Le fracas des armes et des boucliers, les lances brisées, les nuées de flèches nombreuses à en assombrir les cieux. « Quelle connerie, la guerre » , disait Prévert. Et pourtant les combats inspirent, voire fascinent, quand ils s'ancrent dans l’Antiquité. Avec 300, Frank Miller signa une oeuvre spectaculaire, qui puisa dans l’Histoire autant qu’elle la réécrivit. Traître, monstre, héros... 300, une épopée hors norme.
Le 19/07/2024 à 15:00 par Nicolas Gary
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Publié le :
19/07/2024 à 15:00
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Nous sommes en Grèce, en août 480 : le roi de l’Empire perse, Xerxès 1er, a réuni une armée hors norme – 70.000 à 300.000 hommes, selon les chercheurs contemporains. Son projet tient en quelques mots : envahir la Grèce, qui lui oppose au début une armée de 7000 hoplites (les fantassins de l’époque). La déconvenue est totale quand les Perses parviennent à contourner les troupes, qui abandonnent le champ de bataille.
Seuls demeurent 300 soldats de Sparte, guidés par Léonidas 1er, et 700 autres de Thespies, menés par Démophilos. Ils lutteront jusqu’au dernier pour contenir l’ennemi, lors d’un affrontement devenu célèbre : la bataille des Thermopyles. On en aura principalement retenu le courage des Spartiates, véritables héros des guerres médiques, dont le sacrifice donna lieu à la légende des 300.
La principale source de cet affrontement découle des Histoires, rédigées entre 440 et 430 par Grec Hérodote. Or, son récit rompt avec les sources mythologiques — type Romulus et Rémus, fils du dieu Mars, nourris par une louve et fondateurs de Rome — pour chercher des causes et des origines aux événements. D’ailleurs, le verbe grec historèo, signifie enquêter et, à ce titre, l’historien tente de vérifier les faits avancés.
En 1998, Miller s’empare de cet épisode, quelques années avant l’élection de George Bush Jr, qui répandra abondamment le discours sur l’Axe du Mal – où figure l’Iran, pays d’origine des Perses.
Mais le contexte pour l’industrie du comics est tendu : dans les années 90, le marché sature et une œuvre si personnelle et originale représente un risque pour tout éditeur. Sauf que l’on parle de Frank Miller : qui d’autre aurait imposé un sujet historico-légendaire, tiré de l’Histoire européenne antique ? Sortie originellement chez Dark Horse entre mai et décembre, la mini série n’est pas simplement une audace narrative.
« Miller ose également expérimenter du point de vue graphique, puisqu’il emploie la mise en couleur de Lynn Varley pour la première fois sur son style établi sur Sin City. Et, pour parachever le tout, la mise en page n’obéit pas à la structure d’un gaufrier classique et vertical, mais est faite de tableaux se déployant horizontalement sur des doubles-pages une fois le comic-book pleinement ouvert », explique l’éditeur de Urban Comics, Yann Graf, dans une préface à l’édition collector (chez Huginn & Muninn, janvier 2024).
Cette dernière adopte ainsi le format à l’italienne, renouant avec la version reliée parue à l’époque, pour une œuvre qui s’étale littéralement et offre des visions panoramiques de combats, décors et scènes d’action époustouflantes. Oui, 300 est un chef d’œuvre, car Miller l’a conçu comme tel : un renouveau tant de l’imagerie que de la conception, à travers une vision subjective, revisitant l’événement historique. Et le style visuel saisissant balance un coup de sandales dans les productions passablement conventionnelles et en vigueur pour les adaptations historiques.
D’autant que ses personnages, pour humains qu’ils soient, n’en puisent pas moins dans les ressources de super-héros bien connus (qui eux-mêmes furent nourris de l’imaginaire héroïque, voire exhument des divinités mythologiques). Un casque, une cape, cette nudité dévoilant une condition physique exceptionnelle et la force de volonté implacable de Léonidas, qui n’aurait pas besoin d’une Lanterne verte.
Figure du chef admiré, troupe prête à mourir pour faire honneur à sa ville — n’oublions pas l’épitaphe du poète Simon de Céos, sur les murs du mausolée érigé à Kolonós : « Étranger, va dire à Lacédémone / Que nous gisons ici par obéissance à ses lois. » Hommage traversant les âges, nourrissant le mythe et la citoyenneté spartiate, plus forte que tout.
Cependant, des critiques ont également émergé concernant sa fidélité historique et ses implications idéologiques. Le récit glorifie les Spartiates et présente les Perses de manière stéréotypée, ce qui a suscité des accusations de racisme et de propagande nationaliste. Des historiens et critiques ont souligné les inexactitudes historiques, notamment la minimisation du rôle des autres cités grecques et la caricature des Perses comme des barbares déshumanisés.
De même, les Spartiates tiennent des propos homophobes qui furent soulignés — et que Miller balaya en rappelant combien les rivalités entre Spartiates et Athéniens durent certainement donner lieu à de délicieux sarcasmes…
Face à Léonidas, deux figures dont Miller fit l’incarnation de la traîtrise — Éphialtès, qui rejeté par les Grecs aura suivi le chant des sirènes perses — et de la corruption — le roi-dieu Xerxès, dont l’or achète tout, dès lors que l’on se vend à lui. Yann Graf souligne :
« Autant, Miller insiste sur la monstruosité du premier — grotesque bossu devenu un amas de chair d’où ressort des yeux globuleux et un nez protubérant —, autant il magnifie la prestance du second — androgyne géant à la voix caverneuse et à la joaillerie dorée. Miller vogue d’une description graphique à l’autre. L’aspect repoussoir de l’un est l’aboutissement des pratiques eugénistes et de l’embrigadement imposés aux citoyens de Sparte. Le second évoque la séduction du mal et la corruption rampante qui ont poussé les prêtres à interdire à toute l’armée spartiate d’accompagner Léonidas en campagne. »
Malgré ces nombreux handicaps initiaux, la série connaît un succès retentissant, décrochant l’année suivante pas moins de trois Eisner Awards à San Diego : celui du meilleur scénariste/dessinateur pour Frank Miller, celui de la meilleure coloriste pour Lynn Varley, et celui de la meilleure mini-série. Ce succès peut être attribué à la continuité esthétique et thématique évidente des œuvres antérieures de Frank Miller, que 300 incarne parfaitement.
D’autant qu’en 2006, Zack Snyder — réalisateur ayant exprimé un intérêt manifeste pour les comics — fera de 300 un blockbuster hollywoodien. Utilisant les techniques d’effets spéciaux les plus modernes à sa disposition, il s’inspirait de la collaboration entre Robert Rodriguez et Frank Miller, pour Sin City en 2005 avec de nombreux fonds verts.
Zack Snyder recrée en studio les paysages de la Grèce antique tels qu’imaginés par l’auteur. Fidèle à l’intrigue du comic-book, Snyder l’enrichit toutefois de plusieurs scènes montrant les coulisses de la politique spartiate à travers le personnage de la reine Gorgo. Cette dernière, apparaissant brièvement dans la mini-série, joue un rôle important dans le film.
L’utilisation d’images de synthèse permet également de renforcer l’aspect monstrueux d’Éphialtès et des créatures animales au service des Perses. Ainsi, le film s’aventure plus volontiers dans le domaine de l’heroic-fantasy que son modèle papier. Sorti en 2007, le long-métrage engendre en 2014 une suite intitulée 300 : La naissance d’un empire, réalisée par Noam Murro.
Le scénario, coécrit par Zack Snyder, s’inspire en partie de la suite du comic-book, Xerxes : The Fall of the House of Darius and the Rise of Alexander, publié par Dark Horse en 2018 après plusieurs retards. « Du défilé des Thermopyles aux autoroutes de l’information, le sacrifice des Spartiates continue ainsi de captiver comme de susciter la controverse. Et au milieu de cette cacophonie, pour qui sait prêter l’oreille, on peut entendre au loin l’éclat de rire d’un Léonidas mourant », conclura-t-on avec Yann Graf.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 20/10/2023
176 pages
Huginn & Muninn
19,95 €
Paru le 19/01/2024
104 pages
Huginn & Muninn
30,00 €
1 Commentaire
Necroko
20/07/2024 à 00:52
très bien 300 (et le Film aussi)