Retrouver le goût de l’autre
Saverio Tomasella est psychanalyste et docteur en psychopathologie. Il est à l’origine du Centre d’Études et de Recherches en Psychanalyse, et a écrit de nombreux ouvrages, dont Laisse-toi aimer (Le courrier du livre, 2024). Aujourd’hui, dans nos colonnes, il appelle à retrouver « le goût de l’autre », face à la menace d’une « idéologie déshumanisée ».
Dans la dérive qui nous emporte loin de la liberté inscrite dans la Déclaration des droits humains, ce trésor commun qui fonde notre démocratie, on trouve en premier lieu la négation de l’autre, le déni de l’altérité.
Pour autant, ce ne sont pas les citoyens qui sont directement responsables de cette perte de relation, de cette disparition du goût de l’autre, ce sont les experts qui dictent nos pensées et nos comportements. Oui, c’est l’idéologie déshumanisée qui sous-tend le monde actuel qu’il est nécessaire de dénoncer.
Nous devrions toutes et tous penser, agir ou nous vêtir de la même façon. Jamais, en 58 ans, je n’ai vu autant de voitures noires, ou grises, de femmes et d’hommes habillés tout en noir, surtout les jeunes. Sommes-nous tous en deuil ? Où sont passées les couleurs ? Où est passée la vie ?
Nous avons perdu en chemin la saveur des différences, la stimulation de nos originalités, la singularité de nos histoires de vie : nous sommes devenus des cerveaux analogues, des tas de nerfs, des agrégats d’hormones. Tous identiques, tous pareils, tous sur le même modèle : clones d’un prototype standardisé performant, connectés, distanciés, masqués, surveillés, interdits de contacts et confinés.
Ce sont les politiques qui s’alarment de la montée de la colère qui sont responsables de cette défection de l’autre, tout autant que les psys qui veulent nous modéliser selon leurs lois neurocognitives et les coachs qui exigent que nous pensions toujours positif. Alors, inévitablement, le négatif ressurgit, inattendu, mais vivant, créatif. Au-delà des résultats des votes, ce que nous allons inévitablement retrouver, au fond de nous et dans nos rencontres, c’est le souffle de nos différences, la jubilation de ce qui nous surprend, de ce qui est nouveau, de ce qui nous dépasse.
Alors, il est grand temps de ne plus croire à nos peurs, qui se trompent, qui nous trompent, pour oser nous frotter les uns aux autres, pour apprendre de nouvelles façons de vivre ensemble, de penser, de parler, d’aimer, et nous ressourcer dans la fraîcheur inaltérable de l’altérité.
Crédits photo : ©Astrid di Crollalanza
Laisse-toi aimer
Paru le 16/05/2024
220 pages
Le Courrier du Livre
17,00 €
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