#AVeloEntreLesLignes – Découvrir le plus grand nombre de librairies entre Paris et Oulan-Bator, le défi n'est pas des moindres. Et entreprendre le trajet à vélo ? Quelle folie. Pourtant, c’est exactement l’aventure que Zoé David-Rigot et Jaroslav Kocourek ont entamée il y a un an. ActuaLitté partage cette incroyable odyssée en publiant leur récit de voyage intitulé À vélo, entre les lignes. Arrivé en Mongolie, il ne reste que quelques centaines de kilomètres au duo...
Le 28/05/2024 à 16:09 par Auteur invité
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Publié le :
28/05/2024 à 16:09
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Cette petite ville s’étale le long de la route connectant l’ouest du pays à la capitale, entre deux collines, dans le repli du gazon. Après 24h d’autostop, nous arrivons alors qu’il pleut dans la lumière blanche, nos ventres gargouillent et nos intestins se tordent de douleur. Nous sommes tous les deux malades, il faut se rendre à l’évidence, nous nous réfugions donc dans un petit hôtel aux airs modernes.
Là, on tente de nous entourlouper avec des prix exorbitants, alors nous repartons, étourdis par la fatigue. Plus loin se présente un établissement sur plusieurs étages et des escaliers en colimaçon, il parait luxueux, mais on tente.
On nous accueille avec le sourire, et la réceptionniste, en tailleur et sur son trente et un, nous salue comme si nous étions des ministres. Après discussion, elle nous indique le troisième étage, ou les prix sont les plus bas. Pour une somme modique, nous avons deux lits deux places et le petit déjeuner inclus !
C’est ici que nous resterons une semaine pour reprendre des forces. Car oui, la brise fait trembler nos viscères, la pluie s’infiltre jusqu’à nos os, nous sommes comme des feuilles ou comme un mirage dans le vent ; si épuisé.es que nous avons l’impression de disparaitre, d’être effacé.es par les éléments ; tout nous traverse sans que nous ne puissions rien saisir, comme des fantômes transparents angoissés par leur seule présence au monde.
Nous nous promenons dans cette petite ville à la place centrale majestueuse : des jeunes y font du patin à roulettes et tournent autour de la statue de Gengis Khan sur de la musique techno. Un marché se perd dans les petites rues centrales et dans les maisons de placo à deux ou trois étages. Nous nous y perdons aussi, tentons de saisir ce qui s’y passe.
Et le jour est venu de repartir. Nous sommes tout de même en Mongolie, et il serait dommage de nous rendre à Oulan-Bator sans nous perdre dans les vallées… même s’il nous faut nous forcer un peu. On le fait pour l’idée de le faire, car nos corps et nos esprits, en soi, ne demandent que le repos qu’on ne peut et ne veut leur donner. Bon. On prévoit de traverser les vallées d’Orkhon en passant par une source d’eau chaude dont on nous a susurré le secret, pour ensuite rejoindre l’ancienne capitale, Karakorum.
Nous quittons la petite ville sous le soleil. D’abord, c’est une piste de terre bien marquée par le passage des 4x4 qui s’ouvre à nous, mais très vite la piste s’effrite, et se divise, comme les vaisseaux sanguins de la vallée. Nous décidons de suivre notre itinéraire, le chemin indiqué par la carte et notre GPS. Au loin, une yourte qui fume, des troupeaux qui broutent éparpillés dans la lumière. Nous pédalons. Soudain, un couple nous rattrape à mobylette. On leur dit le nom du village vers lequel nous nous dirigeons (nous savons que c’est là où nous pourrons nous réapprovisionner la prochaine fois), les deux se regardent et nous parlent avec de grands gestes sans s’arrêter.
Bon, il semble que nous ne puissions pas prendre la route indiquée… mais aucune des pistes environnantes ne se trouve sur la carte, et comment être sur.es de ce qu’on essaie de nous dire !? nous décidons de continuer jusqu’à la prochaine yourte pour demander conseil. Par chance, l’homme qui nous accueille bredouille quelques mots d’anglais, et confirme que nous sommes sur la bonne route. L’échange précédent reste donc un mystère…
Nous voilà crapahutant sur la haute colline, dérapant sur le gravier d’une piste qui s’est écroulée. Au bout d’une heure, nous arrivons au sommet, aux pieds d’un Ovoo. Après avoir versé une gorgée d’eau sur les pierres de l’édifice, comme se veut la tradition (avec les moyens du bord), nous évaluons le paysage qui s’étend en contrebas. La vallée se déroule sous nos yeux, sillonnée par une longue et large rivière, et d’après notre itinéraire nous devrions la traverser quelque part au nord… un pont que nous ne pouvons apercevoir d’ici.
Oh ! comme cela parait vaste. Immense ! et nous avons tellement de kilomètres à parcourir ! qu’allons-nous donc devenir, si tous les jours les routes sont des pistes de graviers croulants ?! Nous sommes epuisé.es, rincé.es déjà ! Malgré tout l’entrain et toute la bonne humeur que l’on se donne. Et ce n’est que le premier jour… Un petit somme, et nous repartons.
Nous marchons dans la pente avec nos vélos, puis pédalons à travers champs, à travers tout, il n’y a plus de piste à suivre. En bas, une yourte. Un homme vient vers nous à cheval. Nous lui expliquons que nous voulons traverser la rivière pour rejoindre le village qui est plus loin, là-bas. Ah ! impossible ! même à cheval ! impossible ! pas de pont ! Il balance son bras de droite a gauche, en faisant des vagues avec sa main, et fait avec sa bouche de grands bruits : Pschhhhhhht fiooooooow fioooooooow fffffffpfffffpfffffffttttttt ! le courant est trop fort ! Oui, c’est cela !
Il mime un corps emporté par le courant, et les vagues de la rivière ! il faut faire le tour par derrière cette montagne, là, nous indique-t-il. De sa poche il sort un petit crayon et un bout de papier froissé dont il arrache un morceau, et y inscrit quelques mots. Il nous tend le message que nous conservons en sécurité (un mois plus tard, quelqu’un nous déchiffrera les mots écrits en mongole : après la montagne, une plus petite, passez au milieu après l’arbre).
Oui, cela veut dire rebrousser chemin et un détour de deux jours. Ooooooh. Non ! ah ! Comme si elle avait tout suivi, une femme vient vers nous. Dans sa main, une grande et large théière, un verre. Elle nous fait des gestes, et un a une nous nous asseyons à terre. C’est le moment de la rencontre. Le verre est empli d’airag, le lait de jument fermenté. Elle le tend à Zoé, qui en boit quelques gorgées avant de le tendre à Jaroslav, qui y trempe à peine les lèvres. Un regard entendu, des regards échangés, puis l’homme saisi le verre : cul-sec ! elle s’en remplit un jusqu’à ras-bord : cul-sec ! nous nous regardons en rigolant. Un verre chacun.e, de plus belle ! Puis on se lève, et l’homme nous invite à monter à cheval.
Dans le soleil couchant on savoure la cadence des pas lents de l’animal… avant que celui-ci reparte en corvée : il faut rassembler les troupeaux ! Un salut respectueux, oui, nous dormirons tranquilles près du roulis de la rivière ce soir. Le spectacle du ciel dans les pupilles, cette nuit-là est notre conciliation avec le paysage mongole. Et cette nuit-là est spéciale, nous le réalisons alors : cela fait un an, jour pour jour, que nous avons quitté Paris !
Au matin, nous sommes de nouveau d’attaque, prêt et prête à embrasser le défi des steppes. Peu à peu, le paysage nous apprivoise, et nous nous prenons au jeu.
On se sent libre. Ici, chaque piste est tracée suivant les besoins de yourte en yourte, de vallée en vallée, elles sont mouvantes car elles changent suivant les saisons. Nos vélos sous nos yeux deviennent chevaux, chaque jour est une errance et une découverte, une joie profonde d’être vivant dans un souffle, comme le vent. Chaque nuit est une escale, un recueil du passé et de l’à-venir, un sommeil calme et profond. Une semaine passe alors que le temps ne compte plus.
Nous chevauchons nos bicyclettes et frôlons les troupeaux de juments au galop, descendons enfin jusqu’à la source d’eau chaude sacrée. La rencontre d’un couple et de leur bébé venus ici pour se ressourcer déploie pour nous tous les secrets du lieu. Au coucher du soleil, dans l’intimité du silence des montagnes, on nous parle de la vie, des troupeaux, on nous conte les superstitions et sous nos yeux ébahis, on étale de la suie sur le front du bébé pour qu’il n’est pas peur de la nuit et de ce qu’elle renferme.
Lorsque nous enfourchons de nouveau nos vélos, laissant la source et ses secrets derrière nous, nous avons de nouveau le sentiment de faire partie du monde.
En avant, nous traversons Karakorum…
et bientôt, a seulement quelques coups de pédale, Oulan Bator !
Crédits image : Zoé David-Rigot et Jaroslav Kocourek / ActuaLitté, CC BY-SA 2.0
DOSSIER - À vélo, entre les lignes : visiter des librairies, de Paris à Oulan Bator
Par Auteur invité
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1 Commentaire
Remy Fox
29/05/2024 à 11:47
Pendant que certains se prennent des obus sur la tronche y en a qui se racontent de belles histoires, la chute sera dure les amis, le réel vous observe avec intérêt... faites de beaux en rêves...