Autrices et auteurs du Bel Paese étaient au coeur du festival Italissimo, dévoilant les jeunes talents de la scène littéraire italienne. Si les écritures changent, certains thèmes typiques de la fiction demeurent, comme la famille, ou plus universels, comme le voyage, la province ou l’écriture. Entre tradition et expérimentation, autant d'ouvrages traduits qui plongent dans les mondes de nos voisins.
Le 09/04/2024 à 11:04 par Federica Malinverno
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09/04/2024 à 11:04
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Selon les informations du Syndicat National de l’Édition (SNE), l’Italie se classe, aux côtés de l’Allemagne, en troisième position parmi les nations dont la France importe le plus d’œuvres littéraires, couvrant l’ensemble des domaines éditoriaux. Notamment, en 2022, 102 romans italiens ont été introduits sur le marché français grâce à la traduction.
Le Festival Italissimo, organisé en France, a offert l’opportunité, du 2 au 7 avril, de mettre en lumière des figures emblématiques de la littérature italienne, dont les écrits sont disponibles en français depuis plusieurs années. Parmi ces auteurs figurent Rosella Postorino, Nicola Lagioia, Giuseppe Catozzella, ainsi que des talents émergents. Ces écrivains, pour certains traduits en français pour la première fois, dépeignent un panorama de la littérature italienne actuelle, en mutation, bien que certaines thématiques récurrentes, telles que la fascination pour la notion de famille, demeurent omniprésentes.
Prenons l’exemple de Marco Missiroli et Mirko Sabatino, qui ont présenté leurs dernières œuvres à l’Institut culturel italien le 3 avril. Leurs romans, Tout Avoir (traduit par Liliane Guillard, Calmann-Lévy, 2024) et La vie antérieure (traduit par Lise Caillat, Denoël, 2024), explorent tous deux la thématique familiale, et plus précisément le lien père-fils : la quête d’un père disparu par son fils chez Mirko Sabatino, et l’accompagnement d’un père vers la mort par son fils chez Marco Missiroli.
Ce dernier exprime sa volonté d’avoir écrit ce roman comme un moyen de conjurer la mort, soulignant que l’écriture sur ce sujet permet de révéler les vulnérabilités humaines. Dans cet ouvrage, Sandro, un joueur, revient à Rimini, en Émilie-Romagne, sur les traces de son enfance auprès de son père Nando, un cheminot en fin de vie. Ce retour aux origines prend des allures de pèlerinage nostalgique.
En outre, les romans italiens (et ceux d’autres pays) dépeignent souvent des familles dysfonctionnelles, peut-être parce que, comme l’affirme Marco Missiroli, l’existence de familles pleinement heureuses est un mythe, mais il existe des familles vivaces et dynamiques qui favorisent l’épanouissement personnel.
La thématique familiale fut également au cœur des discussions à la Maison de la Poésie le 6 avril, lors d’un échange entre Barbara Frandino et Matteo Porru, tous deux traduits en français pour la première fois. L’œuvre de Barbara, Tu l’as bien mérité (traduit par Laura Brignon, Les Argonautes, 2023), traite d’une séparation, décrite par l’auteure comme une « histoire d’émotions » et d’abandon, narrée avec une voix « sèche » et laissant une grande place au « silence », similaire aux écrits de Marco Missiroli et Matteo Porru (La douleur fait naître l’hiver, traduit par Audrey Richaud, Buchet-Chastel, 2024).
Barbara Frandino considère la famille comme un « espace périlleux », car les liens avec nos proches restent parfois méconnus.
Matteo Porru suggère que « toute histoire pourrait être une histoire familiale », soulignant que dans le cadre familial, de nombreux secrets restent souvent dissimulés, une idée qu’il illustre en disant que « masquer les imperfections est un art ».
Le roman de Matteo Porru constitue un exemple de littérature italienne s’affranchissant des clichés, tant dans son cadre — l’action se situe en Russie — que dans son style et son genre : il s’agit d’une allégorie, d’un conte, offrant une intrigue épurée où le décor et le protagoniste se mêlent de façon poignante. Comme le dit Matteo Porru : « Nous sommes tous faits de chair et de neige, avec de la neige dans l’esprit et de la chair dans le corps. »
Un cas particulièrement singulier dans le paysage littéraire italien contemporain est celui de Gian Marco Griffi et de son œuvre Les Chemins de fer du Mexique. Traduit en France par Christophe Mileschi pour Gallimard (2024) et publié en Italie par Laurana, une maison d’édition indépendante de Milan, ce roman d’aventures se distingue par son originalité et son humour, présentant des personnages atypiques et un antihéros indécis, comme le décrit l’auteur lors de sa présentation à la Maison de la Poésie le 4 avril.
Gianmarco Griffi s’inspire de références internationales plutôt qu’italiennes, citant notamment Franz Kafka pour son goût des situations absurdes, Jorge Luis Borges, ainsi que la littérature arthurienne et Le Roland furieux.
Les Chemins de fer du Mexique, qui débute en 1944 durant la Seconde Guerre mondiale, n’est pas seulement une méditation sur le destin et le hasard, mais aussi une célébration de la langue. En effet, le langage joue un rôle central dans l’intrigue et l’ambiance du récit, chaque personnage ayant sa propre manière de s’exprimer.
Un autre ouvrage remarquable, Mes désirs futiles de Bernardo Zannoni, lauréat du prix Campiello en 2022 et publié par La Table ronde en 2023, propose une réflexion philosophique sous forme de roman initiatique rappelant Charles Dickens, caractérisé par une extrême violence et une fusion inédite entre les figures humaines et animales. Les protagonistes de cette histoire sont effectivement des animaux, à commencer par le personnage principal, la fouine Archy.
Une version illustrée par Lorenzo Mattotti, illustrateur, peintre et auteur de bande dessinée de renom résidant à Paris, a également été dévoilée à la Maison de la Poésie le 7 avril. Cet ouvrage, édité par Sellerio, un éditeur de Palerme habituellement non spécialisé dans les livres illustrés, mais ayant fait une exception pour cette publication, se distingue par sa beauté. Lorenzo Mattotti souligne que l’une des forces du livre de Bernardo Zannoni réside dans sa capacité à aborder des sujets difficiles à travers le prisme du conte, rendant ainsi leur acceptation plus aisée.
De plus, dans cette œuvre, enrichie d’extraordinaires illustrations à la sanguine, une technique offrant une alternative moins « tragique » et « définitive » au noir et blanc, il est essentiel de maintenir un espace entre le texte et l’image que le lecteur est invité à combler, une observation valable pour l’ensemble des livres illustrés.
Enfin, d’autres thèmes fréquemment abordés dans la littérature italienne, et au-delà, concernent le voyage et la vie provinciale. Il suffit de mentionner l’odyssée extraordinaire de Gian Marco Griffi, oscillant entre réalité, fantastique et absurde, le périple initiatique et sombre de Bernardo Zannoni, se déroulant dans un univers atemporel propre aux contes, ou le retour aux racines provinciales du protagoniste de Tout Avoir.
Pour Marco Missiroli, la province représente une « matrice impitoyable », alors que la métropole incarne une « matrice libératrice ». « Je me sens à mon aise en province », confie l’écrivain, « même si son absence me pèse lorsque je m’en éloigne ». Mirko Sabatino, quant à lui, considère que « pour se découvrir, il est nécessaire de quitter son lieu natal avant d’y revenir », de s’aventurer hors de ses frontières pour mieux y revenir.
Mirko Sabatino aborde également la nécessité impérieuse de l’écriture et du roman : « Le roman s’impose de lui-même, c’est lui qui vous choisit », déclare l’auteur italien, pour qui « le rôle de l’écrivain consiste à percevoir le monde sous un angle inédit ».
Crédits photo : Federica Malinverno / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Par Federica Malinverno
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