ENTRETIEN – Tout avait débuté avec une visite officielle de François Hollande en Égypte, avant d’aboutir à un projet de promotion de la culture par le livre. Depuis des années, l’Association internationale des libraires francophones porte la parole de ces établissements à travers le monde. Agnès Debiage revient avec nous sur l’ensemble de ce réseau de librairies, disséminées à travers le monde.
Le 12/12/2016 à 17:11 par Nicolas Gary
Publié le :
12/12/2016 à 17:11
Crédit Agnès Debiage
Agnès Debiage : Je suis l’un des membres fondateurs de l’Association internationale des libraires francophones (AILF), créée en 2002. Au sein du bureau, j’assume des responsabilités depuis la création de l’association. À ce titre, le dossier d’aide aux libraires ainsi que le partenariat avec l’Institut français sont au cœur de nos préoccupations. Et de nos investissements depuis longtemps.
Au gré des changements d’interlocuteurs, que ce soit au ministère de la Culture ou celui des Affaires étrangères, nous n’avons pas connu beaucoup de mouvements. Cela avançait, reculait... Dans le cadre de la visite au Caire de François Hollande, en avril dernier, j’ai alors sollicité les services de l’ambassade de France, pour accueillir la ministre de la Culture. Ma librairie exclusivement francophone étant située en bordure de la place Tahrir, cette visite avait une dimension très symbolique pour évoquer la fragilité des librairies francophones dans le monde et leurs difficultés à résister aux crises politiques, économiques, sociales ou aux catastrophes naturelles. Ainsi, le 18 avril dernier, les libraires francophones du Caire sont venus à Oum El Dounia, pour rencontrer Audrey Azoulay.
J’ai été particulièrement touchée par sa bonne connaissance du dossier, son intérêt et les questions qu’elle nous a posées. Elle m’a expliqué être très consciente de la situation et de l’importance des libraires francophones à l’étranger, et elle-même connaissant bien le cas du Maroc. Pour moi, c’était un moment fort pour parler des actions de l’AILF et de tout le travail de terrain que nous menons.
Mais l’on ne sait jamais qu’espérer suite à une telle rencontre. Pourtant, les conseillères de la ministre et la nomination de Jean-Jacques Garnier sur ce dossier, ont permis de faire avancer efficacement les échanges. Et tout cela a abouti aux annonces faites par Audrey Azoulay, lors du Salon du livre de Beyrouth – et dans le même temps, le ministère des Affaires étrangères a encouragé les postes de son réseau à l’étranger à collaborer avec les librairies francophones.
Agnès Debiage : Une seule de nos demandes n’a pas encore abouti et elle est pourtant essentielle : l’aide à la trésorerie pour les librairies francophones. Une mesure qui existe pour les librairies en France, mais n’est pas étendue aux librairies francophones à l’étranger. Une problématique que nous connaissons bien en Égypte, après une révolution, des suites mouvementées et aujourd’hui une dévaluation de la monnaie nationale. Dès qu’un libraire dans le monde a des problèmes de trésorerie, il réduit ses commandes, voire les annule. Par conséquent, son choix en librairie s’appauvrit et les clients s’en détournent, ce qui entraîne une perte de chiffre d’affaires. C’est un cercle infernal auquel il faut remédier pour permettre au réseau des librairies francophones de se maintenir malgré les nombreuses crises un peu partout.
Cette situation est souvent liée à des problèmes intrinsèques au pays, et il faudrait que cette demande ne tombe pas dans l’oubli et continue à être étudiée par les services du ministère de la Culture. Une solution adaptée doit bien être possible. Les membres de l’AILF nous font régulièrement remonter leurs problématiques, leurs besoins, et toutes les demandes formulées auprès de la ministre étaient basées sur des réalités concrètes et souvent communes à l’ensemble de nos adhérents.
Agnès Debiage : L’une des principales, rencontrée partout, est le prix du livre français à l’étranger. Il est déjà relativement cher en France, mais une fois exporté, il peut augmenter de 10 à 40 %. En Égypte, on est à + 30 % du prix français – ce qui est énorme par rapport aux revenus dans le pays. Et dans les zones anglophones, une concurrence forte intervient, car les livres en anglais sont souvent bien moins chers que les ouvrages en français ; les éditeurs anglophones vendant directement aux libraires avec des remises conséquentes...
En revanche, il y aurait certainement un effort pédagogique à développer auprès des éditeurs locaux, concernant les équilibres économiques de la chaîne du livre et la reconnaissance du rôle du libraire, qui est bien plus qu’un vendeur de livres. En effet, trop souvent les libraires n’ont pas assez d’informations sur la production locale, ces éditeurs font des lancements médiatisés de livres sans même que ceux-ci ne soient en librairie, quant aux remises accordées aux libraires, elles ne sont pas suffisantes pour les motiver à valoriser les titres publiés localement.
D’autres facteurs interviennent : l’instabilité politique, économique, ou les catastrophes naturelles – je pense à Haïti, et au tremblement de terre qui avait frappé cette île. Ce sont des problèmes réels qui affectent énormément les libraires dans le monde.
Notre réseau est très hétéroclite, c’est ce qui en fait sa richesse. Nous avons de grandes libraires comme de toutes petites qui adhèrent à l’AILF, dans des zones très francophones, ou dans des pays ne faisant pas partie de la Francophonie, des régions très développées technologiquement où la vente en ligne commence à poser des problèmes de concurrence et d’autres où nous en sommes très loin. Sans aller chercher au bout du monde, les librairies francophones dans certains pays européens doivent parfois attendre plus de 3 semaines pour recevoir leurs commandes ; où sont soumis à des tabelles importantes (comme en Suisse) dans un pays pourtant limitrophe de la France.
Agnès Debiage : Il faut déjà parler de ce qui fonctionne : le ministère de la Culture subventionne le transport des livres à l’étranger, à la hauteur de 25 % sur certaines destinations. Les 75 % restants sont à la charge du libraire, qui achète au distributeur avec la remise proposée.
Ensuite, chacun essaie de faire de son mieux pour importer des livres français... mais il faudrait, dans certains pays, intervenir directement au niveau des États. Dans les faits, un libraire va payer les frais de transport des livres du distributeur jusqu’à l’aéroport de destination, mais une fois les ouvrages arrivés, vont s’ajouter les frais de dédouanement, les taxes douanières, ainsi que la TVA. Et dans certains pays, les titres devront passer devant un organisme de censure, ce qui entraîne un nouveau surcoût. Alléger toutes ces procédures apporterait déjà une grande respiration.
Librarie Oum El Doumia
Agnès Debiage : Sincèrement, je suis sceptique. D’abord, parce que le coût de ces machines reste très onéreux. Sans oublier d’ailleurs que les taxes douanières sur l’importation des appareils s’appliqueraient également et seraient de surcroît bien supérieures à celles relatives aux livres.
Et quels catalogues seraient disponibles ? Pour l’heure, le choix est restreint, et, si l’on a à cœur de proposer une offre diversifiée, elle ne doit pas être concentrée uniquement sur certains distributeurs. Avec la POD, il y aurait nécessairement des éditeurs absents, donc appauvrissement du choix pour le lecteur au final.. En soi, cette idée qui n’est pas inintéressante, mais en l’état actuel, elle est trop limitative et inabordable pour les libraires.
Agnès Debiage : Nos adhérents abordent souvent ce sujet, et les remontées d’informations ne manquent pas. Sur les marchés francophones, les titres piratés sont généralement en lien avec les ouvrages scolaires. Dans certains pays, un cahier d’exercices ou un manuel scolaire qui est au programme obligatoire générera une demande importante et les pirates pourront aisément écouler des exemplaires contrefaits sur le marché parallèle. On peut aussi retrouver un marché noir pour les dictionnaires. Mais c’est plus rare pour la littérature.
Agnès Debiage : Au sein de l’AILF, nous avons une personne référente sur ce dossier qui est Philippe Goffe, libraire en Belgique et président de notre association. À l’étranger, l’offre de livres numériques français via les librairies est extrêmement limitée. On sensibilise depuis longtemps les libraires au développement de cette offre, cependant les éditeurs français ne sont pas tous, à ce jour, disposés à passer des contrats d’extraterritorialité.
Jacques Bernard, notre administrateur libraire en Australie, nous a alertés à plusieurs reprises, car sa clientèle, très à l’aise avec ce format, est demandeuse de livres numériques. Lui se bat pour construire une offre attractive, parce que les habitudes de consommation sont installées. Mais quelle réponse, en termes de catalogues numériques et de contrats, les éditeurs français peuvent-ils apporter des réponses immédiates à ces demandes de libraires des quatre coins du monde, qui veulent développer une offre numérique qui passerait par leur propre site web ?
De même, les libraires apprécieraient de pouvoir fournir les bibliothèques en ebooks. Si les premiers n’ont pas d’offre à leur proposer, les établissements de prêts passeront par d’autres prestataires que les acteurs locaux. Si les libraires ne sont pas en mesure d’apporter une offre numérique française, les clients professionnels comme le grand public, se dirigeront vers par les géants du web.
Agnès Debiage
Agnès Debiage : Le prochain temps fort sera le salon du livre, à Paris, où nous accueillons l’ensemble de nos adhérents. Cela nous permet de discuter avec eux, d’avoir ces retours positifs ou négatifs de ce qui se passe dans les différentes zones, d’entendre des questions particulières qui alimenteront notre réflexion, d’écouter les besoins de ces libraires notamment en termes de formation, d’expliquer nos projets pour l’année à venir… Et comme chaque année, notre assemblée générale aura lieu pendant le salon, au Centre national du livre.
Pendant Livre Paris, nous lancerons également un catalogue des coups de cœur de libraires du monde arabe. C’est un projet que nous avons initié en février 2016, lors de nos rencontres à Casablanca. 18 libraires conseilleront 3 ouvrages qu’ils ont aimés et qui évoquent leur pays ou leur région. Ce sera un catalogue d’une très grande richesse, nourri d’avis personnels venant de libraires du Maroc, de Mauritanie, d’Algérie, de Tunisie, d’Égypte, du Liban, de Syrie et de Djibouti.
Nous ferons un bilan des Rencontres interprofessionnelles de l’océan Indien, qui viennent de se dérouler en novembre dernier à l’île Maurice et qui ont été une opération d’ampleur pour toute la région. Et nous évoquerons également la Caravane du livre et de la lecture, qui couvre douze pays du continent africain et qui est l’une des opérations emblématiques de l’AILF depuis 12 ans, pour promouvoir le livre et la lecture un peu partout en Afrique, à travers des animations mises en place par les libraires localement.
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Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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