Qui sont les lecteurs des lauréats des prix littéraires ? Babelio, en collaboration avec ActuaLitté, se penche sur les profils des lecteurs des écrivains distingués par les récompenses d'automne. Grâce à Babelio Data, un outil d'analyse avancé, une série d'articles est publiée pour dresser un portrait des différents publics de ces auteurs. Nous poursuivons notre série avec Neige Sinno, dont Triste titre (P.O.L) aura presque tout raflé.
Le 01/12/2023 à 08:23 par Nicolas Gary
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Publié le :
01/12/2023 à 08:23
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Avec son deuxième roman, Neige Sinno a électrisé les jurys : Triste tigre figurait dans 13 sélections de la rentrée, et aura raflé cinq récompenses. Un plébiscite pour l’autrice qui débuta en mai 2007 avec un recueil de nouvelles, La vie des rats (La Tangente), avant de publier onze ans plus tard Le Camion, chez Christophe Lucquin Éditeur — aujourd’hui introuvable.
Bilan des comptes, cette histoire aura aligné en 2023 le Prix littéraire du Monde, Prix Goncourt des Lycéens, le Prix Blù Jean-Marc Roberts, le Prix Les Inrocks du roman français et Prix Femina 2023. Une moisson qui porte aujourd’hui l’ouvrage à près de 90.000 exemplaires selon Edistat.
Les remontées de Babelio Data affichent une excellente réception des lecteurs : 4,14/5, à travers 3000 lecteurs, le roman de cette jeune femme française a conquis, avec des thèmes difficiles — l'inceste que lui fit endurer son beau-père, son homosexualité et la dépression qui l’a frappée.
Ce témoignage aura reçu un accueil très favorable chez les lecteurs, mais plus encore chez les lectrices — indépendamment de ce que ce genre littéraire affiche un lectorat féminin par nature. L’écart d’appréciation entre hommes et femmes s’avère finalement assez mince.
ANALYSE - Dominique Barbéris, autrice à lire plus que lue
D'après les mesures présentées, on comprend la prescription bouche-à-oreille, la chambre d'écho que joue le réseau social. Et on voit que ça joue pas mal pendant le Fémina, mais moins pendant les autres prix / événements.
Avec une moyenne de 45,1 ans, l’âge moyen de ses lecteurs se révèle plus élevé que d’ordinaire pour la littérature française (36,9 ans) et les biographies (40,6 ans). Cependant, on observe dans la tranche 15/25 ans une approbation marquée : la libération de la parole sur l’inceste est une thématique qui aurait donc résonné davantage chez un jeune public ?
On peut lire ce graphique ainsi : les lecteurs de 15 à 20 ans ont mis une note 0,6 points supérieure à Triste tigre qu'au reste de leurs lectures. On mesure ainsi que toutes les tranches d'âge ont apprécié le récit, mais que le décalage est particulièrement notable pour les 15-25.
Comment les utilisateurs de Babelio perçoivent-ils les coups de projecteurs successifs dont l’ouvrage a bénéficié ? À travers quatre grandes séquences, c’est ce qui a été mesuré.
Entre le 6 septembre et le 23 novembre, Neige Sinno aura raflé la mise. Son roman, publié le 17 août, figurait parmi les premiers titres de la rentrée littéraire. Au cours des trois premières semaines, jusqu’à l’attribution du Prix Le Monde, l’intérêt manifesté par les utilisateurs de Babelio restait moindre.
Ci-dessous, est évaluée la prescription globale : tv, prix, réseaux sociaux etc.
Ainsi, son passage à La Grande Librairie, le 19 septembre, a prolongé une curiosité grandissante (semaine 38). L’obtention du Prix Femina, remis le 6 novembre, eut enfin un effet considérable — quand le Goncourt des lycéens, remis le 23 novembre, fut moins significatif.
Le bouche-à-oreille entre lecteurs, via Babelio, s’est opéré en parallèle de cette prescription traditionnelle, puisqu’on compte 2756 « votes » sur les critiques de lecteurs. En outre, les usagers, dès la semaine 35, avaient déjà repéré l’ouvrage — et l’engouement s’est maintenu, avec deux pics : celui du passage chez Augustin Trapenard, puis le Prix Femina. Le Goncourt des lycéens relança brièvement la machine, sans atteindre l’attractivité de l’émission de France 5.
« On peut émettre l’hypothèse que la prescription traditionnelle et celle des réseaux sociaux se renforcent, mais suivent des chemins différenciés, la critique de lecteur apportant une validation là où le passage télévisé sert de première découverte », estime Pierre Fremaux, cofondateur de Babelio.
Le mouvement des ventes, d’après notre partenaire Edistat, suit un mouvement légèrement distinct : après le prix Le Monde, les ventes en semaine 37 ont grimpé à 4296 exemplaires (dont plus des deux tiers en librairies). Nouvelle hausse, après la Grande Librairie, avec 8036 ventes en semaine 38.
Cette embellie fut de courte durée : les achats hebdomadaires ont fluctué, à la baisse, jusqu’au Femina, qui affiche 13.567 exemplaires écoulés.
Évaluer Triste tigre à l’aune du Femina 2022 attribué à Christina Hunzinger pour Un chien à ma table n’apporte pas grand-chose : remis le 8 novembre (semaine 45), on constate surtout que la récompense a fait décoller des ventes… assez basses (près de 3100 exemplaires depuis la sortie, que Triste tigre avait dépassé en 3 semaines de commercialisation). Les prix se suivent, mais ne se ressemblent heureusement pas d'une année sur l'autre.
Le Goncourt des lycéens aura en revanche entraîné une hausse immédiate des ventes pour Triste tigre : après des semaines 45 et 46 affichant 13.567 et 12.649 ex. (effet Femina), la semaine 47 grimpe à 15.191 ventes (effet Goncourt des lycéens). De quoi rapprocher un peu plus des 100.000 exemplaires, qui seront atteints largement avant la fin de l’année.
Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub, lauréat de l'an passé, n’avait pas enthousiasmé les foules — 2100 ventes jusqu’au prix, qui déclencha l'attention des lecteurs : si la semaine 47 ne compta que 1429 ventes, on assista à une envolée de 3582 ex. la suivante jusqu’à 19.851 en semaine 51. Aujourd'hui, le roman est à 82.824 exemplaires (contre 51.655 fin 2022).
Les membres de Babelio qui ont lu le roman de Neige Sinno ne se laisseront pas facilement classer : leurs lectures reflètent une appétence véritable pour la rentrée littéraire de 2023, avec un foisonnement d’autrices et d’auteurs aux œuvres les plus diverses.
Si s’en dégage une recherche de titres évoquant un récit personnel, sous la forme de fiction, on passe de Jean-Philippe Toussaint à Dominique Barberis, avec Maria Pourchet ou Claire Berest, aussi bien que Chloé Delaume et Pierre Bailly.
Une diversité qui se retrouve par conséquent dans les auteurs les plus plébiscités dans la bibliothèque : des écrivains de 40 à 50 ans, ayant déjà publié plusieurs ouvrages. Et particulièrement médiatisés.
Pour en savoir plus sur Babelio Data, contactez-les à data@babelio.com.
Crédits photo : P.O.L
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 17/08/2023
283 pages
P.O.L
20,00 €
Paru le 03/05/2018
240 pages
LC Christophe Lucquin éditeur
21,00 €
Paru le 24/08/2022
288 pages
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Paru le 24/08/2022
308 pages
Stock
20,50 €
3 Commentaires
Chris F
01/12/2023 à 22:41
Vous voulez dire Claudie Hunziger, je pense...
Jasper the disaster
02/12/2023 à 13:10
Le lectorat de neige Sinno est un lectorat intelligent qui aime les livres stylisés sur des sujets difficiles, non pas des brouets illisibles comme ceux d'angot ou de springora sur le même thème. D'ailleurs, c'est édité chez POL, ce qui ne trompe pas ...
Lea
05/12/2023 à 18:14
Merci pour cette analyse fouillée : vos articles sont comme le bon vin, ils s’améliorent avec le temps !
Par rapport à la précédente analyse Barbéris, on voit bien l’effet que je soulignais de la Grande Librairie (X 2 sur les ventes a minima, comme pour Koenig ou Barbéris).
Le – bon – roman « triste tigre » a vraiment été l’affaire de la rentrée, dans les médias, en bouche à oreille et en mise en place. Le Femina lui a sans doute barré le Goncourt (52.000 ex. vendus par Andrea la semaine de l'annonce du prix, déjà propulsé avant par le prix FNAC, qui est désormais à 173.000), mais avec 100.000 qui seront dépassés fin 2023, ce sera assurément un « gros » Femina.
Est-ce que ce sera aussi un « gros » Goncourt des Lycéens ? Certains, comme Didier Decoin sont hostiles au cumul des prix, qu’il estimait être « une insulte aux libraires » (pour leurs ventes) : on verra les résultats après Noël.
S’agissant de l’échantillon Babelio, c’est vraiment très bien de donner la base : 3.000 lecteurs(trices) c’est 3-4% des ventes, c’est à la fois peu, mais c'est plus intéressant car c’est cette fois en milliers.
Comme on a peu de choses sous la dent pour ce type d’analyse, c’est déjà une photo; mais difficile de dire si c’est représentatif.
J’attends Koenig avec intérêt.