence. » Que circulent les informations, le plus fluidement possible, et dans plusieurs langues aide…
Pourquoi donc s’intéresser au marché français ? « D’abord, parce que nous sommes francophones et francophiles », répondent-elles en chœur. Et pour les croissants, excellente occasion de venir sur Paris…
« Ensuite, parce que nous avons suivi les combats menés, que ce soit par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse ou la Ligue des auteurs professionnels. En réalité, les auteurs attendent et demandent d’être considérés comme des professionnels », insiste Roxane Edouard. « Et cela se reflète dans la volonté d’être représentés, pour se consacrer à l’écriture, et ne pas avoir à gérer les enjeux contractuels. En fait, le moment est propice. »
Cela, et une continuité, ajoute Claire Nozieres : « Nous travaillons déjà avec des auteurs français. Au moment où nous finalisions notre business plan, sortait le rapport Racine. Difficile de ne pas y voir un alignement des planètes. » Et d’apporter sur le territoire une autre manière de penser l’édition.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : un agent n’a pas une baguette magique. Le volet social, les échanges interprofessionnels ne seront pas résolus par l’intervention d’un représentant. « Nous aimerions, mais nous n’avons pas réponse à tout. Avec le développement des agences littéraires françaises, de nombreux points ont cependant pu avancer. Et le simple fait de ne plus avoir à “vendre” l’utilité d’un agent à un auteur montre qu’une grande partie de la pédagogie est acquise », reprend-elle.
« Je perçois aussi une évolution, auprès des éditeurs de la jeune génération : certains ont commencé en littérature étrangère, et sont coutumiers du rôle de l’agent. Ils expriment moins d’appréhension que l’on n’en rencontrait voilà quelques années, à ce qu’un auteur français ait un agent », s’amuse Roxane Edouard. Et d’ajouter : « D’ailleurs, même de grandes maisons qui sont, en apparence, réticentes à l’agent pour un auteur français ont franchi le pas. » Simplement, on ne l'ébruite pas…
« Les agents font moins peur que par le passé, même s’il reste un travail d’explications et de présentation pour rassurer les maisons. » Démystifier le métier, qu’on croirait connu, et décrocher le téléphone toutes les fois où c’est nécessaire. « Je ne compte plus les interventions pour régler un différend qui s’avançait entre un auteur et son éditeur… l’agent, c’est aussi cela. »
Avec une évolution des mentalités, notent les deux agentes, l’Hexagone devient propice. Et les spécificités du marché français restent alléchantes pour le monde anglo-saxon — ne serait-ce que pour le prix unique du livre, le maillage de librairies indépendantes… ou encore le prestige que conserve le livre auprès du public. Tout ce qui peut marquer une différence.
Au niveau éditorial, en revanche, les différences s’amenuisent : des grands groupes, des éditeurs indépendants et des dynamiques semblables à ce que l’on observe en Italie ou en Allemagne.
Alors, an english agency in Paris, à l’image de l’englishmanin New York ? « Nous avons une capacité transversale, tant sur le territoire de l’auteur qu’au niveau international », note Roxane Edouard. Donc une facilité à traiter avec des maisons anglo-saxonnes, le Graal de la traduction, tant il est difficile de pénétrer les marchés du Commonwealth.
Concrètement, signer avec Curtis Brown, signifier de laisser 15 % de ses avances et droits d’auteurs pour tout ce qui touche aux transactions effectuées sur le territoire français. Y compris le livre audio. En revanche, pour les droits étrangers et l’audiovisuel — même en France — cela passe à 20 %. « J’ai une autrice qui a une fois expliqué mon rôle de la plus simple des manières : “Roxane prend une commission sur de l’argent que je ne gagnerais pas si elle n’était pas là.” C’est limpide : notre métier implique de créer des opportunités. »
A propos du contrat de représentation, il est passé entre l’agence et l’auteur, pour les livres, travaux à venir de l’auteur. Il peut être résilié à tout moment avec préavis, comme tout contrat. Simple.
Ensuite, les textes recherchés seront avant tout « des voix. Originales. Nous voulons une diversité, des paroles féministes et féminines, mais avant tout des voix qui ouvrent de nouvelles perspectives », assurent-elles. Dans les genres, pas de discrimination, de la non-fiction au polar, qu’importe, tant « que nous créons des relations sur la durée. À ce titre, les auteurs débutants autant que ceux confirmés nous intéressent ».
Et si la concurrence n’existe pas encore avec d’autres structures anglo-saxonnes, les deux agentes savourent surtout l’enthousiasme de leurs confrères. « À tous les niveaux, et notamment chez les scouts anglaises qui œuvrent au niveau international », insiste Claire Nozieres.
« Ce que je retiens de mes années chez Curtis Brown, c’est qu’un auteur a besoin de confiance, autant qu’un agent a besoin de pouvoir faire confiance. Quand on prend en charge les négociations de droits, les commissions et tout le reste, alors on intervient directement sur l’aspect économique, qui est fondamental. Mais notre rôle, depuis bien longtemps, ne se réduit plus à cela : nous devenons conseillers, impresarios, spécialistes de communication, attachés de presse… »
Une vision globale, pour un métier qui évolue au niveau local, au sein d’une industrie qui a dépassé les frontières depuis belle lurette. « Fluidifier les discussions entre les auteurs et leurs interlocuteurs, voilà notre vocation. Parce que tout le monde finit par y trouver son compte — au point que des éditeurs français m’ont même présenté des auteurs », sourit Roxane Edouard.
illustration principale : voltamax CC 0
2 Commentaires
Illustrateurs et Agence
08/10/2020 à 09:50
15 et 20 % ??
Nous travaillons avec un illustrateur anglais qui a signé avec une agence.
Celle-ci lui demande 35 Þs contrats alors que les avances proposées sont dans une fourchette (très) basse par rapport à la France. J'imaginais pourtant que l'Angleterre était le paradis des illustrateurs pour la jeunesse… De plus, sont agent le pousse à plagier ses propres albums d'un éditeur à l'autre. Et pour couronner le tout, ses relevés annuels sont dérisoires. Alors oui, son agence lui apporte régulièrement du travail, mais sur le long terme, c'est une catastrophe, un esclavage d'une pige à l'autre.
Aurely Gregoire
08/10/2020 à 12:34
Bonjour,
Merci pour cet article
Cordialement
Aurely Gregoire